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l'enseignement de notre histoire, est la collection de M. le chevalier Hennin, fils de l'ancien résident en Pologne et à Genève, pour Louis XV, de 1765 à 1774, premier commis des Affaires étrangères sous Louis XVI, et qui soutint avec avantage une correspondance avec Voltaire, alors qu'il était voisin de Ferney. Attaché à la personne du prince Eugène, duc de Leuchtenberg, le chevalier Hennin de nos jours fit une longue résidence en Allemagne, et s'y enrichit de toutes les planches françaises ou étrangères qu'il put trouver sur notre histoire. Connaisseur, artiste d'âme, esprit à la fois généralisateur, et amoureux du détail; moins préoccupé du portrait seul que de la représentation des faits; du nombre des pièces que de leur valeur historique, il n'a pas laissé néanmoins de réunir, pendant une longue carrière, dix-sept mille pièces, qu'il a classées avec une méthode parfaite, et sa magnifique collection laisse bien loin celle des Gaignières, des Fontette, des Soulavie. Chez lui, le portrait et l'estampe sont autant que possible de premier choix. Le temps approche où recueillir de pareilles collections va devenir une tâche des plus difficiles, sinon impossible. Les feuilles se détruisent, et le goût toujours croissant des cabinets les dissémine sur la surface du globe. Des morceaux si bien conservés, si nombreux, qui remplissent si bien les conditions essentielles de tout document portant avec soi complète autorité, sont des objets précieux, souvent uniques, et le beau prend ici sa place en même temps que l'utile. Recueillir n'a pas paru suffisant au courageux M. Hennin; il a entrepris, sous une forme raisonnée, non pas seulement le catalogue de son

propre cabinet, mais celui de toutes les pièces existantes sur l'histoire de France, travail herculéen, qu'un savoir et un courage tels que les siens pouvaient seuls entreprendre, et qui servira aux bibliothécaires comme aux iconophiles de précepte et d'exemple (1). Le nommer, c'est définir le vrai Curieux.

Un Curieux étranger, le feld-maréchal autrichien Hausslab, ancien précepteur de l'empereur FrançoisJoseph, et général en chef de l'artillerie, a, de son côté, recueilli une des plus belles bibliothèques de livres à gravures, un des plus beaux cabinets historiques qui se puissent imaginer pour l'Allemagne. Les raretés, les volumes et pièces uniques y abondent, et tous les livres sont d'une conservation surprenante. Il les change, quand ils ne sont pas uniques, jusqu'à ce qu'il soit arrivé à des exemplaires parfaits. J'ai vu avec un intérêt extrême cette riche collection, qui n'a d'égale en son genre que celle de M. Hennin dans le sien, et quelques-unes de grands Curieux anglais. Personne ne fait avec plus de grâce hospitalière les honneurs de son cabinet, et ne fait mieux comprendre ce qu'il y a d'instruction et de charme dans l'étude du passé. Les hommes ne s'intéressent guère en général qu'aux choses d'hier ou d'aujourd'hui, aux renommées vivantes qui éclatent, aux grands noms qui retentissent encore. Ils ne songent pas assez que dans le passé est tout le présent. Souffrons donc quelque amour du passé,

(1) Les monuments de l'histoire de France, catalogue des productions de la sculpture, de la peinture et de la gravure relatives à l'histoire de la France et des Français, par M. HENNIN. Paris, Delion, 1856-1861, in-8°. Il a déjà paru six volumes.

Le

feld-maréchal Hausslab.

Horace Walpole.

et n'oublions pas que les documents peints, gravés, écrits, amassés par le zèle des Curieux, sont les lambeaux de la vie de nos pères. C'est dans les monuments de l'histoire que sont les titres des nations. Si cette histoire n'était qu'un tableau inanimé sur lequel vinssent se dessiner avec leur simple nudité les événements divers par lesquels a passé la vie d'un peuple, ses guerres, ses négociations, ses traités, ses prospérités et ses revers, sans autre coloris que celui de la topogra phie et des dates, l'histoire ne serait qu'une froide éphéméride. Il est un autre ordre de faits dont se composent les annales d'une nation, ce sont les idées morales et religieuses, les usages, les mœurs, tout ce qui forme en un mot l'état d'une société; et c'est la partie vivante de l'histoire; c'est le tous les jours d'autrefois, comme nous avons le nôtre. Ce tous les jours est dans les scènes gravées, dans les caricatures, dans les enseignes, comme il est dans les documents autographes intimes et publics, dans les pamphlets, dans les feuilles volantes, dans les vieilles ballades, dans les ponts neufs, dans les chants et complaintes du carrefour, de l'atelier et de la prison, dans toutes les œuvres fugitives de l'imagination populaire et des passions ondoyantes de la foule.

L'autographe se glisse donc en tout cabinet d'homme un peu instruit. Horace Walpole, comte d'Oxford, un grand connaisseur, qui a eu tant de relations avec la France, et qui avait amassé à sa résidence de Strawberry-Hill, aux portes de Londres, des collections de tout genre, aujourd'hui dispersées par le marteau du commissaire-priseur, avait des portefeuilles de cor

respondances qui, classées systématiquement, eussent formé une histoire de l'art et une chronique de son temps. Une correspondance d'environ huit cents lettres de la marquise du Deffand, la Sévigné du dixhuitième siècle, n'en a pas été l'un des joyaux les moins piquants (1).

Dubois.

Le cardinal Dubois, mêlé à tant de grandes affaires Le cardinal de notre pays, a aussi laissé des amas de papiers considérables. Le ministère des Affaires étrangères possède de lui de précieuses correspondances politiques avec le Régent et les envoyés du Roi à l'étranger, touchant les négociations des traités d'alliance en 1717 et 1718, et la difficile conquête de son chapeau rouge. Lémontey a tiré le plus ingénieux parti de ces documents pour son Histoire de la Régence, ouvrage posthume et son meilleur livre. La diplomatie du chapeau y est surtout rendue avec une verve moqueuse qui a son vis comica. Cet instituteur scandaleux du scandaleux Régent avait en résumé beaucoup plus qu'on ne l'a prétendu, l'esprit du travail, de vue suivie et de prévoyance, la fer

(1) Nombre des manuscrits d'H. Walpole provenaient des Cabinets de sir Julius Cæsar et de R. Thoresby, de Leeds, deux grands bibliophiles. Le catalogue de sa vente à Strawberry-Hill est encore recherché des curieux. Cette vente dura vingt-quatre jours, à partir du 25 avril 1842. Elle avait lieu par ordre du comte de Waldegrave, petit-fils de Walpole.

Some cry up Gunnesbury,

For Sion some declare,

And some say that with Chiswick-House

No villa can compare;

But ask the beaux of Middlesex,

Who know the country well,

If Strawberry-Hill if Strawberry-Hill

Don't bear away the bell.

(THE EARL OF BATH's, Ballad on Strawberry-Hill.)

Grande

période de sa

Négociation

du traité

de la Triple

meté du jugement, en un mot l'esprit politique. Malheureusement il avait tout cela à ses heures, et il ne travaillait que par coups de collier, se mettant parfois au courant en jetant au feu les papiers d'affaires arriérées. Il y a une belle phase dans sa vie d'affaires, c'est vie d'affaires. celle des débuts de la Régence. Alors que le duc d'Orléans, subissant le triste sort des neutres, recevait les reproches des vainqueurs et des vaincus, et allait étre exclu du traité que l'Angleterre préparait avec la Hollande, Dubois, imaginant le prétexte d'acquérir des livres rares et de recouvrer les fameux tableaux des Sacrements du Poussin, enlevés à Paris par des brocanteurs juifs, se rend en Hollande, que traverse avec le roi d'Angleterre son ministre favori, le lord Stanhope, l'une des fortes têtes de la Grande-Bretagne. Là, sous le nom de Saint-Albin, qui est celui des bâtards d'Orléans, il s'abouche dans les écuries du comte avec le ministre; et, dans un duel merveilleux de l'esprit, la plus délicate souplesse, la diplomatie la plus fine et la plus vigoureuse, triomphent des défiances de Stanhope et des répugnances du Roi pour tout ce qui venait du duc d'Orléans. Il jette dans une auberge les bases du traité de la Triple Alliance. Sa première dépêche, qui a cent pages, est un chef-d'œuvre. La suite est digne du début. Enfin, après mille péripéties, après des prodiges d'activité, des fatigues sans nombre, il annonce la conclusion au Régent par ce billet laconique : « J'ai signé à minuit. Vous voilà hors de pages, et moi hors de peur. » La réponse non moins laconique du duc : « Vivent les gens qui font les choses avec le cœur! » paye l'abbé de ses efforts et de ses

Alliance.

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