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ressemble pas au vrai ressemble au faux, il se trouve en tout ce qui s'appelle vraisemblable, quelques endroits qui ressemblent au faux, tandis que d'autres endroits ressemblent au vrai. Il faut donc faire la balance de ces endroits opposés, pour reconnaître lesquels l'emportent les uns sur les autres, afin d'attribuer à une opinion la qualité de vraisemblable: sans quoi au même temps elle serait vraisemblable et ne le serait pas.

En effet, quelle raison y aurait-il d'appeler semblable au vrai ce qui ressemble autant au faux qu'au vrai? Si l'on nous demandait à quelle couleur ressemble une étoffe tachetée également de blanc et de noir, répondrions-nous qu'elle ressemble au blanc, parce qu'il s'y trouve du blanc ? On nous demanderait en même temps, pourquoi ne pas dire aussi qu'elle ressemble au noir, puisqu'elle tient autant de l'un que de l'autre? A plus forte raison ne pourrait-on pas la couleur de cette étoffe ressemble au blanc, s'il s'y dire que trouvait plus de noir que de blanc. Au contraire si le blanc y do. minait beaucoup plus que le noir, en sorte qu'elle rappelât tant d'idée du blanc, que le noir en comparaison ne fit qu'une impression peu sensible, on dirait que cette couleur approche du blanc et ressemble à du blanc.

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Ainsi dans les occasions où l'on ne parle pas avec une si grande exactitude, dès qu'il paraît un peu plus d'endroits vrais faux, on appelle la chose vraisemblable: mais pour être absolument vraisemblable, il faut qu'il se trouve manifestement et sensiblement beaucoup plus d'endroits vrais que de faux; sans quoi la ressemblance demeure indéterminée, n'approchant pas plus de l'un que de l'autre. Ce que je dis de la vraisemblance s'entend aussi de la probabilité, puisque la probabilité ne tombe que sur ce que l'esprit approuve, à cause de sa ressemblance avec le vrai; se portant du côté où sont les plus grandes apparences de vérité, plutôt que du côté contraire, supposé qu'il veuille se déterminer.

Je dis, supposé qu'il veuille se déterminer; car l'esprit ne se portant nécessairenient qu'au vrai, dès qu'il ne l'aperçoit point dans tout son jour, il peut suspendre sa détermination: mais supposé qu'il ne la suspende pas, il ne saurait pencher que du côté de la plus grande apparence de vrai.

L'esprit ne pourrait-il pas se déterminer pour une opinion moins vraisemblable, en ne la regardant que par les endroits qui appro cheraient du vrai, quoiqu'elle en eût beaucoup davantage qui approcheraient du faux, auxquels on ne ferait point actuellement attention? Tel est le mobile sur lequel roule la fameuse question de

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l'opinion probable, dont tout le monde parle et que peu de gens entendent bien.

Je réponds que l'esprit pourrait alors se déterminer pour les endroits qui approchent du vrai dans cette opinion, mais non pas pour cette opinion même; car une opinion moins vraisemblable est celle qui présente à l'esprit beaucoup plus d'apparence de faux que d'apparence de vrai. Si donc, quand on se détermine, on n'a pas présentes à l'esprit les apparences de faux qui sont dans cette opinion, ce n'est pas pour cette opinion même qu'on se détermine, mais seulement pour les apparences du vrai qu'on y découvre, et qui seules ne sont pas cette opinion, puisqu'elle résulte d'une plus grande apparence de faux et d'une moindre apparence de vrai. Ainsi demander si l'on peut se déterminer pour une opinion moins vraisemblable, en ne la regardant que par les endroits qui approcheraient du vrai, c'est demander si l'on peut se déterminer pour une opinion moins vraisemblable, en tant qu'elle n'est plus une opinion moins vraisemblable; ce qui est une sorte de verbiage.

On peut demander avec plus de raison si, dans me opinion, il ne pourrait pas y avoir des endroits mitoyens entre le vrai et le ́ faux, qui seraient des endroits où l'esprit ne saurait que penser. Ainsi, dans l'opinion de quelques-ans, qu'il y a des habitants dans la lune, je trouve quelque lueur de vrai à dire que la matière étant supposée partout de même nature, si elle peut avoir des habitants dans un des globes de l'univers, elle en peut avoir dans un autre. Je vois au contraire quelque apparence de faux à dire que, parce qu'elle a des habitants dans un de ses globes, il s'ensuive qu'elle en ait dans tous les autres. Mais de savoir s'il a été convenable à la magnificence de Dieu de placer des habitants dans tous les globes de l'univers, c'est ce que je ne saurais juger ni vrai ni faux; parce que c'est un point où l'esprit se perd comme dans un objet audessus de sa portée. Je parle ici de ce qui se passe naturellement dans mon esprit, et non pas de ce que la religion peut m'enseigner.

Or dans les hypothèses pareilles, on doit regarder ce qui est mitoyen entre la vérité et la fausseté, comme s'il n'était rien du tout; puisqu'en effet il est incapable de faire aucune impression sur un esprit raisonnable.

Au reste, puisque l'usage, dans les occasions même où il se trouve de côté et d'autre des raisons de juger, autorise le mot de vraisemblable, nous consentirons à le voir employer; pourvu qu'on se souvienne que le vraisemblable, en ce sens-là, ressemble

autant au mensonge qu'à la vérité. Cependant j'aimerais mieux l'appeler par cet endroit, douteux que vraisemblable ou probable; mais le langage ordinaire ne se réformera pas sur ma réflexion, ni sur les précisions de la métaphysique.

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Le plus haut degré du vraisemblable, est celui qui approche de la certitude physique, laquelle peut subsister peut-être elle-même avec quelque soupçon ou possibilité de faux. Par exemple, je suis physiquement certain que mes yeux sont actuellement frappés de la blancheur de ce papier; mais cette certitude suppose que les choses demeurent dans un ordre naturel, et qu'à cet égard il ne se fasse point actuellement de miracle.

La vraisemblance augmente pour ainsi dire et s'approche du vrai par autant de degrés que les circonstances suivantes s'y rencontrent en plus grand nombre et d'une manière plus expresse:

I. Quand ce que nous jugeons vraisemblable s'accorde avec des vérités évidentes.

II. Quand, ayant douté d'une opinion, nous venons à nous y conformer, à mesure que nous y faisons plus de réflexion, et que nous l'examinons de plus près.

III. Quand des expériences que nous ne savions pas auparavant surviennent après celles qui avaient été le fondement de notre opinion.

IV. Quand nous jugeons en conséquence d'un plus grand usage des choses que nous examinons.

V. Quand les jugements que nous avons portés sur des choses de même nature se sont vérifiées dans la suite.

Tels sont, à peu près, les divers caractères qui, selon leur étendue ou leur nombre plus considérable, rendent notre opinion plus semblable à la vérité; en sorte que si toutes ces circonstances se rencontraient dans toute leur étendue, alors comme l'opinion serait parfaitement semblable à la vérité, elle passerait non-seulement pour vraisemblable, mais pour vraie, ou même elle le serait en effet. Comme une étoffe qui par tous les endroits ressemblerait à du blanc, non-seulement serait semblable à du blanc, mais encore serait dite absolument blanche.

Ce que nous venons d'observer sur la vraisemblance en général s'applique comme de soi-même à la vraisemblance qui se tire de l'autorité et du témoignage des hommes. Bien que les hommes en

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général puissent mentir, et que même nous ayons l'expérience
qu'ils mentent souvent, néanmoins la nature ayant inspiré à tous
les hommes la nature du vrai, la présomption est que celui qui nous
parle suit cette inclination, lorsque nous n'avons aucune raison de
juger ou de soupçonner qu'il ne dit
pas vrai.

Les raisons que nous en pourrions avoir se tirent ou de sa per sonne, ou des choses qu'il nous dit : de sa personne, par rapport ou à son esprit ou à sa volonté.

Par rapport à son esprit : 1o s'il est peu capable de bien juger de ce qu'il rapporte; 2° si d'autres fois il s'y est mépris; 3o s'il est d'une imagination ombrageuse ou échauffée: caractère très-commun, même parmi des gens d'esprit, qui prennent aisément l'ombre ou l'apparence des choses pour les choses mêmes, et le fantôme qu'ils se forment, pour la vérité qu'ils croient discerner.

Par rapport à sa volonté : 1o si c'est un homme qui sé soit fait une habitude de parler autrement qu'il ne pense; 2° si l'on a éprouvé qu'il lui échappe de ne pas dire exactement la vérité; 30 si l'on aperçoit dans lui quelque intérêt à dissimuler: on doit alors être plus réservé à le croire.

A l'égard des choses qu'il dit : 1o si elles ne se suivent et ne s'accordent pas bien; 2o si elles conviennent mal avec ce qui nous a été dit par d'autres personnes aussi dignes de foi; 3° si elles sont par elles-mêmes difficiles à croire, ou en des sujets où il ait pu aisément se méprendre.

Les circonstances contraires rendent vraisemblable ce qui nous est rapporté; savoir: 1o quand nous connaissons celui qui nous parle pour être d'un esprit juste et droit, d'une imagination réglée et plausible, d'une sincérité exacte et constante; 2o quand d'ail. leurs les circonstances des choses qu'il dit ne se démentent point entre elles, mais s'accordent avec des faits ou des principes dont nous ne pouvons douter. A mesure que ces mêmes choses sont rapportées par un plus grand nombre de personnes, la vraisemblance augmentera aussi. Elle pourra même de la sorte parvenir à un si haut degré, qu'il sera impossible de suspendre notre jugement, à la vue de tant de circonstances qui ressemblent au vrai.

III. Eclaircissement d'une difficulté sur la vraisemblance, dans
les témoignages transmis.

On propose une difficulté touchant ce que je viens de dire, que `la vraisemblance augmente à proportion du nombre des personnes

C. C.

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qui rendent le témoignage sur lequel elle est fondée. La difficulté tombe sur le nombre des témoignages rendus par des personnes qui ne parlent que sur l'autorité les unes des autres; en sorte qu'il n'y ait que les premières qui aient rendu témoignage, d'après la connaissance qu'elles avaient personnellement et par elles-mêmes d'un fait, sans l'intervention d'aucune autre autorité.

Dans cette supposition, on demande si tous les témoignages qui ont été rendus uniquement d'après le premier témoignage, étant réunis ensemble, forment une autorité plus grande que ne faisait uniquement le premier. M. Locke juge que l'autorité en est manifestement moins grande. Il apporte pour preuve, que plus une vérité s'éloigne de sa source, plus elle s'affaiblit; de manière qu'un témoignage a moins de force, à mesure qu'il est plus éloigné de la vérité originale. Un homme digne de foi, dit-il, venant à témoigner qu'une chose lui est connue, est une bonne preuve; mais si un autre également croyable la rapporte sur le témoignage du premier, le témoignage est plus faible. Si un troisième le dit sur le rapport du second, le témoignage est encore plus faible, et ainsi du reste de sorte que venant au centième, le témoignage se trouvera comme dénué de force; sur quoi cet auteur blâme certaines gens, chez qui les opinions acquièrent de nouvelles forces en vieil lissant: c'est sur ce fondement, ajoute-t-il, que des propositions évidemment fausses, ou assez incertaines dans leur commencement, viennent à être regardées comme des vérités authentiques, par probabilité prise à rebours. Chacun des points qu'avance un auteur ́si ingénieux, à l'égard d'une difficulté si intéressante, me paraît mériter une discussion particulière.

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Il est certain d'abord qu'une opinion fausse ou incertaine n'en devient pas moins fausse ou moins incertaine pour vieillir; et que la pratique de la juger certaine, précisément parce qu'elle est ancienne et fort répandue, est digne de mépris. Le temps ne ne prescrit jamais contre la vérité. D'ailleurs cette pratique paraît hors de la question dont il s'agit, et n'est plus dans les termes de l'hypothèse énoncée par M. Locke.

En effet, il parle, dans sa supposition, du témoignage d'une vérité, laquelle passe jusqu'à nous par divers témoins qui se sont succédé, mais en supposant chacun d'eux également croyable et digne de foi. Or dans cette supposition (pourvu qu'on y demeure préci sément) il me paraît que le témoignage ne doit pas s'affaiblir, pour avoir passé par divers témoins, fussent-ils au nombre de cent. Afin

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