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Redouteriez-vous la difficulté, l'embarras, la fatigue de cette étude de la religion? Ah! quand il s'agit pour vous d'intérêts temporels, avec quelle ardeur vous vous livrez à des discussions bien autrement épineuses! Vous ne calculez pas alors les peines, les difficultés du travail. Par quelle déplorable inconséquence ne vous arrêtentelles que quand il est question du plus grand de tous vos intérêts? Et quelles sont-elles donc, ces difficultés si effrayantes que vous présente l'examen de la religion? S'agit-il de sonder des idées abstraites, de vous élever à des raisonnements qui surpassent votre intelligence? Vous demande-t-on de faire des recherches lointaines, de parcourir dans votre esprit tous les temps et toutes les régions? Non; elle est entièrement à votre portée, vous la trouvez sous votre main en quelque sorte toute faite; elle est la plus facile comme la plus importante de toutes, cette étude de la loi divine'. Dieu a voulu que sa révélation vous fût rendue certaine par les mêmes moyens que toutes les autres vérités; que la même faculté intellectuelle jugeât les objets religieux et les profanes; qu'elle observât les mêmes règles dans la recherche des uns et des autres. Il a attaché la conviction de sa religion au genre de preuves plus simple, le plus propre à être senti par tous les esprits, le plus usité parmi les hommes; à des preuves de fait, sur lesquelles reposent tous nos autres intérêts, qui fixent toutes nos autres croyances, qui nous dirigent dans toutes nos autres actions, qui nous règlent pour tous nos autres devoirs, qui nous déterminent sur toutes nos autres affaires. Non, nous osons vous le dire, ce n'est esprit qui se rebute des difficultés qu'il envisage, c'est votre cœur qui s'effraie des sacrifices qu'il n'ose même contempler; ce ne peut pas être votre raison, ce sont évidemment vos passions qui vous arrêtent dès l'entrée de l'examen, et qui ne permettent pas à votre raison même de le commencer.

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Tout ce que nous vous demandons avec instance, est donc de raisonner sur l'affaire la plus importante pour vous, comme vous raisonnez habituellement, comme vous auriez honte de ne pas sonner sur le plus léger intérêt. Nous vous demandons uniquement d'être raisonnables sur ce point, comme vous l'êtes sur tous les autres 2. Ce que nous vous demandons, votre raison elle-même vous le 'Mandatum hoc quod ego præcipio tibi non supra te est, neque procul positum... sed juxta te est sermo valde in ore tuo, et in corde tuo, ut facias illum. (Deuter., XXX, 11, 14.)

Nihil est enim quo magis homo cæteris animantibus præstet, quam quod rationis est particeps causas rerum requirit, generis sui auctorem investigandum putat, in cujus potestate vitæ necisque potestas sit, qui mundum suo nutu regat, cui sciamus rationem esse reddendam nostrorum actuum... Omnibus igitur hominibus inest secundum naturam humanam verum investigare, quæ

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demande avec nous. Elle vous supplie, elle vous conseille, elle vous requiert, elle vous somme par notre voix, et par la voix intérieure de votre conscience, de la laisser s'exercer librement sur la matière qui est le plus évidemment de son ressort, et qu'il lui importe le plus essentiellement de connaître. Si vous ne daignez pas nous écouter, écoutez-la du moins; écoutez ce qu'elle vous crie, et sur la nécessité dont il est pour vous de vous livrer à l'examen de la religion, et sur la manière dont vous devez y procéder.

Elle vous présente deux règles, dont vous ne pouvez vous dissimuler la justice: la droiture d'intention, la pureté du cœur.

»

Si votre intention n'est pas droite; si, au lieu de chercher la vérité, vous la fuyez, pouvez-vous croire que vous la rencontrerez? Si votre volonté dit à votre intelligence ce que disaient les Juifs à leurs prophètes: «Ne nous montrez pas ce qui est véritable; ne >> nous faites voir que ce qui nous plaît, présentez-nous des er>> reurs 1; >> docile à vos ordres, pour votre malheur, votre intelligence ne vous offrira que les illusions qui vous flattent. Si, comme tant d'autres l'ont pratiqué, comme peut-être vous-mêmes vous en avez agi jusqu'ici, vous ne consultez, sur la vérité de la religion, que les écrits qui la combattent, ou si vous ne lisez les livres qui la défendent qu'avec un esprit de critique, et dans l'intention d'y apercevoir des difficultés, vous n'y trouverez que ce que vous y aurez cherché. Et n'est-il pas dans l'ordre ordinaire que ce que l'on désire vivement soit ce que l'on voit clairement? Combien de fois n'avez-vous pas vu, et peut-être vous-mêmes l'avez-vous souvent éprouvé, que les désirs forment les opinions, donnent du poids aux plus minces raisons, atténuent les plus puissants motifs? Commencez donc par souhaiter sincèrement, franchement, uniquement, de découvrir la vérité, et méprisant les fades railleries, laissant de côté les déclamations vagues et incertaines, n'ayant plus aucun égard aux frivoles autorités auxquelles vous avez jusqu'ici trop déféré2, pesez dans la balance de votre propre raison les preuves nos ad studium cognitionis et scientiæ trahit, et inquirendi infundi cupiditatem. (S. Ambr., de Offic. Min., lib. I, c. xxII, nos 124, 125.)

'Qui dicunt videntibus: Nolite videre; et aspicientibus: Nolite aspicere nobis ea quæ recta sunt; loquimini nobis placentia, videte nobis errores. (Isa., XXX, 10.)

2 Prescribit ratio, ut qui vere pii et philosophi sunt, verum unice colant et diligant, recusantes majorum opiniones sequi, si pravæ sint. Neque enim id solum sana ratio præcipit, ut ne eos sequamur qui injuste quid fecere aut docuere; sed omnino vel præ sua ipsius anima veritatis amatori, quamvis mors intentetur, statuendum et eligendum est, ut æqua dicat et faciat. (S. Justin., Apol., I, c. II.)

Stultissimum est super fide mea me ex alterius pendere judicio. (S. Hier., Dial, contra Pelag., lib. III.)

que nous vous présentons de la vérité du christianisme, et les difficultés qu'on y oppose.

Mais pour que cet examen soit fait avec l'impartialité requise, une autre condition est indispensablement nécessaire; c'est que vous y apportiez un cœur pur1. Quelque empire qu'aient pris sur vous vos passions, à quelque degré qu'elles aient altéré votre intelligence, elles ne peuvent pas vous déguiser cette vérité évidente, qu'elles ont intérêt à ce qu'il n'existe pas une religion qui les réprime. Ecartez donc du tribunal de votre raison ces conseillers dangereux, qui ne persuadent qu'en séduisant; qui, incapables d'éclairer, ne savent qu'aveugler; dont la voix, plus haute et plus forte que celle du raisonnement, parvient trop souvent à l'étouffer; dont vous avez bien des fois éprouvé la funeste influence sur votre volonté ; et qui, formant dans votre esprit un parti puissant en faveur de l'incrédulité, finiraient par l'y entraîner.

Enfin, pour parvenir à la connaissance certaine de la vérité, nous vous proposons une dernière préparation. Si vous croyez qu'il existe, ou même qu'il peut exister un Etre suprême, vous ne pouvez douter qu'il ne soit en son pouvoir d'augmenter les lumières de votre esprit, qu'il ne soit le maître de faire descendre sur vous la science avec la sagesse, et qu'étant par lui-même le principe de toute vé rité, il ne puisse vous découvrir la vérité dans son entière clarté, Conjurez donc avec une humble confiance ce Dieu infiniment puissant et bon, dont vous reconnaissez l'existence, dont vous ne voulez pas encore connaître la loi, de se manifester à vous. Dites-lui, comme saint Paul terrassé aux portes de Damas: Seigneur, qui êtes-vous? Dites-le-lui dans toute la sincérité de votre esprit, avec toute l'ar deur de votre cœur; et il vous répondra de même, qu'il est ce Jésus que jusque-là vous avez persécuté 2. Déposez les préjugés qui

1 Non cujusvis est, ô viri, de Deo disserere; non, inquam, cujusvis... Quoniam his duntaxat hoc numeris incumbit, qui exactissime explorati sunt, ac contem plando longe præcesserunt, priusque etiam et corpus et animum a vitiorum sordibus purgarunt; aut, ut parcissime loquar, jam hoc agunt ut se a vitiorum labe purgent. Impuro enim, rem puram attingere, ne periculo quidem fortasse caret; quemadmodum nec ægris oculis solis radios intueri. (S. Greg. Naz., Orat., XXXIII, no 10, 11.)

Sed id nunc agitur, ut sapientes esse possimus, id est inhære veritati, quod profecto sordidus animus non potest. Sunt autem sordes animi, ut brevi explicem, amor quarum libet rerum, præter animum et Deum. A quibus sordibus quanto est quis purgatior, tanto verum facilius intuetur. (S. Aug., de Utilitate credendi, c. XVI, no 34.)

* Omnis sapientia a Domino Deo est, et cum illo fuit semper, et est ante evum. (Eccli., X, 1.)

Dominus... dat sapientiam sapientibus, et scientiam intelligentibus disciplí ham... et lux cum eo est, (Dan., II, 21, 22.)

offusquent votre raison, repoussez les passions qui l'aveuglent, examinez avec l'impartialité et la bonne foi requises les preuves du christianisme, et nous sommes assurés que bientôt vous serez chrétiens 1.

Jugement de M. Laurentie sur les variations de la philosophie ancienne et de la philosophie moderne.

Osons aussi jeter un coup d'oeil sur tant de misères et d'incertitudes. Il suffit, avons-nous dit déjà, de consulter les souvenirs de l'histoire. Quel génie y pourra démêler toutes les variétés des philosophies? Au temps de Varron, on comptait déjà deux cent quatrevingt-huit sectes, et Thémistius en portait le nombre jusqu'à trois cents 2. Cette simple nomenclature, effrayante au premier aspect, le devient bien plus encore si l'on songe que chaque secte se composait d'une multitude de maîtres et de disciples, lesquels formaient eux-mêmes et variaient jusqu'à l'infini des nuances diverses de philosophie.

La secte d'Orphée est la première qu'on trouve dans l'histoire de la Grèce; elle eut pour principaux disciples Musée, Eumolpe, Thamyris, Amphion, Mélampe, Phérécide, Epiménide, Antiphon et Dromocride; mais la plupart de ces noms se confondent avec les souvenirs fabuleux, et de tristes réalités nous ont mis dans le cas de n'avoir pas besoin de recourir aux fictions pour montrer les variations de l'esprit humain.

Fabricius, un savant personnage 2, nous a conservé les noms de

Omne verum ab illo est, qui ait: Ego sum veritas. (S. Aug., de Doctr. Christ., lib. I, no 8.)

Hæc est providentia veræ religionis, hoc jussum divinitus, hoc a beatis majoribus traditum, hoc ad nos usque servatum. Hoc perturbare velle atque pervertere, nihil est aliud quam ad veram religionem sacrilegam viam quærere ; quod qui faciunt, nec, si eis concedatur quod volunt, possunt quo intendunt pervenire. Cujusmodi enim libet excellant ingenio, nisi Deus adsit, humi repunt. (S. Aug., de Utilit. credendi, c. x, no 24.)

Qui dixit: Quis es, Domine? Et ille: Ego sum Jesus, quem tu persequeris! (Act., IX, 5.)

2 Discours sur les causes de l'incrédulité..

Durant la période philosophique du xviir siècle, et depuis le commencement du xix, les orateurs chrétiens n'ont pas manqué à la défense de la religion, de la morale et de la société. Déjà Bossuet, Bourdaloue, Massillon avaient préludé à cette lutte glorieuse que la religion soutint contre l'incrédu lité et l'anarchie. Vinrent ensuite les Montazet, les Beauregard, les de Boulogne, les Mac-Carthy, etc., dont les voix éloquentes ne retentirent pas en vain au milieu des erreurs et des passions de leur époque. On peut voir ces monuments de l'éloquence chrétienne recueillis dans les tomes IV et VIII de la Bibliothèque des prédicateurs, par M. l'abbé Dassance,

* Voyez le P, Rapin Art. Philosophie

quatre cent cinquante-six philosophes de la secte de Pythagore, parmi lesquels se trouvent trente-neuf femmes. Que l'on parcoure tour à tour l'école d'Elée, avec ses deux grandes divisions d'Eléates métaphysiques, d'Eléates physiques; la secte des sophistes qui prit naissance dans l'école d'Italie, et qui fit tant de progrès dans la Grèce; l'école ionienne fondée par Thalès, et dont la doctrine fut diversement interprétée par Anaximandre, Anaximène, Anaxagore, Diogène d'Apollonium et Archélaüs; l'école de Socrate, qui devint l'origine d'abord de cinq écoles nouvelles, sous les noms d'Aristippe, de Phédon, d'Euclyde, de Platon et d'Antisthène, et bientôt après de plusieurs autres sectes qui, sous les noms de Cyrénaïsme, de Mégarisme, ou école Eristique, d'école Eléaque et de Cynisme, contribuèrent à diviser encore les esprits, et à pervertir les mœurs de la Grèce; l'école de Platon, ou l'Académie; la deuxième Académie fondée par Arcésilas; la troisième fondée par Carnéade, que Caton le censeur fit chasser de Rome; la quatrième, fondée par Philon; et chacune de ces Académies proclamant des principes philosophiques en contradiction avec les trois autres; l'école d'Aristote, source de tant de disputes dans le monde; la division du Lycée entre une multitude de sectes, dont celle de Straton, entre autres, enseigna qu'il n'y avait point de Dieu; l'école de Zénon, ou le Por tique, qui soutint des rivalités avec Carnéade; l'école d'Epicure et celle de Pyrrhon, toutes deux également fécondes en sectes nouvelles; l'école Romaine, à laquelle la sagesse de Cicéron ne put donner une longue existence; et pour traverser rapidement les temps du christianisme, l'école d'Alexandrie, sous le nom de syncrétisme, ou éclectisme, qui pendant trois cents ans lutta contre la relgion révélée; la philosophie du moyen âge, celle des Arabes, transportée en Europe avec la doctrine d'Aristote; la philosophie disputeuse des universaux et des nominaux ; plus tard, en des temps plus éclairés, la philosophie un peu vague de Bacon; la philosophie désolante de Bayle, de Glanville et de Hobbes; la philosophie quel quefois chimérique de Huet; la doctrine de Gassendi; le doute de Descartes; le sensualisme de Locke; le spiritualisme de Leibnitz; plus près de nous, la secte flétrissante et matérialiste du XVIIe siècle, à côté des rêveries et des visions quelquefois admirables de Berkǝley; l'école Écossaise, l'école de Kant, celle de Fitché, celle de Schelling; que l'on parcoure, dis-je, ce vaste assemblage d'opinions humaines, qui se revêtent elles-mêmes du nom pompeux de phi losophie ; à quel système, à quelle théorie, à quel principe l'esprit Voyez le P. Rapin, art. Philosophie.

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