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SCÈNE VIII.

PLEIRANTE, CHRYSANTE, LYSANDRE, DORIMANT,
CÉLIDÉE, HIPPOLYTE, FLORICE.

DORIMANT, à Chrysante.

Madame, un pauvre amant, captif de cette belle,
Implore le pouvoir que vous avez sur elle;
Tenant ses volontés, vous gouvernez mon sort.
J'attends de votre bouche ou la vic ou la mort.
CHRYSANTE, à Dorimant.
Un homme tel que vous, et de votre naissance,
Ne peut avoir besoin d'implorer ma puissance.
Si vous avez gagné ses inclinations,

Soyez sûr du succès de vos affections:

Mais je ne suis pas femme à forcer son courage;
Je sais ce que la force est en un mariage.
Il me souvient encor de tous mes déplaisirs
Lorsqu'un premier hymen contraignit mes desirs;
Et, sage à mes dépens, je veux bien qu'Hippolyte
Prenne ou laisse, à son choix, un homme de mérite.
Ainsi présumez tout de mon consentement,

Mais ne prétendez rien de mon commandement.

DORIMANT, à Hippolyte. Après un tel aveu serez-vous inhumaine? HIPPOLYTE, à Chrysante.

Madame, un mot de vous me mettroit hors de peine.

Ce que vous remettez à mon choix d'accorder,

Vous feriez beaucoup mieux de me le commander. PLEIRANTE, à Chrysante. Elle vous montre assez où son desir se porte.

CHRYSANTE. Puisqu'elle s'y résout, le reste ne m'importe.

DORIMANT. Ce favorable mot me rend le plus heureux

De tout ce que jamais on a vu d'amoureux.

LISANDRE. J'en sens croître la joie au milieu de mon ame,
Comme si de nouveau l'on acceptoit ma flamme.
HIPPOLYTE, à Lysandre.

Ferez-vous donc enfin quelque chose pour moi?

LISANDRE. Tout, hormis ce seul point, de lui manquer de foi. HIPPOLYTE. Pardonnez donc à ceux qui, gagnés par Florice, Lorsque je vous aimois, m'ont fait quelque service. LYSANDRE. Je vous entends assez; soit. Aronte impuni

Pour ses mauvais conseils ne sera point banni;

Tu le souffriras bien, puisqu'elle m'en supplie.
CÉLIDÉE. Il n'est rien que pour elle et pour toi je n'oublie.
PLEIRANTE. Attendant que demain ces deux couples d'amants
Soient mis au plus haut point de leurs contentements,
Allons chez moi, madame, achever la journée.

CHRYSANTE. Mon cœur est tout ravi de ce double hyménée.
FLORICE. Mais, afin que la joie en soit égale à tous,

(montrant Pleirante.)

Faites encor celui de monsieur et de vous.

1

CHRYSANTE. Outre l'âge en tous deux un peu trop refroidie,
Cela sentiroit trop sa fin de comédie.

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EXAMEN DE LA GALERIE DU PALAIS.

Ce titre seroit tout-à-fait irrégulier, puisqu'il n'est fondé que sur le spectacle du premier acte, où commence l'amour de Dorimant pour Hippolyte, s'il n'étoit autorisé par l'exemple des anciens, qui étoient sans doute encore bien plus licencieux, quand ils ne donnoient à leurs tragédies que le nom des chœurs, qui n'étoient que témoins de l'action, comme les Trachiniennes et les Pheniciennes. L'Ajax même de Sophocle ne porte pas pour titre la Mort d'Ajax, qui est sa principale action, mais Ajax porte-fouet, qui n'est que l'action du premier acte. Je ne parle point des Nuées, des Guêpes et des Grenouilles d'Aristophane: ceci doit suffire pour montrer que les Grecs, nos premiers maîtres, ne s'attachoient point à la principale action pour en faire porter le nom à leurs ouvrages, et qu'ils ne gardoient aucune règle sur cet article. J'ai donc pris ce titre de la Galerie du Palais, parceque la promesse de ce spectacle extraordinaire et agréable pour sa naïveté devoit exciter vraisemblablement la curiosité des auditeurs; et ç'a été pour leur plaire plus d'une fois, que j'ai fait paroître ce même spectacle à la fin du quatrième acte, où il est entièrement inutile, et n'est renoué avec celui du premier que par des valets qui viennent prendre dans les boutiques ce que leurs maîtres y avoient acheté, ou voir si les marchands ont reçu

'Le genre du mot áge n'étoit pas encore fixé du temps de Corneille. Malherbe le faisoit indifféreminent masculin et féminin:

Quoi que l'âge passé raconte...

Que d'hommes fortunés en leur àge première...

Il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer que, dans le dernier vers, sentir sa fin de comédie signifie avoir l'air d'étre amené exp) ès pour finir la comédie. Cette Jongue périphrase, dont on seroit obligé de se servir aujourd'hui pour être compris, fait disparoître toute la vivacité de la locution employée par Corneille.

les nippes qu'ils attendoient. Cette espèce de renouement lui étoit nécessaire, afin qu'il eût quelque liaison qui lui fit trouver sa place, et qu'il ne fût pas tout-à-fait hors-d'œuvre. La rencontre que j'y fais faire d'Aronte et de Florice est ce qui le fixe particulièrement en ce lieu-là; et, sans cet incident, il eût été aussi propre à la fin du second ou du troisième, qu'en la place qu'il occupe. Sans cet agrément la pièce auroit été t ès régulière pour l'unité de lieu et la liaison des scènes, qui n'est interrompue que par-là. Célidée et Hippolyte sont deux voisines dont les demeures ne sont séparées que par le travers d'une rue, et ne sont pas d'une condition trop élevée pour souffrir que leurs amants les entretiennent à leur porte. Il est vrai que ce qu'elles y disent seroit mieux dit dans une chambre ou dans une salle. Ce n'est que pour se faire voir aux spectateurs qu'elles quittent cette porte où elles devroient élre retranchées, et viennent parler au milieu de la scène; mais c'est un accommodement de théâtre qu'il faut souffrir pour trouver cette rigoureuse unité de lieu qu'exigent les grands réguliers. Il sort un peu de l'exacte vraisemblance et de la bienséance même; mais il est presque impossible d'en user autrement; et les spectateurs y sont si accoutumés, qu'ils n'y trouvent rien qui les blesse. Les anciens, sur les exemples desquels on a formé les règles, se donnoient cette liberté; ils choisissoient pour le lieu de leurs comédies, et même de leurs tragédies, une place publique ; mais je m'assure qu'à les bien examiner, il y a plus de la moitié de ce qu'ils font dire qui seroit mieux dit dans la maison qu'en cette place. Je n'en produirai qu'un exemple, sur qui le lecteur en pourra trouver d'autres.

L'Andrienne de Térence commence par le vieillard Simon, qui revient du marché avec des valets chargés de ce qu'il vient d'acheter pour les noces de son fils; il leur commande d'entrer dans sa maison avec leur charge, et retient avec lui Sosie, pour lui apprendre que ces noces ne sont que des noces feintes, à dessein de voir ce qu'en dira son fils, qu'il croit engagé dans une autre affection dont il lui conte l'histoire. Je ne pense pas qu'aucun me dénie qu'il seroit mieux dans sa salle à lui faire confidence de ce secret, que dans une rue. Dans la seconde scène, il menace Davus de le maltraiter, s'il fait aucune fourbe pour troubler ces noces : il le menaceroit plus à propos dans sa maison qu'en public; et la seule raison qui le fait parler devant son logis, c'est afin que ce Davus, demeuré seul, puisse voir Mysis sortir de chez Glycère, et qu'il se fasse une liaison d'œil entre ces deux scènes; ce qui ne regarde pas l'action présente de cette première, qui se passeroit micux dans la maison, mais une action future qu'ils ne prévoient point, et qui est plutôt du dessein du poëte, qui force un peu la vraisemblance pour observer les règles de son art, que du choix des acteurs qui ont à parler, et qui ne seroient pas où les met le poëte, s'il n'étoit question que de dire ce qu'il leur fait dire. Je laisse aux curieux à examiner le

reste de cette comédie de Térence; et je veux croire qu'à moins que d'avoir l'esprit fort préoccupé d'un sentiment contraire, ils demeureront d'accord de ce que je dis.

Quant à la durée de cette pièce, elle est dans le même ordre que la précédente, c'est-à-dire dans cinq jours consécutifs. Le style en est plus fort et plus dégagé des pointes dont j'ai parlé, qui s'y trouveront assez rares. Le personnage de nourrice, qui est de la vieille comédie, et que le manque d'actrices sur nos théâtres y avoit conservé jusqu'alors, afin qu'un homme le pût représenter sous le masque, se trouve ici métamorphosé en celui de suivante, qu'une femme représente sur son visage. Le caractère des deux amantes a quelque chose de choquant, en ce qu'elles sont toutes deux amoureuses d'hommes qui ne le sont point d'elles, et Célidée particulièrement s'emporte jusqu'à s'offrir elle-même. On la pourroit excuser sur le violent dépit qu'elle a de s'être vue méprisée par son amant, qui, en sa présence même, a conté des fleurettes à une autre; et j'aurois de plus à dire que nous ne mettons pas sur la scène des personnages si parfaits, qu'ils ne soient sujets à des défauts et aux foiblesses qu'impriment les passions; mais je veux bien avouer que cela va trop avant, et passe trop la bienséance et la modestie du sexe, bien qu'absolument il ne soit pas condamnable. En récompense, le cinquième acte est moins traînant que celui des précédentes, et conclut deux mariages sans laisser aucun mécontentement; ce qui n'arrive pas dans celles-là.

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Je vous présente une comédie qui n'a pas été également aimée de toutes sortes d'esprits; beaucoup et de fort bons n'en ont pas fait grand état, et beaucoup d'autres l'ont mise au-dessus du reste des miennes. Pour moi, je laisse dire tout le monde, et fais mon profit des bons avis, de quelque part que je les reçoive. Je traite toujours mon sujet le moins mal qu'il m'est possible; et, après y avoir corrigé ce qu'on me fait connoitre d'inexcusable, je l'abandonne au public. Si je ne fais bien, qu'un autre fasse mieux; je ferai des vers à sa louange, au lieu de le censurer. Chacun a sa méthode; je ne blâme point celle des autres, et me tiens à la mienne : jusques à présent je m'en suis trouvé fort bien; j'en chercherai une meilleure quand je commencerai à m'en trouver mal. Ceux qui se font presser à la représentation de mes ouvrages m'obligent infiniment; ceux qui ne les approuvent pas peuvent se dispenser d'y venir gagner la migraine; ils épargneront de l'argent, et me feront plaisir. Les jugements sont libres en ces matières, et les goûts divers. J'ai vu des personnes de fort bon sens admirer des endroits sur qui j'aurois passé l'éponge, et j'en connois dont les poëmes réussissent au théâtre avec éclat, et qui, pour principaux ornements, y emploient des choses que j'évite dans les miens. Ils pensent avo'r raison, et moi aussi : qui d'eux ou de moi se trompe? c'est ce qui n'est pas aisé à juger. Chez les philosophes, tout ce qui n'est point de la foi ni des principes est disputable; et souvent ils soutiendront, à votre choix, le pour et le contre d'une même proposition: marques certaines de l'excellence de l'esprit humain, qui trouve des raisons à défendre tout; ou plutôt de sa foiblesse, qui n'en peut trouver de convaincantes, ni qui ne puissent être combattues et détruites par de contraires. Ainsi ce n'est pas merveille si les critiques donnent de mauvaises interprétations à nos vers, et de mauvaises faces à nos personnages. « Qu'on me donne, dit M. de Montaigne, au chapitre xxxvi du premier livre, l'action la plus excellente et pure, je m'en vais y fournir vraisemblablement cinquante vicieuses intentions. » C'est au lecteur désintéressé à prendre la médaille par le beau revers. Comme il nous

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