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avons dit, la possibilité peut être montrée par des raisons convaincantes, et on peut s'assurer de plusieurs faits par le témoignage des

sens.

» Avec toutes ces précautions, la matière demeure incertaine; car il ne s'ensuit pas que la chose doive être parce qu'elle est possible; et comme, outre les circonstances connues, il y en a qui ne le sont pas, l'affaire est toujours douteuse.

>> Parmi les raisons de douter, voici un troisième moyen de tendre à la certitude : c'est qu'encore qu'on ne connaisse pas certainement la vérité, on peut connaître certainement qu'il y a plus de raison d'un côté que de l'autre.

» Jusqu'à ce qu'on ait trouvé cette espèce de certitude, un esprit raisonnable demeure toujours irrésolu, parce qu'on ne doit se résoudre à un parti plutôt qu'à un autre, qu'autant qu'on a découvert où il y a plus de raison.

» Il paraît donc que tout argument tend de soi à la certitude. La démonstration y tend, parce qu'elle montre clairement la vérité. L'argument probable y tend, parce qu'il montre où il y a plus de raison. C'était la règle de Socrate: Cela, dit-il, n'est pas certain; mais je le suivrai jusqu'à ce qu'on m'ait montré quelque chose de meilleur.

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Que si ce principe est reçu dans les matières de science, comme en effet Socrate l'y emploie souvent, quoiqu'on n'y puisse trouver la certitude absolue, à plus forte raison aura-t-il lieu dans les matières où il n'y a que des conjectures et des apparences.

» En appliquant ce principe aux entreprises qu'on veut persuader ou déconseiller, il est vrai que l'événement en est douteux; mais, au défaut de la certitude de l'événement, on y peut trouver la certitude de la plus grande facilité ou du moindre inconvénient.

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Ainsi, dans les hasards du jeu, celui-là raisonne juste, qui sait prendre le parti où il y a quatre contre trois; c'est-à-dire quatre moyens d'un côté contre trois de l'autre.

» Il en est de même dans les affaires, qui sont une espèce de jeu mêlé d'adresse et de hasard. Il est certain que le côté où il y a le plus de facilité et le moins d'inconvénients doit prévaloir: par exem ple, dans le conseil dont nous parlons, le duc de Bourbon pouvait montrer qu'il n'y avait nul inconvénient dans l'attaque qu'il proposait, et qu'il y avait beaucoup de facilité.

» Ainsi l'argument probable dans une entreprise peut être appelé démonstration de la plus grande facilité et des moindres inconve

nients.

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» La certitude qu'on trouve en ce genre n'est pas celle qui nous assure de l'événement, mais celle qui nous assure d'avoir bien choisi les moyens 1.

» En ce cas, le succès peut être incertain; mais la conduite est certaine, parce qu'on sait toujours bien qu'on choisit le meilleur parti parmi tout ce qui peut être prévu.

>> De cette manière de raisonner résultent deux choses : l'une, qu'on n'entreprend rien témérairement; l'autre, qu'on ne juge point par l'événement.

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Ajoutons-en une troisième, que quiconque raisonne ainsi parle sûrement le faux n'a point de lieu dans ses discours; il ne songe pas à éblouir l'esprit par de vaines espérances, encore moins àdivertir les oreilles par des jeux de mots; il parle d'affaires gravement, il va au fond, il est solide. »

Des diverses habitudes qui se forment dans l'esprit en vertu des preuves.

« Il ne suffit pas de remarquer les diverses sortes de preuves, et les actes de l'entendement qui y répondent; il faut encore connaître les habitudes qui se forment par ce moyen dans notre esprit, ce qui ne sera pas difficile, puisque les actes étant connus, les habitudes le sont en même temps.

>> Disons donc, en peu de mots, que les preuves par autorité engendrent la foi. Les arguments topiques ou probables engendrent l'opinion, et les démonstrations engendrent la science.

» La foi est une habitude de croire une chose par l'autorité de quelqu'un qui nous la dit.

>>

Nous avons déjà remarqué qu'il y a foi divine et foi humaine, et que la foi humaine quelquefois est accompagnée de certitude, quelquefois non.

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L'opinion est une habitude de croire une chose par des principes vraisemblables, comme la science est une habitude de croire une chose par des principes clairs et certains.

'Cet argument dont parle Bossuet est celui que Démosthène développe avec une grande éloquence dans ses Discours pour la Couronne, lorsqu'il se justifie au sujet de la bataille de Chéronée. C'est la règle générale que doivent suivre tout homme d'état, tout sage administrateur, tout magistrat intègre, tout guerrier habile, tout prêtre prudent, lorsqu'ils ont à prendre une résolution. C'est d'après cette règle qu'il faudrait aussi juger les hommes et leurs entreprises, et non d'après l'événement, qui est entre les mains de la Providence. Il est donc très-important de s'accoutumer à diriger le détail de ses actions d'après l'argument probable.

» L'opinion et la science se tirent de l'objet même, et la foi se tire de celui qui propose; c'est-à-dire que, dans l'opinion et dans la science, la raison qui détermine est dans l'objet même ; et, dans la foi, la raison qui détermine est seulement dans l'autorité de la personne qui parle.

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C'est pourquoi la foi suppose toujours quelque obscurité dans la chose; l'opinion et la science, au contraire, y supposent de la clarté. Mais la clarté dans la science est pleine et parfaite; au lieu que la lumière qui luit dans l'opinion est une lumière douteuse qui n'apporte jamais un parfait discernement.

» Ainsi l'opinion, prise en elle-même, n'emporte jamais un parfait acquiescement, ni l'entier repos de l'esprit. La science exclut toute crainte, et ne laisse rien à désirer à l'esprit dans ce qui est son objet précis.

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Quant à la foi, lors même qu'elle donne une pleine certitude, elle ne fait point un parfait repos, parce que l'esprit désire toujours connaître le fond des choses par lui-même.

On demande si la foi, l'opinion et la science peuvent compatir ensemble dans le même entendement, ce qui se dispute peut-être avec plus de subtilité que d'utilité. Mais ce qu'il est bon de savoir, et qui aussi ne souffre pas de contestation, c'est que l'esprit peut examiner ce que vaut chaque preuve, soit probable, soit démonstrative, soit de pure autorité, et laisser faire à chacun ce qui lui convient; en sorte qu'il dise en lui-même : Je crois telle démonstra tion : par exemple, qu'il y a une providence. Quand je ne le saurais pas avec certitude, j'inclinerais à ce sentiment par tant d'exemples de châtiments et de récompenses qui me le rendent vraisemblable; et quand toutes ces preuves me manqueraient, je serais porté à le croire, parce que les plus grands hommes l'ont cru; et par-dessus tout cela, je n'en douterais pas, parce que Dieu même

l'a révélé.

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qui

Voilà ce que produisent dans l'esprit les preuves tant de raison que d'autorité, celles qui se tirent de la chose même, et celles se tirent de la personne qui nous la propose.

>> Outre ces trois habitudes principales de l'entendement, il y en a d'autres qui sont comme dérivées de celles-là, telles que sont les cinq qu'Aristote a expliquées, et qu'il nomme sagesse, intelligence, science, art et prudence.

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>>> La sagesse est la connaissance certaine des effets par mières causes; comme quand on rend raison des événements ou l'ordre de l'univers par la Providence.

de

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L'intelligence est la connaissance certaine des premiers principes, et l'habitude d'y voir d'abord, comme d'une seule vue, les conclusions qui en sont tirées.

>> La science est la connaissance certaine des conclusions par l'application des principes.

» L'art est la connaissance qui fait faire comme il faut quelque ouvrage extérieur.

>> La prudence, enfin, est une connaissance des choses qui regardent les mœurs. »

QUATRIÈME PARTIE.

DE LA PHILOSOPHIE.

Après avoir considéré la vérité et la raison humaine séparément, nous avons constaté, d'après les lois invincibles de notre nature, le pouvoir que l'une possède de s'unir à l'autre, au moins dans certains cas, d'une manière infaillible. Le produit de cette combinaison, s'il m'est permis de parler ainsi, est la certitude.

Maintenant faisons un pas de plus, et cherchons à bien concevoir dans quels rapports la philosophie se trouve avec ces premiers objets de nos méditations, dans quel sens on doit admettre ou rejeter la qualification de philosophe, et comment la philosophie peut se concilier avec la religion.

Pour arriver à ce résultat, qui sera la conclusion finale de ce premier livre, nous ferons trois choses: 1° nous chercherons à définir ce qu'il faut entendre par philosophie; 2° nous examinerons quelles ont été, dans les temps anciens et dans les temps modernes, les révolutions et les destinées de la philosophie; 3° nous rapprocherons la signification de ces deux mots Philosophie et Religion, pour juger s'ils se conviennent ou s'ils s'excluent.

CHAPITRE PREMIER.

DÉFINITION DE LA PHILOSOPHIE.

« Comme nous ignorons le motif de la première imposition des noms, il est rare que nous puissions apprécier leur juste valeur; et nous n'avons pour règle qu'un usage qui varie, ou des autorités qui se combattent. Il faut donc, qu'étant exprimée par des signes devenus arbitraires, la vérité perde à nos yeux ce qu'elle a de certain et d'évident. Dès lors, il n'est plus d'opinion qu'on ne puisse attaquer

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