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soutenaient contre l'idolatrie. C'étaient les Pères de l'Eglise. D'autres, tels que Ebion, Cérinthe, Marcion, Valentin, Manès, etc., voulurent faire un mélange, un syncrétisme grossier, des croyances chrétiennes avec les systèmes de la philosophie grecque et orien tale: c'étaient les hérésiarques. D'autres enfin, restant fidèles à l'idolâtrie expirante, s'efforcèrent de justifier les rêveries mythologiques, en les présentant à leurs contemporains comme les formules populaires et variables des vérités fondamentales: c'étaient les philosophes païens ou les hellénistes, dont les derniers efforts expirerent avec la puissance de Julien l'Apostat. Le christianisme était resté maître du monde, et bientôt après, l'inondation des Barbares acheva de ruiner les mœurs, les usages, les lois, les temples du paganisme. Tout ce bagage de la superstition fut englouti dans l'abîme du passé. Dieu effaça l'empire romain pour écrire la chré tienté sur le globe. Nous avons déjà vu, en peu de mots, quelles furent les destinées de la philosophie durant ce grand travail de régénération, qui eut pour résultat la société moderne.

Nous avons vu aussi comment l'esprit philosophique se reproduisit dans Bacon, Descartes et Leibnitz. Pour me servir des expressions de Bossuet, la foi et la science compațirent ensemble dans ces entendements. Enrichies des trésors que la religion chrétienne avait versés sur le monde, la raison humaine se soutint à une hauteur admirable pendant le xvIIe siècle. Philosophes, poëtes, orateurs, publicistes, jurisconsultes, tous joignaient la science à la foi. Ils croyaient, et ils savaient en même temps pourquoi ils croyaient. Leur vaste intelligence, en s'exerçant sur l'explication de toutes choses, concluait qu'il faut croire les vérités d'une religion qui ne peut s'expliquer sans l'intervention de la Divinité. Quel siècle que celui qui a produit Descartes, Newton, Leibnitz, Malebranche, Pascal, Bossuet, Fénelon, Grotius, Huet, Pothier, Bourdaloue, Massillon, d'Aguesseau, Corneille et Racine!

Mais un siècle renferme toujours le germe du siècle suivant. Déjà quelques voix isolées troublaient ce concert de la philosophie chrétienne; nous avons vu Montaigne et Bayle jeter des semences de scepticisme. D'un autre côté, la réforme protestante, née en Allemagne, et importée en Angleterre, continuait son œuvre de négation en appliquant le principe du libre examen à chaque dogme du christianisme. De plus, les Pays-Bas et la France étaient devenus le théâtre des subtilités interminables du jansénisme. Enfin, la corruption des mœurs publiques se produisit sous la régence, et un essor immense fut donné aux désirs de fortune par les spécula

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tions financières de Law; telles furent les causes diverses qui déterminèrent l'apparition et les développements de la philosophie du XVIIIe siècle.

ARTICLE IV. - De la philosophie du XVIIIe siècle.

Cette période de l'esprit humain nous offre un spectacle unique dans l'histoire, celui d'une multitude d'hommes décorés du nom de philosophes, s'acharnant à tout détruire en religion, en morale, en politique, sans s'inquiéter de ce qu'ils établiraient à la place des croyances fondamentales du genre humain. Cette philosophie fut une entreprise générale de démolition. Pour nous livrer à l'étude approfondie de ce terrible phénomène, nous aurions à examiner : 1o l'origine de la philosophie du xvIIIe siècle; 2o comment elle se constitua en école; 3° quels furent son chef et ses disciples; 4° quel fut son but principal; 5° quels moyens elle employa pour l'atteindre; 6o quels furent ses écrits; 7° quels furent les rapports de ses doctrines avec le principe des connaissances humaines, avec la religion, avec la morale, avec la politique, avec les sciences et les lettres; 8o quels furent les suites de cette philosophie.

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Il y a peu de sujets sur lesquels autant d'écrivains se soient exercés. Les uns, passionnés enthousiastes, ont exalté le xvIIIe siècle comme le siècle des lumières; les autres, esprits calmes et solides, ont flétri la philosophie de cette époque; dans l'ensemble de ses travaux, dans les systèmes antiques qu'elle exhuma simultanément, dans son caractère frondeur, dans le genre de vie et les correspondances de ses adeptes, ces écrivains n'ont vu que les saturnales de la raison humaine. Ils ont donc donné à la philosophie de ce siècle le nom de matérialisme, de scepticisme, de voltairianisme, d'impiété.

Je n'entrerai point dans le détail historique des questions que je viens d'indiquer. Il faudrait tout un livre pour les examiner et les résoudre. D'ailleurs, cette tâche, déjà souvent remplie, l'a été dernièrement encore avec une exactitude et une précision remarquables par notre laborieux et savant ami, M. le baron Henrion, dans l'Histoire générale de l'Eglise, qui fait partie de la Bibliothèque ecclésiastique'.

1 T. X, p. 8, 10, 53, 56, 329, 335, 376, 414, 455, 467. — T. XI, p. 147, 87, 199, 216, 307, 311, 360, 371, 388, 451, 489, 544, 573, 608, 634, 644.

Le résumé historique de tous les livres et mémoires publiés sur la philosophie du XVIIIe siècle se trouve présenté dans ces deux volumes.

Je me contenterai de dire à tous les hommes de bonne foi : Préssurez les livres sortis de la secte philosophique du xvIIe siècle, vous y trouverez le dessein conçu et constamment suivi de constituer la raison de telle manière que, désormais,

L'univers fût sans Dieu,
L'homme sans âme,

La religion sans croyances,
La morale sans règle,
Le pouvoir sans inviolabilité,
Le mariage sans fixité,

La magistrature sans dignité,
L'armée sans discipline,
La vie sans frein,

La mort sans espoir.

C'est-à-dire, qu'un matérialisme abject et un scepticisme désolant sont le fond de toutes ses théories, dont la réalisation serait le tombeau de l'humanité.

L'Eglise catholique étant le seul principe de stabilité, le seul point d'arrêt au milieu des opinions humaines, on comprend faci lement que les sophistes du xvIIe siècle durent en faire le princi pal point de mire de leurs attaques; aussi déployèrent-ils contre elle tout ce que l'enfer put leur donner de génie et de méchanceté. L'Eglise fut travestie et bafouée dans son histoire, dans ses dogmes, dans sa morale et dans sa discipline, dans son sacerdoce et dans tous les établissements. Une haine, je dirai mieux, une rage sans exemple dans les annales du monde, anima le chef et les disciples d'une méprisable secte, qui prit pour devise cette maxime « Mentons, il en restera toujours quelque chose; et cette autre : « Ecrasez l'infàme. » Le code de l'impiété ne fit qu'un avec celui de l'imposture. Un instinct invincible avait révélé à ces hommes que la vérité les condamnait. Ils mentirent donc, ils mentirent beaucoup, ils mentirent impudemment à la face d'un siècle ébloui des prestiges de leur esprit, et qui semblait leur crier : « Dites-nous des choses qui nous plaisent, voyez pour nous des erreurs'. » Dans cette période de dissolution universelle, on ne sait ce qu'il faut admirer le plus, ou le cynisme de l'imposture où le cynisme de la crédulité.

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Aussi les sophistes se hâtèrent-ils de proclamer leur triomphe. A les entendre, le monde, débarrassé de tout frein religieux et mo

1 Isaïe, XXX, 10.

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ral, allait goûter un bonheur dont les siècles anciens n'offraient pas d'exemple. Tout à coup la terre trembla, la société, minée par sa base, fut renversée : les temples, les autels, la royauté, la magis→ trature, la fortune publique, tout fut englouti dans l'abîme; et quand la justice de Dieu eut passé sur cette génération flétrie par la débauche et l'impiété, on commença à comprendre que l'homme ne peut impunément braver le ciel.

Toutefois, la philosophie du xvin siècle a produit, sans le vouloir, des effets salutaires. Elle a démontré pour jamais l'impossibilité absolue de ruiner l'empire des vérités religieuses et morales que Dieu a gravées dans la conscience des hommes. C'est une maxime déjà comprise au XIXe siècle, malgré les efforts que font en sens contraire les vieux admirateurs du voltairianisme, restes décrépits d'une école tombée en désuétude.

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En outre, l'agression formidable du philosophisme à suscité aussi une formidable défense. Les fondements de la raison, de la nature, de la société, ont été mis à découvert. La vérité, sous la plume des apologistes modernes de la religion, s'est produite avec une clarté plus grande que jamais ; et la fausse science a été confondue par la science véritable. Ainsi, à côté des monuments que l'imposture et le fanatisme des philosophes éleva contre la foi, nous avons d'autres monuments élevés par une raison saine, par une critique judicieuse, où le talent et le savoir, unis à la religion, brillent d'un éclat immortel. A travers soixante années de contradictions et d'expériences, la raison a grandi; le domaine scientifique, parcouru en tous sens, a déposé en faveur des vieilles traditions du genre humain, et les efforts les plus opiniâtres, renouvelés sous toutes les formes pour accréditer l'erreur, ont donné à l'esprit de rechercher une impulsion qui tourne au profit de la vérité.

les

Ainsi, dès à présent, la philosophie du XVIIIe siècle est jugée et condamnée : c'était un enfant robuste qui ne savait que détruire. Loin de prendre pour point de départ les faits et les croyances, elle s'est appliquée avant tout à dénaturer les uns et les autres pour faire cadrer avec ses systèmes de matérialisme et de scepticisme. De là sont nées les cosmogonies bizarres ; de là, les doctes fables sur la prodigieuse antiquité du monde, sur l'origine de l'homme et de la société. De là, ces mensonges historiques par lesquels la religion et la société humaine se trouvent travesties dans les écrits philosophiques de l'époque. De là, ce mépris effronté pour tout ce qui s'est dit et fait dans les siècles précédents. De là, cet ignoble et obscène matérialisme, qui, ne tenant nul compte des faits indes

tructibles de la conscience, s'est efforcé de ravaler l'homme au ni-. veau des brutes, au niveau des plantes, au niveau des machines. De là enfin, ces excès monstrueux d'une raison effervescente, qui résuma et dépassa toutes les extravagances de la philosophie ancienne 1.

Il ne faut donc pas s'étonner que cette philosophie superficielle et mensongère ait manqué le but de toute philosophie véritable. Il ne faut pas s'étonner qu'elle n'ait respecté aucune limite, et qu'à force de vouloir tout réduire à la mesure de ses conceptions bornées, elle soit tombée dans le scepticisme, plutôt que d'admettre les faits et les mystères de la religion, les faits et les mystères de la nature humaine, les faits et les mystères du monde entier. Il ne faut pas s'étonner qu'elle ait touché à toutes les questions sans en cir aucune, et qu'au lieu d'obtenir la science pour résultat, elle ait jeté le trouble et la confusion dans toutes les parties du domaine scientifique, en sorte qu'il faudra de longues années encore pour dissiper les préjugés qu'elle a répandus sur la métaphysique, sur l'histoire, sur la morale, sur la politique, et en général, sur tout ce qui fait la vie de l'humanité.

éclair

Les nombreux écarts où elle s'est précipitée, et l'oubli dans lequel sont tombées la plupart de ses productions, furent donc le juste châtiment de sa légèreté, de sa mauvaise foi, de son cynisme railleur, et de sa haine satirique contre tout ce qu'il y a de respectable parmi les peuples.

De cette tourbe d'écrivains impies et obscènes, les deux seuls qui aient conservé de la vogue, sont le patriarche de Ferney et le

Je me bornerai à indiquer ici les principaux ouvrages de cette école, où l'on peut trouver la preuve de mes assertions :

de

Les OEuvres de Bayle, l'Encyclopédie, la Théorie de la terre, les Epoques la nature, le livre de l'Esprit, l'Interprète de la nature, la Philosophie du bon sens, Telliamed, Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes, Emile, la Nouvelle Héloïse, Discours sur la vie heureuse, les mœurs, Lettres juives, Lettres persanes, Lettres chinoises, Lettres cabalistiques, Epitre à Uranie, Pensées philosophiques, Pyrrhonisme du`sage, Traité de l'âme, Let tres philosophiques, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, l'Homme plante, l'Homme machine, Essai physique sur l'économie animale, Traité des animaux, les Animaux plus que machines, Histoire de l'âme, Système d'Epicure, Système de la nature, Fable des abeilles, et bien d'autres encore, produits par Voltaire, Diderot, Helvétius, La Mettrie, Toussaint, Boullanger, d'Alembert, Freret, le marquis d'Argens, le fougueux Raynal et J.-J.Rousseau, etc. Plusieurs de ces ouvrages, sortis du club d'Holbach, étaient anonymes ou pseudonymes. Leurs absurdités et leurs contradictions se trouvent présentées sous une forme piquante dans le Catéchisme des Cacouacs, par l'abbé de Saint-Cyr, et dans les Helviennes, par Barruel.

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