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Seconde lettre
de Marie-
Antoinette à
Marie-
Thérèse.

15 mai 1770.
Voyage

de Strasbourg

aimable et spirituelle ignorance, furent imputées à crime à la Dauphine.

Quand on se reporte à la fin tragique de cette infortunée princesse, peut-on se défendre d'une sorte de frémissement et d'effroi en voyant son abandon et sa sécurité à son entrée en France? N'est-ce pas aussi chose étrange et fatale que cet homme perdu de mœurs et si scandaleux plus tard dans l'odieuse affaire du collier, le prince Louis de Rohan, fût alors coadjuteur de son oncle le cardinal-évêque de Strasbourg, et que ce fût lui qui, à l'entrée de la Dauphine à la cathédrale, la harangua en tête des comtes de cette cathédrale, le lendemain de l'arrivée de la princesse dans la ville.

Le palais épiscopal de Strasbourg avait été préparé pour Marie-Antoinette, et c'est là qu'elle descendit. Ce fut le vieux cardinal qui l'y reçut et la harangua le 7 mai. La visite de la princesse à la cathédrale est du 8. Elle s'arrêta à Nancy, où elle alla visiter les tombeaux de la maison de Lorraine. Enfin, elle fut conduite d'abord au château de Compiègne, puis à la Muette. C'est de cette dernière résidence qu'elle écrivit sa seconde lettre à sa mère.

« Château de la Muette, ce 15 mai 1770.

» MADAME MA TRÈS-CHÈRE MÈRE,

» Tout ce qui s'est passé est pour moi comme un

à Compiègne songe. Le pavé étoit partout couvert de fleurs comme à la fête de Saint-Étienne, et je marchois entre des

et à la Muette.

tentures et des décorations. S'il n'y avoit pas tant de discours et de compliments à entendre, je trouverois

са charmant. Que ma chère maman soit assurée pourtant que je me suis bien étudiée pour ne déplaire à personne. On étoit si aimable, que je n'aurois pu faire autrement. Madame de Noailles étoit là à qui je demandois des informations sur la noblesse de province et sur les usages du pays. J'ai eu bien du plaisir à passer à Nancy le 9.

» A quelques lieues de Compiègne, le duc de Choiseul avait été envoyé au-devant de moi. J'ai vu avec bonheur un homme si estimé de ma chère maman, et je l'ai traité en ami de la famille. Dans la forêt, deux pages à cheval sont accourus vers monsieur de Choiseul, et, peu après, j'ai vu arriver un grand cortége. C'étoit le Roi qui avoit la bonté de venir me surprendre. Aussitôt que je l'ai aperçu, je me suis jetée toute confuse à ses pieds, il m'a reçue dans ses bras, en m'embrassant à plusieurs reprises et m'appelant sa chère fille avec une bonté dont ma chère maman auroit été touchée. Après cela, il m'a présentée à Monsieur le Dauphin, qui m'a saluée à la joue. Le Roi m'a parlé aussi de ma chère maman, disant : « Vous étiez déjà de la famille, car votre mère a l'âme de Louis le Grand. »

» On a été coucher à Compiègne. Le Roi a ordonné de partir, dès le lendemain, pour la Muette, et quand nous sommes arrivés à Saint-Denis, très-près de Paris, j'ai suivi le conseil particulier que m'avoit donné tout doucement le bon duc de Choiseul, en demandant à voir, à son couvent de Carmélites, la fille du Roi, Madame Louise. Le Roi m'a embrassée pour cela. J'ai demandé à la princesse et aux religieuses de prier Dieu pour la nouvelle enfant de la France. J'ai été bien

TOME II.

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heureuse de cette visite. Je sens que j'ai grand besoin de leurs prières.

» A Compiègne, j'avois été embrassée par Madame Adélaïde, Madame Victoire et Madame Sophie. Je connois maintenant toute la famille royale, ayant vu ici, dans l'après-midi, les frères de Monsieur le Dauphin, et les princes et princesses du sang à Compiègne.

» La cérémonie du mariage est fixée à demain, dans la chapelle du château de Versailles. Je demande pour ce grand jour la bénédiction de ma chère maman. Je vais être toujours dans le même tourbillon; ce qui ne m'empêche pas de penser sans cesse à elle et de chercher à mériter qu'elle soit contente de moi. Mon plus grand chagrin seroit de ne pas être digne de ses bontés. Je lui baise les mains avec mon plus tendre respect.

"MARIE-ANTOINETTE.

>> J'embrasse mes sœurs avec beaucoup de tendresse. J'ai vu mes deux nouvelles sœurs avec Monsieur le Dauphin. Clotilde est très-forte, mais elle a une figure bien affectueuse et qui pénètre. On diroit qu'Élisabeth, qui a six ans, est un peu sauvage. Elle a un air déterminé et doux en même temps je l'apprivoiserai, je l'espère. »

Louis XV avait eu l'indigne faiblesse de présenter solennellement madame du Barry à la Dauphine et de là faire souper avec elle et toute la famille royale à la Muette. Marie-Antoinette en fut vivement blessée; mais son tact de jeune fille lui dicta le silence sur cet incident, quand elle écrivit à sa mère. Quelques indis

crets lui ayant demandé comment elle avait trouvé madame du Barry, elle se borna à répondre : « Char

mante. »

Le jour suivant, elle écrivait à Marie-Thérèse :

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Troisième lettre de MarieAntoinette à MarieThérèse.

» Je me suis échappée du grand cercle, dans ma 16 mai 1770. grande toilette de mariée, pour m'acquitter de la promesse formelle que j'avois faite à ma chère maman de lui écrire ce mot tout de suite après que la messe de mariage auroit été célébrée. Je suis Dauphine de France. Elle annonce Déjà à genoux en présence de Celui qui dispose de tout, j'ai beaucoup pensé aux bons conseils et aux bons la cérémonie. exemples de ma chère maman. Je lui baise les mains avec respect, en la priant de me continuer ses bontés. » MARIE-ANTOINETTE. »

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son mariage immédiatement après

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Versailles, le 2 juin 1770. Antoinette à

» MADAME MA TRÈS-CHÈRE MÈRE,

» La journée de mon mariage avoit bien commencé. Je n'avois pas oublié ce que ma chère maman nous disoit si souvent en famille : Que la joie du peuple fait les vraies fêtes des princes. Je me réjouissois de voir se préparer une vraie fête publique, quand tout à coup, au moment de la cérémonie, il a éclaté un orage si affreux qu'il a fait fuir tout le monde des jardins. Le soir, les illuminations ont été noyées, et ça a empêché

TOME 11.

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sa mère.

2 juin 1770.

Evénements funèbres des fêtes du mariage.

L'abbe de Vermond.

toutes les réjouissances. Nous avons été bien plus malheureux encore à Paris, le 30, au feu d'artifice des fêtes de la ville. La foule étoit si grande qu'il y a eu des accidents horribles, des centaines de personnes écrasées. Nous demandons coup sur coup des rapports. Mais je crains bien qu'on ne nous dise pas tout. Nous aurons beaucoup à faire pour faire oublier ces affreux malheurs, et j'aurois besoin des conseils de ma chère maman pour m'affermir et me rendre digne de cette tache difficile. Monsieur le Dauphin est désespéré et n'a pas été en arrière de son devoir. Moi, je n'en dors plus, et j'ai toujours devant les yeux cette foule de victimes dont nous avons été l'occasion.. Le Roi et toute la famille royale redoublent de bontés pour moi, mais je suis inconsolable. Je redoute beaucoup le jour où Monsieur le Dauphin et moi ferons notre entrée dans Paris.

» Je demande pardon à ma chère maman du ton si triste de cette lettre. Mais ces malheurs sont mon unique pensée. J'ai besoin de m'appuyer sur le cœur de ma chère maman et d'être assurée qu'elle me permet de lui dire tout, et que personne ne l'aime et ne lui baise les mains avec plus de respect et de tendresse que moi. » L'abbé m'a été très-utile dans toute la catastrophe.

» MARIE-ANTOINETTE. »

L'abbé que cite la Dauphine est ce même abbé de Vermond dont nous avons parlé, et qui, dès son séjour à Vienne, avait pris un ascendant réel sur l'archiduchesse et le conserva quand elle fut devenue Dauphine et Reine. Rarement écrivait-elle une lettre sans la lui montrer ;

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