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Tu m'en veux cependant cacher tout le mystère.
Mais je pourrois enfin en croire ma colère,
Et pour punition te priver des avis

Qu'a jusqu'ici ton cœur si doucement suivis.

ELITE. C'est à moi de trembler après cette menace,

Et toute autre du moins trembleroit à ma place.

LA NOURRICE. Ne raillons point. Le fruit qui t'en est demeuré
Je parle sans reproche, et tout considéré)

Vaut bien....... Mais revenons à notre humeur chagrine;
Apprends-moi ce que c'est.

MÉLITE. Veux-tu que je devine?...

Dégoûté d'un esprit si grossier que le mien,

Il cherche ailleurs peut-être un meilleur entretien.
LA NOURRICE. Ce n'est pas bien ainsi qu'un amant perd l'envie
D'une chose deux ans ardemment poursuivie;
D'assurance un mépris l'oblige à se piquer,
Mais ce n'est pas un trait qu'il faille pratiquer.
Une fille qui voit, et que voit la jeunesse,
Ne s'y doit gouverner qu'avec beaucoup d'adresse;
Le dédain lui messied, ou, quand elle s'en sert,
Que ce soit pour reprendre un amant qu'elle perd.
Une heure de froideur, à propos ménagée,
Peut rembraser une ame à demi dégagée,
Qu'un traitement trop doux dispose à des mépris
D'un bien dont cet orgueil fait mieux sentir le prix.
Hors ce cas, il lui faut complaire à tout le monde,
Faire qu'aux vœux de tous l'apparence réponde,
Et, sans embarrasser son cœur de leurs amours,
Leur faire bonne mine, et souffrir leurs discours;
Qu'à part ils pensent tous avoir la préférence,
Et paroissent ensemble entrer en concurrence;
Que tout l'extérieur de son visage égal

Ne rende aucun jaloux du bonheur d'un rival ;
Que ses yeux partagés leur donnent de quoi craindre,
Sans donner à pas un aucun lieu de se plaindre;
Qu'ils vivent tous d'espoir jusqu'au choix d'un mari,
Mais qu'aucun cependant ne soit le plus chéri;
Et qu'elle cède enfin, puisqu'il faut qu'elle cède,
A qui paira le mieux le bien qu'elle possède :
Si tu n'eusses jamais suivi d'autres leçons,

Ton Éraste avec toi vivroit d'autre façon.
MELITE. Ce n'est pas son humeur de souffrir ce partage;
Il croit que mes regards soient son propre héritage,
Et prend ceux que je donne à tout autre qu'à lui
Pour autant de larcins faits sur le bien d'autrui.
LA NOURRICE. J'entends à demi-mot; achève, et m'expédie
Promptement le motif de cette maladie.

MÉLITE. Si tu m'avois, nourrice, entendue à demi
Tu saurois que Tircis...

LA NOURRICE. Quoi! son meilleur ami!

N'a-ce pas été lui qui te l'a fait connoitre?
MÉLITE. Il voudroit que le jour en fût encore à naitre;
Et si d'auprès de moi je l'avois écarté,

Tu verrois tout à l'heure Éraste à mon côté.

LA NOURRICE. J'ai regret que tu sois leur pomme de discorde;
Éraste n'est pas homme à laisser échapper;

Un semblable pigeon ne se peut rattraper :
Il a deux fois le bien de l'autre, et davantage.
MÉLITE. Le bien ne touche point un généreux courage.
LA NOURRICE. Tout le monde l'adore et tâche d'en jouir.
MÉLITE. Il suit un faux éclat qui ne peut m'éblouir.

LA NOURRICE. Auprès de sa splendeur toute autre est fort petite.
MÉLITE. Tu le places au rang qui n'est dû qu'au mérite.
LA NOURRICE. On a trop de mérite étant riche à ce point.
MÉLITE. Les biens en donnent-ils à ceux qui n'en ont point?
LA NOURRICE. Oui, ce n'est que par-là qu'on est considérable.
MÉLITE. Mais ce n'est que par-là qu'on devient méprisable.
Un homme dont les biens font toutes les vertus

Ne peut être estimé que des cœurs abattus.

LA NOURRICE. Est-il quelques défauts que les biens ne réparent?
MELITE. Mais plutôt en est-il où les biens ne préparent?
Étant riche, on méprise assez communément

Des belles qualités le solide ornement;

Et d'un luxe honteux la richesse suivie

Souvent par l'abondance aux vices nous convie.

LA NOURRICE. Enfin je reconnois....

MÉLITE. Qu'avec tout ce grand bien

Un jaloux sur mon cœur n'obtiendra jamais rien.
LA NOURRICE. Et que d'un cajoleur la nouvelle conquête
T'imprime, à mon regret, ces erreurs dans la tête;

Si ta mère le sait...

MÉLITE. Laisse-moi ces soucis,

Et rentre, que je parle à la sœur de Tircis.

LA NOURRICE. Peut-être elle t'en veut dire quelque nouvelle.
HELITE. Ta curiosité te met trop en cervelle.

Rentre, sans t'informer de ce qu'elle prétend;
Un meilleur entretien avec elle m'attend..

SCÈNE II.

CHLORIS, MÉLITE.

CHLORIS. Je chéris tellement celles de votre sorte,
Et prends tant d'intérêt en ce qui leur importe,
Qu'aux pièces qu'on leur fait je ne puis consentir,
Ni même en rien savoir sans les en avertir.
Ainsi donc, au hasard d'être la mal venue,
Encor que je vous sois, peu s'en faut, inconnue,
Je viens vous faire voir que votre affection
N'a pas été fort juste en son élection.

MÉLITE. Vous pourriez, sous couleur de rendre un bon office,
Mettre quelque autre en peine avec cet artifice;
Mais pour m'en repentir j'ai fait un trop bon choix;

Je renonce à choisir une seconde fois ;

Et mon affection ne s'est point arrêtée

Que chez un cavalier qui l'a trop méritée.

CHLORIS. Vous me pardonnerez, j'en ai de bons témoins,
C'est l'homme qui de tous la mérite le moins.
MELITE. Sije n'avois de lui qu'une foible assurance,
Vous me feriez entrer en quelque défiance;
Mais je m'étonne fort que vous l'osiez blâmer,
Ayant quelque intérêt vous-même à l'estimer.
CHLORIS. Je l'estimai jadis, et je l'aime et l'estime
Plus que je ne faisois auparavant son crime.
Ce n'est qu'en ma faveur qu'il ose vous trahir,
Et vous pouvez juger si je le puis haïr,
Lorsque sa trahison m'est un clair témoignage
Du pouvoir absolu que j'ai sur son courage.
MÉLITE. Le pousser à me faire une infidélité,
C'est assez mal user de cette autorité.

CHLORIS. Me le faut-il pousser où son devoir l'oblige?

C'est son devoir qu'il suit alors qu'il vous néglige.
MÉLITE. Quoi! le devoir chez vous oblige aux trahisons!
CHLORIS. Quand il n'en auroit point de plus justes raisons,
La parole donnée, il faut que l'on la tienne.

MÉLITE. Cela fait contre vous ; il m'a donné la sienne.
CHLORIS. Oui, mais ayant déja reçu mon amitié,
Sur un vœu solennel d'être un jour sa moitié,
Peut-il s'en départir pour accepter la vôtre?

MÉLITE. De grace, excusez-moi, je vous prends pour une autre,
Et c'étoit à Chloris que je croyois parler.

CHLORIS. Vous ne vous trompez pas.

MÉLITE. Donc, pour mieux me railler,

La sœur de mon amant contrefait ma rivale?

CHLORIS. Donc, pour mieux m'éblouir, une ame déloyale
Contrefait la fidèle? Ah! Mélite, sachez

Que je ne sais que trop ce que vous me cachez.
Philandre m'a tout dit: vous pensez qu'il vous aime;
Mais, sortant d'avec vous, il me conte lui-même
Jusqu'aux moindres discours dont votre passion
Tâche de suborner son inclination.

MÉLITE. Moi, suborner Philandre! ah! que m'osez-vous dire !
CHLORIS. La pure vérité.

MÉLILE. Vraiment, en voulant rire,
Vous passez trop avant; brisons là, s'il vous plaît.
Je ne vois point Philandre, et ne sais quel il est.
CHLORIS. Vous en croirez du moins votre propre écriture.
Tenez, voyez, lisez.

MÉLITE. Ah, dieux ! quelle imposture !

Jamais un de ces traits ne partit de ma main.
CHLORIS. Nous pourrions demeurer ici jusqu'à demain,
Que vous persistericz dans la méconnoissance :

Je vous les laisse. Adieu.

MÉLITE. Tout beau, mon innocence
Veut apprendre de vous le nom de l'imposteur,
Pour faire retomber l'affront sur son auteur.

CHLORIS. Vous pensez me duper, et perdez votre peine.
Que sert le désaveu quand la preuve est certaine?
A quoi bon démentir, à quoi bon dénier?...
MELITE. Ne vous obstinez point à me calomnier;
Je veux que si jamais j'ai dit mot à Philandre....

CHLORIS. Remettons ce discours: quelqu'un vient nous surprendre;
C'est le brave Lisis, qui semble sur le front
Porter empreints les traits d'un déplaisir profond.

SCÈNE III.

LISIS, MÉLITE, CHLORIS.

LISIS, à Chloris. Préparez vos soupirs à la triste nouvelle
Du malheur où nous plonge un esprit infidèle;

Quittez son entretien, et venez avec moi

Plaindre un frère au cercueil par son manque de foi. NÉLITE. Quoi, son frère au cercueil!

LISIS. Oui, Tircis, plein de rage

De voir que votre change indignement l'outrage,
Maudissant mille fois le détestable jour

Que votre bon accueil lui donna de l'amour,
Dedans ce désespoir a chez moi rendu l'ame;
Et mes yeux désolés....

MÉLITE. Je n'en puis plus; je pâme.

CHLORIS. Au secours! au secours !

SCÈNE IV.

CLITON, LA NOURRICE, MÉLITE, LISIS, CHLORIS.

CLITON. D'où provient cette voix?

LA NOURRICE. Qu'avez-vous, mes enfants?

CHLORIS. Mélite, que tu vois... LA NOURRICE. Hélas! elle se meurt; son teint vermeil s'efface,

Sa chaleur se dissipe; elle n'est plus que glace.

LISIS, à Cliton. Va quérir un peu d'eau; mais il faut te håter.
CLITON, à Lisis. Si proches du logis, il vaut mieux l'y porter.
CHLORIS Aidez mes foibles pas; les forces me défaillent,
Et je vais succomber aux douleurs qui m'assaillent.

SCÈNE V.
ÉRASTE.

A la fin je triomphe, et les destins amis

M'ont donné le succès que je m'étois promis.
Me voilà trop heureux, puisque par mon adresse

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