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les détails, tandis que Newton donnait aux plus petits détails l'empreinte du génie; moins admirable sans doute pour la connaissance des cieux, mais bien plus utile pour le genre humain par sa grande influence sur les esprits et sur les siècles. »

Après Descartes, je suis naturellement conduit à parler d'une autre illustration de la philosophie et de la nation française, Pascal, cet homme extraordinaire dont le nom est dans toutes les bouches, et la biographie dans tous les livres.

NOTICE SUR PASCAL.

Blaise Pascal naquit à Clermont le 19 juin 1623. Il annonça de bonne heure des dispositions si extraordinaires, que son père, Etienne Pascal, homme fort distingué, ne savait s'il devait se réjouir ou s'épouvanter. A l'âge de sept ou huit ans, l'enfant étonnait moins encore par ses reparties spirituelles et faciles, que par ses questions profondes et directes. Si on ne lui donnait pas une raison satisfaisante, il en cherchait une lui-même, et l'on ne savait ce qu'on devait le plus admirer de la question qu'il avait faite ou de la solution qu'il avait trouvée. Il est à remarquer que son père, qui pour l'époque était un bon mathématicien, se refusait à lui enseigner les sciences exactes, tant il craignait de donner un aliment nouveau à cette intelligence déjà si vive, et comme s'il pressentait qu'elle s'y livrerait avec une ardeur qui le consumerait avant le temps; mais il arriva que sur cette simple définition qu'on lui fit de la géométrie, que « c'était une science qui enseignait le moyen > de tracer des figures par une construction exacte, de trouver leur » mesure et de déterminer les rapports de leurs parties,» il arriva que cette définition seule en fit un géomètre. Il se mit à l'étude, traçant des lignes qu'il appelait des barres, décrivant des cercles qu'il appelait des ronds, et méditant avec tant de puissance, que son père, le surprenant un jour profondément absorbé devant une figure tracée au charbon, devint muet de saisissement en reconnaissant la 32 proposition d'Euclide. L'enfant par la seule force de son génie était arrivé de théorème en théorème, de telle sorte qu'on peut dire que si la géométrie avait encore été une science inconnue, il l'aurait découverte.

y

Dès ce moment, Étienne Pascal cessa de contraindre les inclinations de son fils, et lui mit entre les mains des livres, qu'il eut bientôt dévorés et dépassés. A treize ans, il fit un opuscule remarquable sur la théorie du son, et à seize ans, il composa un traité des sections coniques, ouvrage d'une si haute portée, que Descartes

en fut vivement frappé et refusa longtemps de croire qu'il fût l'œuvre d'une si jeune intelligence. Trois ans plus tard, Pascal inventa et construisit une machine arithmétique, au moyen de laquelle les opérations numériques les plus compliquées se faisaient avec une promptitude presque magique. « Les étonnantes combi>> naisons de cette machine, dit un biographe, et la manière dont >> elle exécute les calculs qu'on lui demande, au gré de celui qui la » met en action, attestent un effort prodigieux de génie et de pa» tience de la part d'un jeune homme de dix-neuf ans. » Cet effort prodigieux ébranla une santé déjà faible, et fit germer dans le sein de Pascal la maladie qui devait l'enlever si jeune à la religion, aux sciences et à la gloire.

Placé, presque à son début, au premier rang parmi les savants de l'époque, il ne tarda pas à mettre le sceau à sa réputation par des découvertes importantes, et surtout par la célèbre expérience du Puy-de-Dôme, qui fixa la théorie de la pesanteur de l'air et fit faire à la physique un pas immense problème qui avait occupé Aristote et Galilée à deux mille ans de distance, et qu'il était réservé à Pascal de résoudre.

Nous n'entrerons pas ici dans le détail de ses travaux scientifiques, ni des nombreuses découvertes qu'il a faites, parce que ce n'est pas le témoignage du savant que nous invoquons dans cette collection, et nous ne dirons quelques mots de ses Lettres provinciales que pour rendre hommage au talent littéraire qui y brille d'un éclat que le temps n'a pu affaiblir. Cet ouvrage, tout de circonstance, et qui traite de questions qui seraient à peine comprises aujourd'hui de la plupart des lecteurs, cet ouvrage obtint un succès prodigieux, et reste encore de nos jours comme un modèle d'élégance de style, de grâce et d'ironie. Il est remarquable que Pascal, si profond dans ses études, si grand dans ses entretiens, si sévère dans ses habitudes, ait pu tout d'un coup prendre le ton du sarcasme le plus enjoué et de l'ironie la plus vive. Disons encore qu'à une époque où le style ampoulé, prétentieux et à grandes figures, était en faveur, Pascal, indifférent au jugement des beaux esprits de l'époque, ne se sacrifia pas au mauvais goût du temps et se montra le premier écrivain irréprochable de notre littérature. Il est toujours pur, élégant, facile, et à voir la couleur, les agréments de son style et ses tournures heureuses, on dirait presque qu'il a pu profiter de l'exemple et des leçons de tous les écrivains qu'il a précédés. C'est le propre du génie que de marcher ainsi la tête haute et le pied sûr dans les routes nouvelles,

nous voulons surtout faire remarquer

Ce que dans Pascal, comme le trait le plus caractéristique de son esprit, c'est cette soif ardente de vérité qui la lui faisait chercher avec tant de persévérance, et l'on pourrait même dire avec tant de passion. S'il s'est montré si passionné pour la géométrie, c'est que le but de cette science est sans cesse la recherche de ce qui est vrai; mais, en allant toujours ainsi devant lui jusqu'à l'examen de la théorie de l'infini, il ne pouvait manquer d'arriver au Créateur de toutes choses; car où le génie de l'homme s'arrête, l'esprit de Dieu commence.

Arrivé là, Pascal dédaigna tout à coup les études scientifiques et les triomphes littéraires ; il ambitionna une gloire plus réelle, car il se donna tout entier à Dieu. Il avait dit souvent qu'on devait avoir trois principaux objets en vue dans la recherche de la vérité : de la découvrir quand on la cherche, de la démontrer quand on la possède, et de la discerner d'avec le faux quand on l'examine. Or, c'est en faisant rigoureusement l'application de ces principes qu'il a acquis la conviction réfléchie des vérités de la religion; et comme cette conviction était profonde et intime comme sa conscience, on le vit fuir le monde, et le fuir avec tant de persévérance, que le monde finit par le quitter. Il put se livrer alors en toute liberté à la pratique la plus complète des exercices de piété. Le temps qu'il employait naguère à ses études, il le consacra à la prière, ou à la lecture de l'Ecriture sainte, qu'il possédait à un tel point, qu'il eût été impossible de faire devant lui une fausse citation sans qu'il la rectifiât sur-le-champ. Il disposait de la plus grande partie de ses modiques revenus à faire des charités, et il disait souvent qu'il avait sans cesse remarqué que, quelque pauvre que l'on fût, on avait toujours à donner. Toute sa conduite fut si édifiante et si chrétienne, que sa famille et ceux qui l'approchaient, entraînés par son exemple, cherchaient à le suivre dans cette voie de perfection, et tous ont laissé ce témoignage, que cet homme si grand comme savant, comme écrivain et comme philosophe, se soumettait au commandement de l'Eglise avec la docilité d'un enfant, tant sa foi était vive et

sincère.

Cependant, tout en songeant aussi sérieusement à son salut, il conçut le projet de faire un grand ouvrage qui fût une apologie complète de la religion chrétienne, et qui pût servir de fanal et de guide à ceux qui viendraient après lui. Le plan était immense comme le sujet. Son point de départ devait être l'origine de toutes choses, car il supposait son lecteur plongé dans l'ignorance et dans l'indifférence les plus profondes; mais pas à pas il devait l'habituer à

la lumière, lui faisant voir d'abord en lui-même, lui expliquant sa nature, et lui ouvrant les yeux sur sa force et sa faiblesse, sur sa grandeur et sa bassesse. Parcourant ensuite l'univers et tous les âges, il devait passer en revue toutes ces prétendues religions qui ont égaré les hommes; puis faire un examen particulier du peuple juif, placé dans des circonstances si extraordinaires, et possesseur d'un livre qui fût tout à la fois, sa gloire, sa seule richesse, son histoire et sa loi. Ce livre, le livre par excellence, devait servir, par un examen détaillé, à expliquer la création de l'homme et sa chute, sa misère et la rédemption promise. Passant ensuite à l'examen de la loi de Moïse, il l'eût montrée toute figurative et eût entrepris de prouver la vérité de la religion par les prophéties; puis enfin JésusChrist et l'Evangile, les apôtres et les martyrs, les miracles et les livres saints, il devait tout exposer et tout expliquer avec cette sagacité qui lui était propre, et cette facilité merveilleuse dont il a donné tant de preuves, et avec laquelle il semblait se jouer des plus grandes difficultés. Cet ouvrage immense, cette apologie admirable de la religion chrétienne, il l'eût achevée sans aucun doute, et l'on ne saurait dire où ce grand génie se fût arrêté, si les forces de son corps eussent été en proportion de la puissance de son âme.

Dès son enfance, il avait été souffrant, et jeune encore, à l'âge où l'homme se complète, il était déjà accablé d'infirmités et miné par de continuelles souffrances. C'est sur un lit de douleur qu'il écrivit les Provinciales, et c'est pendant de longues nuits de tortures qu'il méditait son grand ouvrage. Il pouvait à peine écrire; cependant, soit que de temps à autre la maladie lui offrît de courtes trèves, soit qu'il surmontât ses douleurs dans la crainte de perdre les idées qui lui venaient en foule, il prenait le premier papier qui lui tombait sous la main, et il notait sans suite et à la hâte les pensées qu'il ne voulait pas perdre. Quelquefois il se contentait d'écrire quelques mots comme on pose des jalons; mais heureusement quelquefois aussi, entraîné qu'il était par ses pensées, il ne pouvait s'empêcher de les étendre et d'aller devant lui.

La mort l'a surpris lorsqu'il coordonnait cet ouvrage immense dans sa tête, et on n'a trouvé après lui que des notes et de nombreux fragments sans ordre et sans liaison. Nous devons dire, à l'honneur de ses parents et des écrivains de l'époque, qu'il ne se trouva personne qui eût osé entreprendre la tâche sacrilége de modifier ou de compléter l'ouvrage commencé par Pascal. On s'est borné à prendre parmi toutes ces pensées celles qui ont paru les plus claires et les plus achevées; on les a données telles qu'on les a trouvées,

en se permettant seulement de ranger sous un même titre et à la suite celles qui appartenaient au même sujet.

Telles sont les Pensées de Pascal, cet ouvrage profond et admirable, qui n'est cependant qu'une préparation de travail, préparation faite, il est vrai, de la main du génie ! Tout incomplètes qu'elles paraissent, elles sont encore un chef-d'œuvre de dialectique et de raison; mais elles demandent à être lues avec une attention d'autant plus grande, que fort souvent les propositions sont posées, les conséquences indiquées; mais les démonstrations manquent, parce que le grand écrivain, qui ne craignait pas de les oublier,

n'en a rien écrit.

Lorsque, dans le siècle qui suivit, l'école encyclopédique accumula ses efforts de pygmée contre la religion et la raison, elle rencontra les ouvrages de Pascal, et, faute de pouvoir les réfuter, elle résolut de les falsifier. Condorcet eut la perfidie de publier une édition incomplète des œuvres du grand écrivain, et il eut la loyauté d'en supprimer des passages et d'en tronquer à dessein un grand nombre d'autres. Voltaire l'encourageait de la plume et du geste; mais comme il savait que tous ses efforts seraient bien faibles contre une si grande renommée, il écrivait à Condorcet: « Mon ami, ne vous lassez pas de répéter que, depuis l'accident de Neuilly, le cerveau de Pascal était dérangé. » De sorte qué les hommes qui avaient osé appeler entre eux la religion l'infâme, en étaient réduits à avoir recours aux nobles moyens de la fraude et du mensonge, et inventaient une accusation de folie contre celui dont ils ne pouvaient contester le génie.

Mais, de nos jours, un écrivain célèbre s'est chargé de venger Pascal des injures et des attaques des encyclopédistes, et nous pensons ne pouvoir mieux terminer cette courte notice que par ces belles paroles de M. Châteaubriand : « Il y avait un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds, avait créé les mathéma tiques; qui, à seize, avait fait le plus savant traité des coniques qu'on eût vu depuis l'antiquité; qui, à dix-neuf, réduisit en machine une science qui existe tout entière dans l'entendement; qui, à vingt-trois ans, démontra les phénomènes de la pesanteur de l'air, et détruisit une des grandes erreurs de l'ancienne physique ; qui, à cet âge où les autres hommes commencent à peine à naître, ayant achevé de parcourir le cercle des sciences humaines, s'aperçut de leur néant, et tourna ses pensées vers la religion; qui, depuis ce moment jusqu'à sa mort, arrivée dans sa trente-neuvième année, toujours infirme et souffrant, fixa la langue que parlèrent Bossuet

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