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CHLORIS. J'eusse osé le gager qu'ainsi par quelque ruse
Ton crime officieux porteroit son excuse.
PHILANDRE. Ton adorable objet, mon unique vainqueur,
Fait naître chaque jour tant de feux en mon cœur,
Que leur excès m'accable, et que pour m'en défaire
J'y cherche des défauts qui puissent me déplaire :
J'examine ton teint dont l'éclat me surprit,

Les traits de ton visage et ceux de ton esprit;

Mais je n'en puis trouver un seul qui ne me charme.
CHLORIS. Et moi, je suis ravie, après ce peu d'alarme,
Qu'ainsi tes sens trompés te puissent obliger
A chérir ta Chloris, et jamais ne changer.
PHILANDRE. Ta beauté te répond de ma persévérance,
Et ma foi qui t'en donne une entière assurance...
CHLORIS. Voilà fort doucement dire que, sans ta foi,
Ma beauté ne pourroit te conserver à moi.
PHILANDRE. Je traiterois trop mal une telle maîtresse
De l'aimer seulement pour tenir ma promesse :
Ma passion en est la cause, et non l'effet;
Outre que tu n'as rien qui ne soit si parfait,
Qu'on ne peut te servir sans voir sur ton visage
De quoi rendre constant l'esprit le plus volage.
CHLORIS. Ne m'en conte point tant de ma perfection;
Tu dois être assuré de mon affection;

Et tu perds tout l'effort de ta galanterie,
Si tu crois l'augmenter par une flatterie.
Une fausse louange est un blâme secret :
Je suis belle à tes yeux, il suffit, sois discret;
C'est mon plus grand bonheur, et le seul où j'aspire.
PHILANDRE. Tu sais adroitement adoucir mon martyre.
Mais parmi les plaisirs qu'avec toi je ressens,
A peine mon esprit ose croire mes sens,
Toujours entre la crainte et l'espoir en balance;
Car s'il faut que l'amour naisse de ressemblance,
Mes imperfections nous éloignant si fort,
Qu'oserois-je prétendre en ce peu de rapport?
CHLORIS. Du moins ne prétends pas qu'à présent je te loue,
Et qu'un mépris rusé, que ton cœur désavoue,

Me mette sur la langue un babil affété,

Pour te rendre à mon tour ce que tu m'as prêté :

Au contraire, je veux que tout le monde sache
Que je connois en toi des défauts que je cache.
Quiconque avec raison peut être négligé

A qui le veut aimer est bien plus obligé.

PHILANDRE. Quant à toi, tu te crois de beaucoup plus aimable?
CHLORIS. Sans doute; et qu'aurois-tu qui me fût comparable?
PHILANDRE. Regarde dans mes yeux, et reconnois qu'en moi
On peut voir quelque chose aussi parfait que toi.
CHLORIS. C'est sans difficulté, m'y voyant exprimée.
PHILANDRE. Quitte ce vain orgueil dont ta vue est charmée.
Tu n'y vois que mon cœur, qui n'a plus un seul trait
Que ceux qu'il a reçus de ton charmant portrait,
Et qui, tout aussitôt que tu t'es fait paroître,
Afin de te mieux voir, s'est mis à la fenêtre.

CHLORIS. Le trait n'est pas mauvais; mais, puisqu'il te plaît tant,
Regarde dans mes yeux, ils t'en montrent autant;
Et nos feux tout pareils ont mêmes étincelles.
PHILANDRE. Ainsi, chère Chloris, nos ardeurs mutuelles,
Dedans cette union prenant un même cours,
Nous préparent un heur qui durera toujours.
Cependant, en faveur de ma longue souffrance...
CHLORIS. Tais-toi, mon frère vient.

SCÈNE V.

TIRCIS, PHILANDRE, CHLORIS.

TIRCIS. Si j'en crois l'apparence,

Mon arrivée ici fait quelque contre-temps. PHILANDRE. Que t'en semble, Tircis?

TIRCIS. Je vous vois si contents,

Qu'à ne vous rien celer touchant ce qu'il me semble
Du divertissement que vous preniez ensemble,
De moins sorciers que moi pourroient bien devincr
Qu'un troisième ne fait que vous importuner.

CHLORIS. Dis ce que tu voudras; nos feux n'ont point de crimes,
Et pour t'appréhender ils sont trop légitimes,

Puisqu'un hymen sacré promis ces jours passés,

Sous ton consentement, les autorise assez.
TIRCIS. Ou je te connois mal, ou son Leure tardive
Te désoblige fort de ce qu'elle n'arrive.

CHLORIS. Ta belle humeur te tient, mon frère.

CHLORIS. Le sujet?

TIRCIS. Assurément.

TIRCIS. J'en ai trop dans ton contentement.

CHLORIS. Le cœur t'en dit d'ailleurs.

J'ai vu je ne sais quoi...

TIRCIS. Il est vrai, je te jure;

CHLORIS. Dis tout, je t'en conjure.
TIRCIS. Ma foi, si ton Philandre avoit vu de mes yeux,
Tes affaires, ma sœur, n'en iroient guère mieux.
CHLORIS. J'ai trop de vanité pour croire que Philandre
Trouve encore après moi qui puisse le surprendre.
TIRCIS. Tes vanités à part, repose-t'en sur moi,
Que celle que j'ai vue est bien autre que toi.
PHILANDRE. Parle mieux de l'objet dont mon ame est ravie;
Ce blasphème à tout autre auroit coûté la vie.

TIRCIS. Nous tomberons d'accord sans nous mettre en pourpoint.
CHLORIS. Encor, cette beauté, ne la nomme-t-on point?
TIRCIS. Non pas sitôt. Adieu : ma présence importune
Te laisse à la merci d'amour et de la brune.
Continuez les jeux que vous avez quittés.
CHLORIS. Ne crois pas éviter mes importunités :
Ou tu diras le nom de cette incomparable,
Ou je vais de tes pas me rendre inséparable.
TIRCIS. Il n'est pas fort aisé d'arracher ce secret.
Adieu ne perds point temps.

CHLORIS. O l'amoureux discret!

Eh bien! nous allons voir si tu sauras te taire.

PHILANDRE. (Il retient Chloris qui suit son frère.) C'est donc ainsi qu'on quitte un amant pour un frère? CHLORIS. Philandre, avoir un peu de curiosité,

Ce n'est pas envers toi grande infidélité :

Souffre que je dérobe un moment à ma flamme,
Pour lire malgré lui jusqu'au fond de son ame.
Nous en rirons après ensemble, si tu veux.

PHILANDRE. Quoi! c'est là tout l'état que tu fais de mes feux?
CHLORIS. Je ne t'aime pas moins, pour être curieuse,

Et ta flamme à mon coeur n'est pas moins précieuse.
Conserve-moi le tien, et sois sûr de ma foi.

PHILANDRE. Ab, folle! qu'en t'aimant il faut souffrir de toi!

ACTE SECOND.

SCÈNE I.

ERASTE.

Je l'avois bien prévu que ce cœur infidèle
Ne se défendroit point des yeux de ma cruelle,
Qui traite mille amants avec mille mépris,
Et n'a point de faveurs que pour le dernier pris.
Sitôt qu'il l'aborda, je lus sur son visage
De sa déloyauté l'infaillible présage;
In inconnu frisson dans mon corps épandu
Me donna les avis de ce que j'ai perdu.
Depuis, cette volage évite ma rencontre,
Ou, si malgré ses soins le hasard me la montre,
Si je puis l'aborder, son discours se confond,
Son esprit en désordre à peine me répond;
Une réflexion vers le traître qu'elle aime

Presque à tous les moments le ramène en lui-même;
Et, tout rêveur qu'il est, il n'a point de soucis
Qu'un soupir ne trahisse au seul nom de Tircis.
Lors, par le prompt effet d'un changement étrange,
Son silence rompu se déborde en louange.
Elle remarque en lui tant de perfections,
Que les moins éclairés verroient ses passions;
Sa bouche ne se plaît qu'en cette flatterie,
Et tout autre propos lui rend sa rêverie.
Cependant, chaque jour aux discours attachés,
Ils ne retiennent plus leurs sentiments cachés;
Ils ont des rendez-vous où l'amour les assemble;
Encore hier sur le soir je les surpris ensemble;
Encor tout de nouveau je la vois qui l'attend.
Que cet ceil assuré marque un esprit content!
Perds tout respect, Éraste, et tout soin de lui plaire;
Rends, sans plus diff rer, ta vengeance exemplaire ;
Mais il vaut mieux t'en rire, et pour dernier effort
Lui montrer en raillant combien elle a de tort.

SCÈNE II.

ÉRASTE, MÉLITE.

ÉRASTE. Quoi, seule et sans Tircis? vraiment c'est un prodige;
Et ce nouvel amant déja trop vous néglige,
Laissant ainsi couler la belle occasion

De vous conter l'excès de son affection.

MÉLITE. Vous savez que son ame en est fort dépourvue.
ERASTE. Toutefois, ce dit-on, depuis qu'il vous a vue,
Il en porte dans l'ame un si doux souvenir,
Qu'il n'a plus de plaisir qu'à vous entretenir.
MÉLITE. Il a lieu de s'y plaire avec quelque justice.
L'amour ainsi qu'à lui me paroît un supplice;
Et sa froideur, qu'augmente un si lourd entretien,
Le résout d'autant mieux à n'aimer jamais rien.
ÉRASTE. Dites à n'aimer rien que la belle Mélite.
MÉLITE. Pour tant de vanité j'ai trop peu de mérite.
ÉRASTE. En faut-il tant avoir pour ce nouveau venu?
MÉLITE. Un peu plus que pour vous.

:

ÉRASTE. De vrai, j'ai reconnu,
Vous ayant pu servir deux ans, et davantage,
Qu'il faut si peu que rien à toucher mon courage.
MÉLITE. Encor si peu que c'est vous étant refusé,
Présumez comme ailleurs vous serez méprisé.
ÉRASTE. Vos mépris ne sont pas de grande conséquence,
Et ne vaudront jamais la peine que j'y pense;
Sachant qu'il vous voyoit, je m'étois bien douté
Que je ne serois plus que fort mal écouté.
MÉLITE. Sans que mes actions de plus près j'examine,
A la meilleure humeur je fais meilleure mine;
Et s'il m'osoit tenir de semblables discours,

Nous romprions ensemble avant qu'il fût deux jours.
ERASTE. Si chaque objet nouveau de même vous engage,
Il changera bientôt d'humeur et de langage.
Caressé maintenant aussitôt qu'aperçu,
Qu'auroit-il à se plaindre, étant si bien reçu?
MELITE. Éraste, voyez-vous, trève de jalousie;
Purgez votre cerveau de cette frénésie :
Laissez en liberté mes inclinations.

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