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CHLORIS. Tu sais qu'en tel sujet ce fat toujours de toi
Que mon affection voulut prendre la loi.
TIRCIS. Encor que dans tes yeux tes sentiments se lisent,
Tu veux qu'auparavant les miens les autorisent.
Parlons donc pour la forme. Oui, ma sœur, j'y consens,
Bien sûr que mon avis s'accommode à ton sens.
Fassent les puissants dieux que par cette alliance
Il ne reste entre nous aucune défiance,

Et que, m'aimant en frère, et ma maîtresse en sœur,
Nos ans puissent couler avec plus de douceur !

ERASTE. Heureux dans mon malheur, c'est dont je les supplie;
Mais ma félicité ne peut être accomplie

Jusqu'à ce qu'après vous son aveu m'ait permis
D'aspirer à ce bien que vous m'avez promis.
CHLORIS. Aimez-moi seulement, et, pour la récompense,
On me donnera bien le loisir que j'y pense.
TIRCIS. Oui, sous condition qu'avant la fin du jour
Vous vous rendrez sensible à ce naissant amour.
CHLORIS. Vous prodiguez en vain vos foibles artifices;

Je n'ai reçu de lui ni devoirs, ni services.

MÉLITE. C'est bien quelque raison; mais ceux qu'il m'a rendus,
Il ne les faut pas mettre au rang des pas perdus.
Ma sœur, acquitte-moi d'une reconnoissance
Dont un autre destin m'a mise en impuissance;
Accorde cette grace à nos justes desirs.

TIRCIS. Ne nous refuse pas ce comble à nos plaisirs.
ÉRASTE. Donnez à leurs souhaits, donnez à leurs prières,
Donnez à leurs raisons ces faveurs singulières;
Et pour faire aujourd'hui le bonheur d'un amant,
Laissez-les disposer de votre sentiment.

CHLORIS. En vain en ta faveur chacun me sollicite,
J'en croirai seulement la mère de Mélite;

Son avis m'ôtera la peur du repentir,

Et ton mérite alors m'y fera consentir.

TIRCIS. Entrons donc; et tandis que nous irons le prendre,
Nourrice, va t'offrir pour maîtresse à Philandre.

LA NOURRICE. (Tous rentrent, et elle demeure seule.)
La, la, n'en riez point; autrefois en mon temps
D'aussi beaux fils que vous étoient assez contents,
Et croyoient de leur peine avoir trop de salaire

Quand je quittois un peu mon dédain ordinaire.
A leur compte, mes yeux étoient de vrais soleils
Qui répandoient partout des rayons non pareils;
Je n'avois rien en moi qui ne fût un miracle;
Un seul mot de ma part leur étoit un oracle....
Mais je parle à moi seule. Amoureux, qu'est ceci?
Vous êtes bien hâtés de me laisser ainsi !

Allez, quelle que soit l'ardeur qui vous emporte,
On ne se moque point des femmes de ma sorte;
Et je ferai bien voir à vos feux empressés
Que vous n'en êtes pas encore où vous pensez.

EXAMEN DE MÉLITE.

Cette pièce fut mon coup d'essai, et elle n'a garde d'être dans les règles, puisque je ne savois pas alors qu'il y en eût. Je n'avois pour guide qu'un peu de sens commun, avec les exemples de feu Hardy dont la veine étoit plus féconde que polie, et de quelques modernes qui commençoient à se produire, et qui n'étoient pas plus réguliers que lui. Le succès en fut surprenant : il établit une nouvelle troupe de comédiens à Paris, malgré le mérite de celle qui étoit en possession de s'y voir l'unique; il égala tout ce qui s'étoit fait de plus beau jusques alors, et me fit connoître à la cour. Ce sens commun, qui étoit toute ma règle, m'avoit fait trouver l'unité d'action pour brouiller quatre amants par un seul intrique', et m'avoit donné assez d'aversion de cet horrible déréglement qui mettoit Paris, Rome et Constantinople, sur le même théâtre, pour réduire le mien dans une seule ville.

La nouveauté de ce genre de comédie, dont il n'y a point d'exemple en aucune langue, et le style naïf qui faisoit une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit. On n'avoit jamais vu jusque-là que la comédie fit rire sans personnages ridicules, tels que les valets bouffons, les parasites, les capitans, les docteurs, etc. Celle ci faisoit son effet par l'humeur enjouée de gens d'une condition au-dessus de ceux qu'on voit dans les comédies de Plaute et de Térence, qui n'étoient que des marchands. Avec tout cela, j'avoue que l'auditeur fut bien facile à donner son approbation à une pièce dont le nœud n'avoit aucune justesse. Erastre y fait contrefaire des lettres de Mélite, et les porter à Philandre. Ce Philandre est bien crédule de se persuader d'être aimé d'une personne qu'il n'a jamais entretenue, dont il ne connoît point l'ecriture, et qui lui défend de l'aller voir, cependant 'C'est ainsi que ce mot s'écrivoit et se prononçoit alors.

qu'elle reçoit les visites d'un autre avec qui il doit avoir une amitié assez étroite, puisqu'il est accordé de sa sœur. Il fait plus sur la légèreté d'une croyance si peu raisonnable, il renonce à une affection dont il étoit assuré, et qui étoit prête d'avoir son effet. Éraste n'est pas moins ridicule que lui, de s'imaginer que sa fourbe causera cette rupture, qui seroit toutefois inutile à son dessein, s'il ne savoit de certitude que Philandre, malgré le secret qu'il lui fait demander par Melite dans ces fausses lettres, ne manquera pas à les montrer à Tircis; que eet amant favorisé croira plutôt un caractère qu'il n'a jamais vu, que les assurances d'amour qu'il reçoit tous les jours de sa maîtresse, et qu'il rompra avec elle sans lui parler, de peur de s'en éclaircir. Cette prétention d'Éraste ne pouvoit être supportable, à moins d'une révélation; et Tircis, qui est l'honnête homme de la pièce, n'a pas l'esprit moins léger que les deux autres, de s'abandonner au désespoir par une même facilité de croyance, à la vue de ce caractère inconnu. Les sentiments de douleur qu'il en peut légitimement concevoir devroient du moins l'emporter à faire quelques reproches à celle dont il se croit trahi, et lui donner par-là l'occasion de le dé abuser. La folie d'Éraste n'est pas de meilleure trempe. Je la condamnois dès lors en mon ame; mais comme c'étoit un ornement de théâtre, qui ne manquoit jamais de plaire, et se faisoit souvent admirer, j'affectai volontiers ces grands égarements, et en tirai un effet que je tiendrois encore admirable en ce temps: c'est la manière dont Éraste fait connoître à Philandre, en le prenant pour Minos, la fourbe qu'il lui a faite, et l'erreur où il l'a jeté. Dans tout ce que j'ai fait depuis, je ne pense pas qu'il se rencontre rien de plus adroit pour un dénouement.

Tout le cinquième acte peut passer pour inutile. Tircis et Mélite se sont raccommodés avant qu'il commence, et par conséquent l'action est terminée. Il n'est plus question que de savoir qui a fait la supposition des lettres; et ils pouvoient l'avoir su de Chloris, à qui Philandre l'avoit dit pour se justifier. Il est vrai que cet acte retire Éraste de folie, qu'il le réconcilie avec les deux amants, et fait son mariage avec Chloris; mais tout cela ne regarde plus qu'une action épisodique, qui ne doit pas amuser le théâtre quand la principale est finie; et surtout ce mariage a si peu d'apparence, qu'il est aisé de voir qu'on ne le propose que pour satisfaire à la coutume de ce temps-là, qui étoit de marier tout ce qu'on introduisoit sur la scène. Il semble même que le personnage de Philandre, qui part avec un ressentiment ridicule, dont on ne craint pas l'effet, ne soit point achevé, et qu'il lui falloit quelque cousine de Mélite, ou quelque sœur d'Eraste, pour le réunir avec les autres. Mais dès lors je ne m'assujettissois pas tout-à-fait à cette mode, et je me contentai de faire voir l'assiette de son esprit, sans prendre soin de le pourvoir d'une autre femme.

Quant à la durée de l'action, il est assez visible qu'elle passe l'unité

de jour, mais ce n'en est pas le seul défaut; il y a de plus une inégalité d'intervalle entre les actes qu'il faut éviter. Il doit s'être passé huit ou quinze jours entre le premier et le second, et autant entre le second et le troisième; mais du troisième au quatrième il n'est pas besoin de plus d'une heure, et il en faut encore moins entre les deux derniers, de peur de donner le temps de se ralentir à cette chaleur qui jette Éraste dans l'égarement d'esprit. Je ne sais même si les personnages qui paroissent deux fois dans un même acte (posé que cela soit permis, ce que j'examinerai ailleurs), je ne sais, dis-je, s'ils ont le loisir d'aller d'un quartier de la ville à l'autre, puisque ces quartiers doivent être si éloignés l'un de l'autre, que les acteurs aient lieu de ne pas s'entre-connoître. Au premier acte, Tircis, après avoir quitté Mélite chez elle, n'a que le temps d'environ soixante vers pour aller chez lui, où il rencontre Philandre avec sa sœur, et n'en a guère davantage au second à refaire le même chemin. Je sais bien que la représentation raccourcit la durée de l'action, et qu'elle fait voir en deux heures, sans sortir de la règle, ce qui souvent a besoin d'un jour entier pour s'effectuer; mais je voudrois que, pour mettre les choses dans leur justesse, ce raccourcissement se ménageât dans les intervalles des actes, et que le temps qu'il faut perdre s'y perdit en sorte que chaque acte n'en eût, pour la partie de l'action qu'il représente, que ce qu'il en faut pour sa représentation.

Ce coup d'essai a sans doute encore d'autres irrégularités; mais je ne m'attache pas à les examiner si ponctuellement, que je m'obstine à n'en vouloir oublier aucune. Je pense avoir marqué les plus notables; et, pour peu que le lecteur ait d'indulgence pour moi, j'espère qu'il ne s'offensera pas d'un peu de négligence pour le reste.

FIN DE MÉLITE.

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Je prends avantage de ma témérité; et, quelque défiance que j'aie de Clitandre, je ne puis croire qu'on s'en promette rien de mauvais, après avoir vu la hardiesse que j'ai de vous l'offrir. Il est impossible qu'on s'imagine qu'à des personnes de votre rang, et à des esprits de l'excellence du vôtre, on présente rien qui ne soit de mise, puisqu'il est tout vrai que vous avez un tel dégoût des mauvaises choses, et les savez si nettement démêler d'avec les bonnes, qu'on fait paroître plus de manque de jugement à vous les présenter qu'à les concevoir. Cette vérité est si généralement reconnue, qu'il faudroit n'être pas du monde pour ignorer que votre condition vous relève encore moins par-dessus le reste des hommes que votre esprit, et que les parties qui ont accompagné la splendeur de votre naissance n'ont reçu d'elle que ce qui leur étoit dû : c'est ce qui fait dire aux plus honnêtes gens de notre siècle qu'il semble que le ciel ne vous a fait naître prince qu'afin d'ôter au roi la gloire de choisir votre personne, et d'établir votre grandeur sur la seule reconnoissance de vos vertus: aussi, MONSEIGNEUR, ces considérations m'auroient intimidé, et ce cavalier n'eût jamais osé vous aller entretenir de ma part, si votre permission ne l'en eût autorisé, et comme assuré que vous l'aviez en quelque sorte d'estime, vu qu'il ne vous étoit pas tout-à-fait inconnu. C'est le même qui, par vos commandements, vous fut conter, il y a quelque temps, une partie de ses aventures, autant qu'en pouvoient contenir deux actes de ce poëme encore tout informes, et qui n'étoient qu'à peine ébauchés. Le malheur ne persécutoit point encore son innocence, et ses contentements devoient être en un haut degré, puisque l'affection, la promesse et l'autorité de son prince lui rendoient la possession de sa maîtresse presque infaillible: ses faveurs toutefois ne lui étoient point si chères que celles qu'il recevoit de vous; et jamais il ne se fût plaint de sa prison, s'il y eût tronvé autant de douceur qu'en votre cabinet. Il a couru de grands périls durant sa vie, et n'en court pas de moindres à présent que je tâche à le faire revivre. Son prince le

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