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L'ESPRIT

DE

L'ENCYCLOPÉDIE,

CHOIX

DES ARTICLES

Les plus agréables, les plus curieux et les plus piquans de ce grand Dictionnaire.

ÉGLOGUE.

PIECE de poésie pastorale, qui imite et peint les mœurs

champêtres.

Cette peinture noble, simple et bien faite, plaît également aux philosophes et aux grands: aux premiers, parce qu'ils connoissent le prix du repos et des avantages de la vie champêtre, aux derniers, par l'idée que ce genre de poésie leur donne d'une certaine tranquillité dont ils ne jouissent point, qu'ils recherchent cependant avec ardeur, et qu'on leur présente dans la condition des bergers.

C'est la peinture de cette condition que les poëtes, toujours occupés à plaire, ont saisi pour un objet de leur imitation en l'ennoblissant avec cet art qui sait tout embellir. Ils ont jugé avec raison qu'ils ne manqueroient Tome IV.

A

point de réussir par de petites pièces dramatiques, dans lesquelles, introduisant pour acteurs des bergers, ils en feroient voir l'innocence et la naïveté, soit que ces personnages chantassent leurs plaisirs, soit qu'ils exprimassent les mouveinens de leurs passions.

Cette sorte de poésie est pleine de charmes; elle ne rappelle point à l'esprit les images terribles de la guerre et des combats; elle ne remue point les passions tristes par des objets de terreur; elle ne frappe et ne saisit point notre malignité naturelle par une imitation étudiée du ridicule; mais elle appelle les hommes au bonheur d'une vie tranquille, après laquelle ils soupirent vainement.

Rien n'est plus propre que ce genre de poésie à calmer leurs inquiétudes et leurs ennuis, parce que rien n'a plus de proportion avec l'état qui peut faire leur félicité. C'est pour cette raison que les anciens, voulant assigner un lieu ou la vertu fut couronnée dans une autre vie, ont imaginé, non des palais superbes et éclatans par l'or et par les pierreries, mais simplement des campagnes délicieuses, entrecoupées de ruisseaux, mais l'obscurité et la fraicheur des bois; en un mot, ils ont feint que les hommes vertueux auroient pour récompense, sous un soleil différent, ce que la plupart des hommes méprisent sous celui-ci.

(M. DE JAUCOURT.)

L'églogue est une espèce de poëme dramatique, où le poëte introduit des acteurs sur une scène, et les fait parler. Le lieu de la scène doit être un paysage rustique, qui comprend les bois, les prairies, le bord des rivières, des fontaines, etc.; et comme, pour former un paysage qui plaise aux yeux, le peintre prend un soin particulier de choisir ce que la nature produit de plus convenable au caractère du tableau qu'il veut peindre, de même le poëte bucolique doit choisir le lieu de sa scène conformément à son sujet.

Quoique la poésie bucolique ait pour but d'imiter ce qui se passe et ce qui se dit entre les bergers; elle ne doit pas s'en tenir à la simple représentation du vrai réel, qui. rarement seroit agréable; elle doit s'élever jusqu'au vrai idéal, qui tend à embellir le vrai tel qu'il est dans la na

ture, et qui produit, soit en poésie, soit en peinture, le dernier point de perfection.

Il en est de la poésie pastorale comme du paysage, qui n'est presque jamais peint d'après un lieu particulier, mais dont la beauté résulte de l'assemblage de divers morceaux réunis sous un seul point de vue ; de même que les belles antiques ont été ordinairement copiées, non d'après un objet particulier, mais où sur l'idée de l'artiste, ou d'après diverses belles parties prises sur différens corps et réunies en un même sujet.

Comme dans les spectacles ordinaires la décoration du théâtre doit faire en quelque sorte partie de la pièce qu'on y représente, par le rapport qu'elle doit avoir avec le sujet; ainsi, dans l'églogue, la scène et ce que les acteurs y viennent dire, doivent avoir ensemble une sorte de conformité qui en fasse l'union, afin de ne pas porter dans un lieu triste des pensées inspirées par la joie, ni dans un lieu où tout respire la gaieté, des sentimens pleins de mélancolie et de désespoir.

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Après avoir préparé les scènes, nous y pouvons maintenant introduire les acteurs.

Ce sont nécessairement des bergers; mais c'est ici que le poëte qui les fait parler, doit se ressouvenir que le but de son art est de ne se pas tromper dans le choix de ses acteurs, et des choses qu'ils doivent exprimer. Il ne faut pas qu'il aille offrir à l'imagination la misère et la pauvreté de ces pasteurs, lorsqu'on attend de lui qu'il en découvre les vraies richesses, l'aisance et la commodité. Il ne faut pas non plus, qu'il en fasse des personnages plus subtils en tendresse que ceux de Gallus et de Virgile, des chantres pleins de métaphysique amoureuse, et qui se montrent capables de commenter l'art qu'Ovide professoit à Rome sous Auguste.

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et su

Ainsi, suivant la remarque de l'abbé Dubos, l'on ne sauroit approuver ces portes-houlettes doucereux, qui disent tant de choses merveilleuses en tendresse blimes en fadeur, dans quelques unes de nos églogues. Ces prétendus bergers ne sont point copiés ni même imités d'après nature; mais ils sont des êtres chimériques, inventés à plaisir par des poëtes qui ne consultoient jamais que leur imagination pour les forger. Ils

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ne ressemblent en rien aux habitans de nos campagnes, et à nos bergers d'aujourd'hui ; malheureux paysans, occupés uniquement à se procurer, par les travaux pénibles d'une vie laborieuse, de quoi subvenir aux besoins les plus pressans d'une famille toujours indigente!

L'apreté du climat sous lequel nous sommes les rend grossiers, et les injures de ce climat multiplient encore leurs besoins. Ainsi, les bergers langoureux de nos églogues, ne sont point d'après nature; leur genre de vie dans lequel ils font entrer les plaisirs délicats, entremêlés des soins de la vie champêtre, et sur-tout de l'attention à bien faire paître leur cher troupeau, n'est pas le genre de vie d'aucun de nos concitoyens.

Ce n'est point avec de pareils fantômes que Virgile et les autres poëtes de l'antiquité ont peuplé leurs aimables paysages; il n'ont fait qu'introduire dans leurs églogues les bergers et les paysans de leur pays, et de leur temps un peu ennoblis. Les bergers et les pasteurs d'alors étoient libres de ces soins qui dévorent les nôtres. La plupart de ces habitans de la campagne étoient des esclaves que leur maître avoit autant d'attention à bien nourrir qu'un laboureur en a du moins pour bieħ nourrir ses chevaux. Aussi tranquilles sur leur subsistance que les religieux d'une riche abbaye, ils avoient la liberté d'esprit nécessaire pour se livrer au goût que la douceur du climat, dans les cantons qu'ils habitoient, faisoit naître en eux. L'air vif et presque toujours serein de ces régions subtilisoît leur sang, et les disposoit à la musique, à la poésie, et aux plaisirs les moins grossiers.

Aujourd'hui même, quoique l'état politique de ces contrées n'y laisse point les habitans de la campagne dans la même aisance où ils étoient autrefois ; quoiqu'ils n'y reçoi vent plus la même éducation, on les voit encore néanmoins sensibles à des plaisirs fort au-dessus de la portée de nos paysans. C'est avec une guitare sur le dos que ceux d'une partie de l'Italie gardent leurs troupeaux, et qu'ils vont travailler à la culture de la terre ; ils savent encore chanter leurs amours dans des vers qu'ils composent sur-lechamp, et qu'ils accompagnent du son de leur instrument; ils les touchent sinon avec délicatesse, du moins avec assez de justesse ; et c'est ce qu'ils appellent improviser.

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