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ÉLÉVE, ÉCOLIER, DISCIPLE.

Ces trois mots s'appliquent en général à celui qui prend des leçons de quelqu'un : voici les nuances qui les distinguent:

Un élève est celui qui prend des leçons de la bouche même du maître. Un disciple est celui qui en prend des leçons, en lisant ses ouvrages, ou qui s'attache à ses sentimens. Ecolier ne se dit, lorsqu'il est seul, que des enfans qui étudient dans des collèges: il se dit aussi de ceux qui étu dient sous un maître un art qui n'est pas mis au nombre des arts libéraux, comme la danse, l'escrime, etc. mais alors il doit être joint à quelqu'autre mot qui désigne l'art ou le maître.

Uu maître d'armes a des écoliers; un peintre a des élèves; Newton et Descartes ont eu des disciples, même après leur mort.

Elève est du style noble; disciple l'est moins, sur-tout en poésie; écolier ne l'est jamais.

Le terme d'écolier suppose que l'on reçoit des leçons réglées, ou que l'on a besoin d'en recevoir, simplement pour apprendre ce que l'on ne sait pas ainsi, tous ceux qui ont des maîtres, pour en recevoir des leçons suivies sur quelque objet, sont écoliers; l'âge n'y fait rien. Le terme d'élève suppose que l'on reçoit ou que l'on a reçu des instructions plus détaillées, pour pouvoir exercer ensuite la mênie profession, soit en la pratiquant, soit en l'enseignant ; ainsi les maîtres de danse, d'escrime, d'équitation etc. ont des écoliers, à qui ils enseignent de leur art ce qui est jugé convenable à une belle éducation; mais ceux qu'ils forment pour devenir maîtres comme eux, sont leurs élèves. Le terme de disciple ne suppose qu'une adhésion aux sentimens du maître, sans rien indiquer de la manière dont on en a pris connoissance.

On enseigne des écoliers; on forme des élèves; on se fait des disciples. L'état d'écolier est momentané; celui d'élève est permanent; celui de disciple peut changer. On n'est plus écolier, quand on sait ce qu'on vouloit ap prendre, ou même quand on ne fait plus profession de l'é

tudier. On est élève, non-seulement tandis que l'on est dirigé par des leçons expresses pour un état qui en est la fin, mais même après que l'institution est consommée : ainsi, les jeunes gentilhommes que l'on instruit à l'école royale militaire, sont des élèves pour l'état militaire, et parvinssent-ils au grade de maréchal de France, ils seront toujours élèves de cette école. On n'est disciple que par adhésion aux sentimens d'autrui; on cesse de l'être en renonçant à ces sentimens: ainsi, Saint-Paul, après avoir été un disciple très-zélé de la synagogue, l'abandonna, et devint un disciple encore plus zélé de Jésus-Christ.

Des hommes d'esprit, distingués par leur éloquence, se sont donnés pour de sublimes philosophes; par des peintures lascives et pleines d'art, ils ont allumé le feu des passions; pour les flatter, ils en ont déguisé les dangers; pour les diviniser en quelque sorte, ils en ont montré l'origine dans la nature, sans en indiquer l'intention, qui les assujettit à des loix pour le bien commun ; ils ont ridiculisé la religion qui prétend les règler; et, quoiqu'ils en parlassent en écoliers peu instruits, l'assurance de leur ton a persuadé les jeunes gens dont ils avoient séduit le cœur i ils ont fait des disciples enthousiasmés, qui ne connoissent plus la religion que sous le nom de fanatisme, et qui ne regardent plus ceux qui la respectent ou qui la défendent que comme des hypocrites ou des imbéciles. Le comble de ce fanatisme philosophique, (car il y a fanatisme par-tout où il y a chaleur, preocupation, aveuglement, injustice,) ce seroit qu'ils eussent fait des élèves qui osassent leur succéder.

(M. MARMONTEL.)

ÉLOGE. *

LOUANGE ANGE que l'on donne à quelque personne ou à quelchose, en considération de son excellence, de son rang ou de ses vertus. etc.

que

La vérité simple et exacte devroit être la base et l'ame de tous les éloges; ceux qui sont outrés et sans vraisemblance, font tort à celui qui les reçoit, et à celui qui les donne; car tous les hommes se croyent en droit, jusqu'à un certain point, d'établir la réputation des autres, ou d'en décider: ils ne peuvent souffrir qu'un panégyriste s'en rende le maître, et en fasse, pour ainsi dire, une espèce de monopole; la louange les indispose, leur donne lieu de discuter les qualités prétendues de la personne qu'on loue, souvent de les contester et de démentir l'orateur.

Qu'il nous soit permis, à cette occasion, de déplorer l'abus intolérable du panégyrique et des satires, qui avilit aujourd'hui la république des lettres. Quels ouvrages que ceux dont plusieurs de nos écrivains périodiques ne rougissent pas de faire l'éloge! Quelle ineptie ou quelle bassesse! Que la postérité seroit surprise de voir les Voltaire et les Montesquieu déchirés dans la même page ой l'écrivain le plus médiocre est célèbre ! Mais heureusement la postérité ignorera ces louanges et ces invectives éphémères; et il semble que leurs auteurs l'aient prévu, tant ils ont eu peu de respect pour elle. Il est vrai qu'un écrivain satirique, après avoir outragé les hommes célèbres pendant leur vie, croit réparer ses insultes par les éloges qu'il leur donne après leur mort; il ne s'apperçoit pas que ses éloges sont un nouvel outrage qu'il fait au mérite, et une nouvelle manière de se déshonorer luimême.

Eloge, louange. Ces mots diffèrent à plusieurs égards l'un de l'autre. Louange au singulier, et précédé de l'article la, se prend dans un sens absolu; éloge au singulier, et précédé de l'article, se prend dans un sens relatif. Ainsi on dit: la louange est quelquefois, dangereuse; l'éloge de telle personne est juste, est outré, etc. Louange au singulier, ne s'emploie guère, ce me semble, quand

il est précédé du mot une : on dit un éloge plutôt qu'une louange; du moins louange, en ce cas, ne se dit guère que lorsqu'on loue quelqu'un d'une manière détournée et indirecte. Exemple: tel auteur a donné une louange bien fine à son ami. Il semble aussi que, lorsqu'il est question des hommes, éloge dise plus que louange, du moins en ce qu'il suppose plus de titres et de droits pour être loué. On dit de quelqu'un qu'il a été comblé d'éloges, lorsqu'il a été loue beaucoup et avec justice; et, d'un autre, qu'il a été accablé de louanges, forsqu'on l'a loué à l'excès ou sans raison. Au contraire, en parlant de Dieu, louange signifie plus qu'éloge; car on dit les louanges de Dieu. Eloge se dit encore des harangues prononcées, ou des ouvrages imprimés à la louange de quelqu'un; éloge funèbre, éloge historique, éloge académique. Enfin ces mots différent aussi par ceux auxquels on les joint: on dit faire l'éloge de quelqu'un et chanter les louanges de Dieu.

Eloges académiques, sont ceux qu'on prononce dans les académies et sociétés littéraires, à l'honneur des membres qu'elles ont perdus. Il y en a de deux sortes, d'oratoires et d'historiques. Ceux qu'on prononce dans l'académie française sont de la première espèce. Cette compagnie a imposé à tout nouvel académicien le devoir si noble et si juste, de rendre à la mémoire de celui à qui il succède, les hommages qui lui sont dûs. Cet objet est un de ceux que le récipiendaire doit remplir dans son discours de réception. Dans ce discours oratoire, on se borne à louer en général les talens, l'esprit, et même, si on le juge à propos, les qualités du cœur de celui à qui l'on succède, sans entrer dans aucun détail sur les circonstances de sa vie. On ne doit rien dire de ses défauts; du moins, si on les touche, ce doit être si légèrement, si adroitement, et avec tant de finesse qu'on les présente à l'auditeur ou au lecteur par un côté favorable. Au reste, il seroit peut-être à souhaiter dans les réceptions à l'académie française, un seul des deux académiciens qui parlent, savoir, le récipiendaire ou le directeur, se chargeât de l'éloge du défunt; le directeur seroit moins exposé à répéter une partie de ce que le récipiendaire a dit, et le champ seroit, par ce moyen,

que

un peu plus libre dans ces sortes de discours, dont la matière n'est d'ailleurs que trop donnée: sans s'affranchir entièrement des éloges de justice et de devoir, on seroit plus à portée de traiter des sujets de littérature intéressans pour le public. Plusieurs académiciens, entr'autres M. de Voltaire, ont déjà donné cet exemple, qui paroit bien digne d'étre suivi.

Les éloges historiques sont en usage dans nos académies des sciences et des belles-lettres, et, à leur exemple, dans un grand nombre d'autres : c'est le secrétaire qui en est chargé. Dans ces éloges on détaille toute la vie d'un académicien, depuis sa naissance jusqu'à sa mort : on doit néanmoins en retrancher les détails bas, puériles, indignes enfin de la majesté d'un éloge philosophique.

Ces éloges étant historiques, sont proprement des mé moires pour servir à l'histoire des lettres: la vérité doit donc en faire le caractère principal. On doit néanmoins l'adoucir, ou même la taire quelquefois, parce que c'est un éloge, et non une satire, que l'on doit faire; mais il ne faut jamais la déguiser ni l'altérer.

Dans un éloge académique on a deux objets à pein dre, la personne et l'auteur: l'un et l'autre se peindront par les faits. Les réflexions philosophiqus doivent sur-tout être l'ame de ces sortes d'écrits; elles seront tantôt mêlées au récit, avec art et briéveté, tantôt rassemblées et développées dans des morceaux particuliers, où elles formeront comme des masses de lumières qui serviront à éclairer le reste. Ces réflexions séparées des faits, ou entre - mêlées avec eux, auront pour objet le caractère d'esprit de l'auteur, l'espèce et le degré de ses talens, de ses lumières et de ses connoissances, le contraste où l'accord de ses écrits et de ses mœurs de son cœur et de son esprit, et sur tout le caractère de ses ouvrages, leur degré de mérite, ce qu'ils renferment de neuf ou de singulier, le point de perfection où l'académicien avoit trouvé la matière qu'il a traitée, et le point de perfection où il l'a laissée; en un mot, l'analyse raisonnée des écrits: car c'est aux ouvrages qu'il faut principalement s'attacher dans un éloge académique. Se borner à peindre la personne, même avec les couleurs les plus avanta

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