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De mon frère par-là soulage un peu les plaies;
Accorde un faux remède à des douleurs si vraies;
Feins, déguise avec lui, trompe-le par pitié,

Ou du moins par vengeance et par inimitié.

ANGÉLIQUE. Le beau prix qu'il auroit de m'avoir tant chérie,
Si je ne le payois que d'une tromperie!

Pour salaire des maux qu'il endure en m'aimant,
Il aura qu'avec lui je vivrai franchement.
PHYLIS. Franchement, c'est-à-dire avec mille rudesses
Le mépriser, le fuir, et, par quelques adresses
Qu'il tâche d'adoucir... Quoi, me quitter ainsi !
Et sans me dire adieu ! le sujet ?

SCÈNE II.

DORASTE, PHYLIS.

DORASTE. Le voici.

Ma sœur, ne cherche plus une chose trouvée :
Sa fuite n'est l'effet que de mon arrivée;
Ma présence la chasse; et son muet départ
A presque devancé son dédaigneux regard.
PHYLIS. Juge par-là quels fruits produit mon entremise.
Je m'acquitte des mieux de la charge commise;
Je te fais plus parfait mille fois que tu n'es:
Ton feu ne peut aller au point où je le mets;
J'invente des raisons à combattre sa haine;
Je blâme, flatte, prie, et perds toujours ma peine,
En grand péril d'y perdre encor son amitié,
Et d'être en tes malheurs avec toi de moitié.
DORASTE. Ah! tu ris de mes maux.

PHYLIS. Que veux-tu que je fasse?

Ris des miens, si jamais tu me vois en ta place.

Que serviroient mes pleurs? veux-tu qu'à tes tourments J'ajoute la pitié de mes ressentiments?

Après mille mépris qu'a reçus ta folie,

Tu n'es que trop chargé de ta mélancolie;
Si j'y joignois la mienne, elle t'accableroit,
Et de mon déplaisir le tien redoubleroit;
Contraindre mon humeur me seroit un supplice
Qui me rendroit moins propre à te faire service.

Vois tu? par tous moyens je te veux soulager;
Mais j'ai bien plus d'esprit que de m'en affliger.
Il n'est point de douleur si forte en un courage
Qui ne perde sa force auprès de mon visage;
C'est toujours de tes maux autant de rabattu :
Confesse, ont-ils encor le pouvoir qu'ils ont eu!
Ne sens-tu point déja ton ame un peu plus gaie?
DORASTE. Tu me forces à rire en dépit que j'en aie '.
Je souffre tout de toi, mais à condition

D'employer tous tes soins à mon affection.

Dis-moi par quelle rusc il faut...

PHYLIS. Rentrons, mon frère :

Un de mes amants vient, qui pourroit nous distraire.

SCÈNE III.

CLEANDRE.

Que je dois bien faire pitié

De souffrir les rigueurs d'un sort si tyrannique!
J'aime Alidor, j'aime Angélique;

Mais l'amour cède à l'amitié,

Et jamais on n'a vu sous les lois d'une belle
D'amant si malheureux, ni d'ami si fidèle.
Ma bouche ignore mes desirs;

Et, de peur de se voir trahi par imprudence,
Mon cœur n'a point de confidence

Avec mes yeux ni mes soupirs:

Tous mes vœux sont muets, et l'ardeur de ma flamme
S'enferme tout entière au-dedans de mon ame.

Je feins d'aimer en d'autres lieux;

Et, pour en quelque sorte alléger mon supplice,
Je porte du moins mon service

A celle qu'elle aime le mieux.
Phylis, à qui j'en conte, a beau faire la fine;
Son plus charmant appåt, c'est d'être sa voisine.
Esclave d'un ceil si puissant,

Jusque là seulement me laisse aller ma chaîne,

'En dépit que j'en aie. Façon de parler tombée en désuétude. On diroit aujourjourd'hui malgré moi et cette locution a tout à la fois plus de clarté et plus de simplici.é.

Trop récompensé dans ma peine,

D'un de ses regards en passant.

Je n'en veux à Phylis que pour voir Angélique;
Et mon feu, qui vient d'elle, auprès d'elle s'explique.
Ami, mieux aimé mille fois,

Faut-il, pour m'accabler de douleurs infinies,
Que nos volontés soient unies

Jusqu'à faire le même choix?

Viens quereller mon cœur d'avoir tant de foiblesse
Que de se laisser prendre au même ceil qui te blesse.
Mais plutôt vois te préférer

A celle que le tien préfère à tout le monde,
Et ton amitié sans seconde

N'aura plus de quoi murmurer.

Ainsi je veux punir ma flamme déloyale;
Ainsi...

SCÈNE IV.

ALIDOR, CLEANDRE.

ALIDOR. Te rencontrer dans la place Royale,
Solitaire, et si près de ta douce prison,

Montre bien que Phylis n'est pas à la maison.
CLEANDRE. Mais voir de ce côté ta démarche avancée

Montre bien qu'Angélique est fort dans ta pensée. ALIDOR. Hélas! c'est mon malheur! son objet trop charmant, Quoique je puisse faire, y règne absolument.

CLEANDRE. De ce pouvoir peut-être elle use en inhumaine?
ALIDOR. Rien moins, et c'est par-là que redouble ma peine :
Ce n'est qu'en aimant trop qu'elle me fait mourir ;

Un moment de froideur, et je pourrois guérir;
Une mauvaise œillade, un peu de jalousie,

Et j'en aurois soudain passé ma fantaisie :
Mais las! elle est parfaite, et sa perfection
N'approche point encor de son affection;
Point de refus pour moi, point d'heures inégales;
Accablé de faveurs à mon repos fatales,
Sitôt qu'elle voit jour à d'innocents plaisirs,
Je vois qu'elle devine et prévient mes desirs;
Et, si j'ai des rivaux, sa dédaigneuse vue

Les désespère autant que son ardeur me tue.
CLEANDRE. Vit-on jamais amant de la sorte enflammé,
Qui se tint malheureux pour être trop aimé?
ALIDOR. Comptes-tu mon esprit entre les ordinaires?
Penses-tu qu'il s'arrête aux sentiments vulgaires?
Les règles que je suis ont un air tout divers;
Je veux la liberté dans le milieu des fers.
Il ne faut point servir d'objet qui nous possède;
Il ne faut point nourrir d'amour qui ne nous cède:
Je le hais, s'il me force: et, quand j'aime, je veux
Que de ma volonté dépendent tous mes vœux;
Que mon feu m'obéisse, au lieu de me contraindre;
Que je puisse à mon gré l'enflammer et l'éteindre,
EL, toujours en état de disposer de moi,
Donner, quand il me plait, et retirer ma foi.
Pour vivre de la sorte Angélique est trop belle:
Mes pensers ne sauroient m'entretenir que d'elle;
Je sens de ses regards mes plaisirs se borner;
Mes pas d'autre côté n'oseroient se tourner;
Et de tous mes soucis la liberté bannie
Me soumet en esclave à trop de tyrannie.
J'ai honte de souffrir les maux dont je me plains,
Et d'éprouver ses yeux plus forts que mes desseins.
Je n'ai que trop langui sous de si rudes gênes;
A tel prix que ce soit, il faut rompre mes chaînes,
De crainte qu'un hymen m'en ôtant le pouvoir,
Fit d'un amour par force un amour par devoir.
CLEANDRE. Crains-tu de posséder un objet qui te charme?
ALIDOR. Ne parle point d'un noeud dont le seul nom m'alarme.
J'idolâtre Angélique : elle est belle aujourd'hui,

Mais sa beauté peut-elle autant durer que lui?
Et, pour peu qu'elle dure, aucun me peut-il dire
Si je pourrai l'aimer jusqu'à ce qu'elle expire?
Du temps, qui change tout, les révolutions
Ne changent-elles pas nos résolutions?
Est-ce une humeur égale et ferme que la nôtre?
N'a-t-on point d'autre goût en un àge qu'en l'autre?
Juge alors le tourment que c'est d'être attaché,
Et de ne pouvoir rompre un si fâcheux marché.
Cependant Angélique, à force de me plaire,

Me flatte doucement de l'espoir du contraire,
Et, si d'autre façon je ne me sais garder,

Je sens que ses attraits m'en vont persuader.
Mais puisque son amour me donne tant de peine,
Je la veux offenser pour acquérir sa haine,
Et mériter enfin un doux commandement
Qui prononce l'arrêt de mon bannissement.
Ce remède est cruel, mais pourtant nécessaire :
Puisqu'elle me plaît trop, il me faut lui déplaire.
Tant que j'aurai chez elle encor le moindre accès,
Mes desseins de guérir n'auront point de succès.
CLEANDRE. Étrange humeur d'amant !

ALIDOR. Étrange, mais utile.

Je me procure un mal pour en éviter mille.

CLEANDRE. Tu ne prévois donc pas ce qui t'attend de maux,

Quand un rival aura le fruit de tes travaux?

Pour se venger de toi, cette belle offensée
Sous les lois d'un mari sera bientôt passée;
Et lors, que de soupirs et de pleurs répandus

Ne te rendront aucun de tant de biens perdus!

ALIDOR. Dis mieux, que, pour rentrer dans mon indifférence,
Je perdrai mon amour avec mon espérance,
Et qu'y trouvant alors sujet d'aversion,

Ma liberté naîtra de ma punition.

CLEANDRE. Après cette assurance, ami, je me déclare.
Amoureux dès long-temps d'une beauté si rare,
Toi seul de la servir me pouvois empêcher;
Et je n'aimois Phylis que pour m'en approcher.
Souffre donc maintenant que, pour mon allégeance,
Je prenne, si je puis, le temps de sa vengeance;
Que des ressentiments qu'elle aura contre toi
Je tire un avantage en lui portant ma foi;
Et que cette colère, en son ame conçue,
Puisse de mes desirs faciliter l'issue.

ALIDOR. Si ce joug inhumain, ce passage trompeur,
Ce supplice éternel, ne te fait point de peur,
A moi ne tiendra pas que la beauté que j'aime
Ne me quitte bientôt pour un autre moi-même.
Tu portes en bon lieu tes desirs amoureux;
Mais songe que l'hymen fait bien des malheureux.

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