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point des pensées recherchées, ni dans le genre tendre et passionné de celles qui seroient seulement ingénieuses et brillantes elles pourroient faire honneur au poëte dans d'autres occasions; mais l'esprit n'est point à sa place, où il ne faut que du sentiment. De plus, les pensées sont souvent fausses; et bien qu'il soit toujours indispensable de penser juste, le vrai du sentiment doit principalement régner dans l'élégie.

Les pensées sublimes et les images pompeuses n'appartiennent pas non plus au caractère de lélégie; elles sont réservées à l'ode et à l'épopée.

Quant aux élégies qui doivent représenter l'état d'un cœur au comble de ses vœux, et ne connoissant rien d'égal au bonheur dont il jouit, le ton peut être hardi et les pensées cxagérées. L'extrême joie n'est pas moins hyperbolique que l'extrême douleur; et souvent il arrive que les figures les plus audacieuses sont l'expression naturelle de ces transports. C'est encore alors que les images riantes répandent dans ce genre d'élégie des grâces par

ticulières.

Pour ce qui regarde les louanges que les poëtes donnent à leurs maîtresses dans les élégies amoureuses, ou les éloges qu'ils font de leur beauté; comme c'est le cœur qui dicte ces sortes de louanges, elles doivent en suivre le langage, et par conséquent être amenées simplement et naturellement. En un mot, de quelque genre qu'on suppose l'élégie, elle doit toujours suivre le langage de la passion et de la nature; elle doit s'exprimer avec une vérité, une force, une douceur, une noblesse et un sentiment proportionné au sujet qu'elle traite. Il y faut le choix des pensées et des expressions propres car ce choix est toujours ce qu'il y a de plus important et de plus essentiel. Ces réflexions doivent naître du fond même de la pensée, et paroître un sentiment plutôt qu'une réflexion: il faut aussi que l'harmonie du vers la soutienne; enfin il faut qu'il y ait une liaison secrète entre toutes ses parties, et que le plan soit distribué avec tant d'ordre et de goût, qu'elles se fortifient les unes les autres, et augmentent insensiblement l'intérêt.

Ce n'est pas d'après ces règles que la plupart des modernes ont composé leurs élégies; ils paroissent n'avoir

pas connu son caractère. Ils ont donné à leurs productions le titre d'élégie, en se contentant d'y donner une certaine forme; comme si cette forme suffisoit toute seule pour caractériser un poëme sans la matière qui lui est propre, ou que ce fût la nature des vers, et non pas celle de l'imitation, qui distinguât les poëtes.

Les uns, pour briller, se sont jetés dans les écarts de l'imagination, dans des ornemens frivoles, dans des pensées recherchées, dans des images pompeuses ou dans des traits d'esprit, quand il s'agissoit de peindre le sentiment. Les autres ont imaginé de plaire, et d'émouvoir par des louanges à leurs maîtresses, qui ne sont que des flatteries extravagantes; par des gémissemens, dont la feinte saute aux yeux; par des douleurs étudiées, et par des désespoirs de sang-froid. C'est à ces derniers poëtes que s'adressent les vers suivans de Despréaux :

Je hais ces vains auteurs, dont la muse forcée.
M'entretient de ses feux, toujours froide et glacée;
Qui s'affligent par art; et fous de sens rassis
S'erigent, pour rimer, en amoureux transis :

Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines;
Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,

Que bénir leur martyre, adorer leur prison,
Et faire quereller le sens et la raison.
Ce n'étoit pas jadis sur ce ton ridicule
Qu'amour dictoit les vers que soupiroit Tibulle.

Art. poëtique.

Aussi les Anglais, dégoûtés des fadeurs de l'élégie plaintive et amoureuse, ont pris le parti de consacrer quelquefois ce poëme à l'éloge de l'esprit, de la valeur et des talens.

;

L'élégie doit son origine aux plaintes usitées de tout temps dans les funérailles. Après avoir long-temps gémi sur un cercueil, elle pleura les disgraces de l'amour ce passage fut naturel. Les plaintes continuelles des amans sont une espèce de mort; et pour parler leur langage, ils vivent uniquement dans l'objet de leur passion. Soit qu'ils louent les plaisirs de la vie champêtre, soit qu'ils déplorent les maux que la guerre entraine après elle, ce n'est pas par rapport à eux qu'ils louent ces plaisirs et qu'ils déplorent ces maux, c'est par rapport à leurs

maîtresses.

Ainsi l'élégie, destinée dans sa première institution aux gémissemens et aux larmes, ne s'occupa que de ses infortunes; elle n'exprima d'autres sentimens, elle ne parla d'autre langage que celui de la douleur. Négligée comme il sied aux personnes affiigées, elle chercha moins à plaire qu'à toucher; elle voulut exciter la pitié, et non pas l'admiration : elle retint ce même caractère dans les plaintes des amans, et jusque dans leurs chants de triomphe, elle se souvint de sa première origine.

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Enfin, dans toutes ses vicissitudes, ses pensées furent toujours vives et naturelles ses sentimens tendres et délicats, ses expressions simples et faciles, et toujours elle conserva cette marche inégale dont Ovide lui fait un si grand mérite, et qui, pour le dire en passant, donne à la poésie élégiaque des anciens tant d'avantage sur la

nôtre.

Le genre élégiaque a mille attraits, parce qu'il émeut nos passions, parce qu'il est l'imitation des objets qui nous intéressent, parce qu'il nous fait entendre des hommes touchés, et qui nous rendent très-sensibles à leurs peines comme à leurs plaisirs, en nous en entretenant eux-mêmes.

Nous aimons beaucoup à être émus; nous ne pouvons entendre les hommes déplorer leurs infortunes sans en être affligés, sans chercher ensuite à en parler aux autres, sans profiter de la première occasion qui s'offre de décharger notre cœur, si je puis parler ainsi, d'un poids qui l'accable.

Voilà pourquoi, de tous les poëmes, il n'en est point, après le dramatique, qui soit plus attrayant que l'élégie; aussi a-t-on vu, dans tous les temps, des génies du premier ordre faire leurs délices de ce genre de poésie.

Plusieurs poëtes modernes se sont aussi consacrés à l'élégie heureux s'ils n'avoient pas substitué d'ordinaire le faux au vrai, le pompeux au simple, et le langage de l'esprit à celui de la nature!

(M. DE JAUCOURT.) On retrouve quelque trace de l'élégie ancienne, dans la quatrième et la sixième des élégies de Marot.

Dans

Dans l'une, en passant au poëte l'allégorie du cœur, si usitée dans ce temps-là, on lui saura gré du sentiment naïf qui règne dans son style.

Son cœur, qu'il a laissé à sa maîtresse, revient à lui, et se plaint d'elle qu'il a été mis en oubli.

Or ne se peut la chose plus nier.
Regarde-moi, je semble un prisonnier.
Qui est sorti d'une prison obscure,
Où l'on n'a eu de lui ne soin ne cure....
Je suis ton cœur qu'elle tient en émoi,
Je suis ton cœur: ayes pitié de moi.....
Ainsi parloit mon cœur, plein de martyre.
Et je lui dis, mon cœur, que veux-tu dire?
D'elle tu as voulu être amoureux;
Et puis te plains que tu est douloureux !
Sais-tu pas bien qu'amour a de coutume
D'entremêler les plaisirs d'amertume?....
Refus, oubli, jalousie, et langueur

Suivent amours: et pour ce done, mon cœur,
Retourne t'en.

Dans l'autre, le poëte raconte à sa maîtresse un sorge qu'il a fait :

Le plus grand bien qui soit en amitié,
Après le don d'amoureuse pitié,

Est s'ent'récrire, où se dire de bouche,

Soit bien, soit deuil, tout ce qui au cœur touche...

Partant, je veux, mamie et mon desir,

Que vous ayez votre part du plaisir

Qui, en dormant, l'autre nuit me survint.
Avis me fut que vers moi tout seul vint
Le dieu d'amours, aussi clair qu'une étoile,
Le corps tout nu, sans drap, linge, ne toile.
Et si avoit ( afin que l'entendez)
Son arc alors et ses yeux débandez,
Et en sa main celui trait bienheureux
Lequel nous fit l'un de l'autre amoureux.
En ordre tel approche et me vient dire;
« Loyal amant, ce que ton cœur desire
Est assu é: celle qui est tant tienne
»Ne t'a rien dit, pour vrai, qu'elle ne tienne;
» Et qui plus es, tu es en tel crédit,
» Qu'elle a foi ferme en ce que lui as dit. »
Ainsi amour parloit, et en parlant
M'assura fort. A donc, en ébranlant
Ses a les d'or, en l'air s'est envolé ;
Tome IV.

C

Et au réveil, je fus tant consolé

Qu'il me sembla que du plus haut des cieux
Dieu m'envoyoit ce propos gracieux.

Lors prins la plume; et par écrit fut inis
Ce songe mien, que je vous ai transmis,

Vous suppliant, pour me mettre en grand heur,

Ne faire point le dieu d'amours menteur.

Je me permets de transcrire ici ces deux morceaux parce qu'ils sont peu connus, et qu'ils me semblent dignes de l'être.

(M. MARMONTEL.)

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