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Lucius Pison, commis par Tibère à la garde de Rome pour avoir bu pendant deux jours et deux nuits sans discontinuer (1). Titre assurément nouveau à une pareille charge.

L'empereur Auguste avait tant de plaisir à une caille de combat qui battait toutes les autres, qu'il fit crucifier au mât d'un vaisseau l'un de ses esclaves, nommé Éros, qui avait fait rôtir la caille favorite.

Au commencement de son règne, Domitien s'enfermait seul, tous les jours, pendant des heures entières, pour vaquer à l'occupation d'attraper des mouches (2).

Un original du nom de Régulus, célèbre avocat sous ce prince, se peignait le tour de l'œil droit ou de l'œil gauche, et se marquait d'une mouche de taffetas blanc tel ou tel côté du front, suivant qu'il devait plaider pour le demandeur ou pour le défendeur (3).

L'empereur Alexandre Sévère n'avait pas de plus délicieux plaisir que de faire jouer de petits chiens avec de petits porcs, de faire battre des perdrix, ou voltiger çà et là de petits oiseaux (4).

Charles IX excellait et se délectait à ferrer un cheval. L'hypercritique Joseph Scaliger dansait, en armure, la pyrrhique guerrière.

Louis XIII, d'abord élève de Vouet et fou de pastel, et qui fit le portrait de son grand écuyer, M. de CinqMars, raffola ensuite de la lardoire. On le voyait, tout le

(1) Nat. Hist., XIV, 28 (XXXIII, 23).

(2) SVET., Domit., 3.

(3) PLINIUS SECUNDUS, Epist. VI, 2. (4) LAMPR., Alex. Sev., 40.

Encore le cardinal

jour, embesogné, avec toute la cour, à larder des longes de veau, quand il ne composait pas de la musique.

Le cardinal de Richelieu faisait toutes les malices de Richelieu. imaginables à ses domestiques. Il luttait avec eux, leur lançait des balles d'un coin de la chambre à l'autre avec une sarbacane, leur jetait des livres à la tête, leur donnait des nazardes, les pinçait, les piquait, les chatouillait, leur jouait tous les jours des tours nouveaux, jusqu'à les faire démonter et dévaliser par des voleurs attitrés, jusqu'à faire imprimer de fausses gazettes contre eux pour les mettre en colère. C'étaient là les divertissements favoris d'un homme qui passe pour le plus sérieux et le plus grand ministre qu'ait eu la France (1).

Madame Dacier et le brouet noir.

Madame Dacier s'empoisonnait avec du brouet noir. Ne riez pas trop de cette expérience : le vieux Caton a bien laissé à son fils, dans son livre pratique de la Maison Rustique, De Re Rustica, une recette pour faire la soupe aux choux. Le Manuel de Cælius Apicius, tout maussade qu'il soit, a trouvé des lecteurs. La cuisine de Sparte avait sa curiosité pour Anne Lefèvre, la savante, avant les délicatesses de la gourmandise

(1) Voir Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin, depuis le sixième janvier jusques à la déclaration du premier avril mil six cens quarante neuf. In-4o, page 446 de la seconde édition.

Ce livre piquant et rare, sans nom d'auteur, est de Gabriel Naudé (1650). C'est un dialogue dont les interlocuteurs sont l'auteur, sous le nom de Saint-Ange, et Camusat l'imprimeur, sous le nom de Mascurat, et qui réfute toutes les accusations dont le cardinal a été l'objet. II y a beaucoup d'érudition dans ce livre, avec quelques fautes qui ont été relevées dans le Ménagiana. On le désigne d'ordinaire, tout court, sous le nom de Mascurat. C'est là qu'il est incidemment question de Richelieu.

athénienne, avant les élans de la verve de Dionysius sur les Vatels du temps d'Alexandre le Grand.

Un duc d'Albe, sous Philippe IV d'Espagne, resta trois ans couché sur le même côté, parce qu'il avait promis à sa maîtresse de ne se retourner que quand elle le viendrait voir. Or, comme elle ne vint pas, il mourut à la peine (1).

Sous Louis XIII et sous Louis XIV, des personnages de haute distinction coururent les rues déguisés en poissardes, en Scaramouches, en Trivelins (2); et malheureusement ils affectaient de n'avoir plus assez d'eux-mêmes pour ressembler à cet ancien trop attique pour ne pas se découvrir en se déguisant.

Ceci rappelle les étranges équipées de madame de Genlis jeune, mais déjà mariée, courant avec son frère de cabaret en cabaret, et frappant aux fenêtres pour demander à tue-tête du sacré chien, et s'enfuyant pour éviter les coups de bâton (3).

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Qu'on se rappelle aussi Louis XV, enfant mauvais, Louis XV. homme blasé avant d'être homme, promenant ses vaporeux ennuis de la culture des laitues au travail du tour (4), du tour aux pitoyables et impitoyables minuties de l'étiquette et à l'aiguille de tapisserie (5).

Le plus étrange des ministres, Anacréon-Mécène, Richelieu-Trivelin, qui, dans son étourderie spirituelle,

(1) Mémoires secrets sur l'établissement de la Maison de Bourbon en Espagne, extraits de la correspondance du marquis de Louville [par le comte Scipion de Roure]. Paris, 1818, t. II, p. 94.

(2) LORET, Mus. histor., t. XII, pp. 14-22, année 1661.
(3) Mémoires de madame de GENLIS, t. Ier, pp. 236-237.
(4) Mémoires du duc DE LUYNES, t. II.

(5) Idem, t. III.

Fantaisies

de la coterie Maurepas.

voulait rire toujours et rire de tout, le comte de Maurepas, fournissait des gravelures aux facéties des Étrennes de la Saint-Jean, des Écosseuses et du Ballet des Dindons, toutes polissonneries en style de Vadé, et inspirées de la rhétorique du catéchisme poissard (1). Montesquieu lui-même, l'homme le plus paresseux à faire valoir son esprit, et qui en mettait plus dans ses livres que dans sa conversation, daignait, après avoir passé huit jours à aiguiser une épigramme ou le trait d'une chanson, se dérider, en familier du temple de Gnide, avec toute la société du ministre, groupe important de jolis diseurs de riens, qu'on appelait par excellence ces Messieurs : les Moncrif, les Duclos, les Pont de Veyle, les Crébillon fils, les la Chaussée, les Chevrier (2), les Sallé (3), les Voisenon et autres. Ce

(1) Les Étrennes de la Saint-Jean, 1742, 1750, 1751, 1757, sont un volume in-12, formé de pièces de différents auteurs : le comte de Caylus, Maurepas, la Chaussée, Chevrier, etc. Ce recueil a eu plusieurs éditions. Tout l'honneur des Écosseuses est resté au comte de Caylus. Le Ballet des Dindons est de plusieurs mains. Il ne fallait pas moins que plusieurs courages réunis pour achever une pareille œuvre.

(2) François-Antoine Chevrier, né à Nancy au commencement du dix-huitième siècle, mort le 2 juillet 1762, sortait d'une famille de robe. Il avait de l'esprit argent comptant à faire peur, et inonda la ville de brochures satiriques d'un goût toujours équivoque, souvent graveleuses, mais piquantes. C'était un insulteur sans frein, un anecdotier à faire battre des montagnes, au demeurant joyeux compagnon quand il n'écorchait pas, et qui est mort d'indigestion.

(3) Jacques-Antoine Sallé, né en 1712, mort en 1778, jurisconsulte célèbre et digne de sa réputation, fit, en société avec le comte de Caylus, la petite pièce du Somnambule, attribuée mal à propos au frère du comte d'Argental, le comte de Pont-de-Veyle, auteur du Fat puni et du Complaisant. Sallé était lié avec tous les gens de lettres et les artistes de son temps. Le comte de Maurepas l'avait choisi pour son secrétaire durant son premier ministère.

grave et pincé de Montesquieu a travaillé même aux Étrennes de la Saint-Jean, pour se faire de temps à autre bien aise, et suivre comme régime le précepte de Martial : « Riez, si vous êtes sage (1), » ou celui d'Horace : « Mélez à la sagesse un grain de folie (2). » Peut-être retrouvait-il dans cette société quelque chose des gaietés plus que légères de certaines lettres écrites par lui de Venise, et qu'on eût rougi d'imprimer dans ses œuvres. Mais le comte de Caylus, le dessinateur agréable, l'antiquaire de boudoir, assez adroit pour faire croire à sa science, et qui, en écoutant aux portes d'lsis et d'Osiris, en mouchant les lampes de l'antiquité, avait eu l'inappréciable mérite de propager avec succès le goût des arts, trouvait délectation et ivresse à s'ébattre dans ce débraillé ! Certes, pour un homme si proprement frotté d'archéologie, et qui avait si bien le secret de l'emploi de son temps et du temps des autres à son profit, dans les travaux académiques, c'est merveille d'avoir aimé les facéties jusqu'à en écrire douze volumes. Ce peut être incidemment une gaieté, une débauche d'homme d'esprit, mais douze volumes! Du reste, lui attribuer, comme on l'a fait de nos jours, les Souvenirs qui ont été publiés sous son nom, ramassis sentant l'antichambre, et dont Serieys est le coupable, c'est faire injure au comte, c'est trop le punir de ses grosses gaietés égrillardes.

Le comte
Claret

Si Maurepas aimait à rire, le comte de Fleurieu, ministre de la marine sous Louis XVI, aimait à coudre; de Fleurieu.

(1) Ride si sapis. Épigr. II, 41.

(2) Misce stultitiam consiliis brevem. Od. IV, 12, 27.

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