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PRÉFACE DÉDICATOIRE.

A UNE PROCHAINE GÉNÉRATION.

I.

Tout auteur, en général, écrit: Soit, pour l'amusement; soit pour l'instruction de ses contemporains. Parvenir à ce but est encore son espérance; si même, tout autre espoir lui est refusé.

A moins de me faire une illusion bien grossière, je suis certain de ne point arriver à ce but.

Et, comme tout lecteur, auquel l'ouvrage n'est point dédié, cherche à contredire l'auteur; surtout si, dans la dédicace, celui-ci l'a passablement maltraité, ainsi que je me propose de le faire; j'aurai donc à me prendre, corps à corps, avec mon lecteur contemporain, pour lui prouver à lui-même, ou tout au moins à son peu de bon sens, s'il n'en est point totalement

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privé que lui-même ne trouvera dans mon livre : ni amusement, ni instruction.

Dès lors, entrons en lice.

II.

Depuis l'origine sociale, les hommes, primitivement ignorants par essence, et actuellement encore ignorants, ont été, nécessairement, tellement imbus de préjugés qu'ils ont considérés comme vérités : que, si la vérité réelle s'était présentée à eux, il leur aurait été complétement impossible de la reconnaître. C'est tellement vrai que, jusqu'à présent, jamais une seule vérité n'a été universellement reconnue comme telle.

Quelque égratignante que puisse être cette proposition, pour la vanité de la prétendue science actuelle, elle n'en est pas moins incontestable puisque, depuis l'origine de l'humanité sur notre globe, il n'est pas seulement deux individus qui aient pu tomber d'accord sur la valeur de l'expression VÉRITÉ.

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C'est cette même proposition égratignante, essentiellement injurieuse pour la vanité d'ignorants qui se croient savants, qui sera le fond de mon travail. Mon but est d'extirper, de l'esprit de cette génération, les préjugés qui en sont, pour ainsi dire, le tégument intellectuel. Or, si écorcher un homme vif est peu amusant; écorcher vif l'esprit de toute une génération, est, bien certainement, moins amusant encore.

A la vérité, il y aura, chez mes lecteurs contemporains, une échappatoire pour affirmer qu'ils ne se sentent point écorchés. Ce sera de dire qu'ils sont sans préjugés; et que, par conséquent, mon scalpel ne peut les atteindre. Cette échappatoire serait même d'autant plus plausible que, jamais home n'a pu

se croire atteint d'un préjugé. En effet : du moment qu'un individu se croit ainsi atteint, le préjugé en question, par cela seul qu'il le reconnaît un préjugé, cesse, chez lui, d'y exister. Mais, l'esprit de ce même individu, fût-il aussi cuirassé de préjugés, que le corps d'un crocodile peut l'être par sa carapace; il n'en est pas moins vrai qu'aussi longtemps, que ce même individu ne vient point à reconnaître, de quoi se compose la cuirasse de son esprit; il se croit aussi sans préjugé que, l'enfant qui vient de naître; et, néanmoins aussi longtemps que la science morale réelle n'existe pas; tout est préjugé jusqu'à la vertu. Alors, toute tentative faite pour dépouiller l'individu des écailles de son ignorance, lui est plus sensible : que, si on lui arrachait sa peau matérielle.

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Et, tout mon livre ne tend qu'à lui arracher sa seconde peau. Ce sera pour lui, et je le répète, très

peu amusant.

Il me sera plus impossible encore d'instruire, réellement, mes lecteurs contemporains que, de les

amuser.

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En effet chez quelques individus, plus exceptionnels au sein de l'humanité, que le retour régulier des comètes ne l'est au sein des cieux; chez quelques individus, dis-je, la force de l'outil et la puissance de la main, pourraient, peut-être, parvenir à arracher quelques écailles de la carapace de préjugés qui les recouvre. Alors, l'instruction, chez ceux-ci, pourrait aussi y avoir quelque accès. Mais, tant que la carapace n'est point totalement extirpée, les écailles arrachées

renaissent; et, l'instruction, éventuellement acquise, se trouve immédiatement: anéantie.

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Et, que faut-il conclure de cette impossibilité de parvenir réellement, et d'une manière plus qu'éphémère, à l'esprit de nos lecteurs contemporains? que, ce n'est point à eux que nous devons tenter d'apprendre que, dans notre travail, ils ne peuvent trouver ni, amusement; ni, instruction; sans, cependant, qu'il y ait de notre faute. Évidemment, ce serait aussi inutile: que, de vouloir démontrer, à des aveugles toutes les beautés pouvant résulter de l'harmonie des couleurs. Ici donc, et seulement à l'adresse d'une prochaine génération, nous placerons quelques preuves de cette même impossibilité; afin, que cette même génération ne pousse point, à l'excès, son mépris pour la génération actuelle. Cette prochaine génération réfléchira : qu'à la place de la génération actuelle, elle aurait été aussi entêtée dans sa sottise, que celle-ci l'est maintenant; et, elle en conclura : que, la génération actuelle est infiniment plus digne de pitié que de mépris.

III.

Depuis l'origine de l'humanité, le raisonnement et l'expérience ont démontré que l'ORDRE, vie sociale, peut exclusivement se baser sur une sanction supérieure à toute force temporelle possible; sur une sanction éternelle, ultra-vitale; sur une sanction religieuse enfin.

Or, tant qu'il n'est point scientifiquement et socia

lement démontré: que, cette sanction existe éternellement par elle-même; qu'elle s'applique éternellement par elle-même; que, c'est la fatalité de cette éternelle sanction, s'harmonisant avec la liberté temporelle des personnalités, qui constitue l'ordre moral, l'ordre de justice; aussi longtemps, dis-je : que cette fatalité de la sanction, s'harmonisant avec la liberté des acteurs, n'est point scientifiquement et socialement démontrée; il est de toute nécessité, pour que l'ordre, VIE SOCIALE, puisse exister et persister d'attribuer cette sanction et l'application de cette même sanction : à un être éternel, individuel, anthropomorphe. Et, cela reste nécessaire, absolument nécessaire : tant, que l'éternelle sanction, comme attribuée à l'anthropomorphe, ne devient point elle-même incompatible avec l'existence de l'ordre, vie sociale, vie humanitaire.

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Et, comment l'éternelle sanction, nécessaire à l'existence de l'ordre, vie sociale; sanction, ayant pu conserver la vie à l'humanité, depuis son origine jusqu'à présent; comment, dis-je, cette éternelle sanction deviendrait-elle incompatible, avec l'existence de l'humanité, par cela seul que cette sanction resterait attribuée à un anthropomorphe ?

Vous le saurez, alors, génération prochaine ! Mais, mettez-vous à la place de la génération actuelle; et, examinez d'abord combien, il doit lui être difficile de reconnaître cette incompatibilité; puis, si l'anthropomorphisme doit être considéré comme un préjugé, pour que l'humanité puisse ne point périr; examinez: combien, il sera difficile d'extirper ce préjugé de la

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