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néceffité, & expofé à cette rigueur de la fortune, qu'il falloit ou combattre contre fes citoyens, ou mourir avec les troupes, tendoit les mains aux Syracufains, & les prioit le plus affectueufement qu'il lui étoit poffible, en leur montrant la citadelle pleine d'ennemis qui paroiffoient fur les murailles, & qui voyoient tout ce qui fe paffoit. Enfin, voyant qu'il étoit impoffible d'arrêter l'inpétuofité de ce peuple, & que la ville étoit battue & agitée par les fouffles orageux des Orateurs, comme un vaisseau eft agité sur la vafle mer par un vent de tempête, il commanda à fes foldats de marcher ferrés fans faire la moindre charge. Ces foldats obéirent, fe contentant de faire bruire leurs armes, & de pouffer de grands cris, comme s'ils alloient fe jetter fur les Syracusains. Ceuxci furent fi effrayés de ce faux-femblant, qu'il n'en refta pas un feul, & qu'ils s'enfuirent tous par toutes les rues fans que perfonne les pourfuivit; car d'abord Dion obligea fes foldats à preffer leur marche, & les mena dans les terres des Léontins.

Les Officiers des Syracufains devenus l'objet des brocards & des rifées de toutes les femmes de la ville, & voulant réparer leur honneur, firent reprendre les armes à leurs troupes, fe remirent à pourfuivre Dion; & l'ayant atteint au paffage d'une riviere, ils firent approcher leur cavalerie pour escar

moucher.

moucher. Mais quand ils virent que Dion ne fupportoit plus leurs infultes avec fa douceur ordinaire, & avec cette bonté de pere, qu'ils avoient éprouvée tant de fois, & qu'emporté par la colere, il faifoit tourner tête à fes foldats, & les mettoit en bataille, ils eurent peur; & s'abandonnant à une fuite plus honteufe encore que la premiere, ils regagnerent la ville avec peu de perte.

Les Léontins reçurent Dion avec de grands honneurs. Ils firent auffi des largeffès à fes foldats, & les déclarerent citoyens. Peu de jours après, ils envoyerent des Ambaffadeurs aux Syracufains leur demander justice pour ces troupes qu'ils avoient fi maltraitées, & les Syracufains en envoyerent de leur côté aux Léontins, pour accufer Dion.

Tous les alliés s'étant affemblés dans la ville des Léontins, la chofe mife en délibération, on donna le tort aux Syracusains mais ceux-ci ne voulurent pas s'en tenir à ce qui avoit été jugé par les alliés; car ils étoient déja devenus infolents & fuperbes, parce qu'ils n'avoient plus perfonne qui les tint en bride, & qu'ils ne fe fervoient que de Commandants qui étoient eux-mêmes efclaves du peuple & qui le craignoient. (t) Il arriva cependant à Syracufe des

(t) Il arriva cependant à Syracufe des galeres de Denys qui, sous les ordres Tome XII.

एक

de Nypfius de Naples, ap portoient du bled & de l'ar gent aux affiégés. Diodore

leres de Denys, qui, fous les ordres de Nypfius de Naples, apportoient du bled & de l'argent aux affiégés. Il y eut-là un grand combat naval, où les Syracufains remporterent la victoire, & prirent quatre galeres du Tyran. Enflés de cet avantage, ils en abuferent infolemment, & à caufe de l'anarchie où ils vivoient, ils tournerent toute leur joie à faire des feftins pleins de diffolution, & des affemblées folles & licencieufes, & négligerent fi

faconte ceci d'une maniere plus agréable & plus merveilleufe; car il écrit que Denys envoya à Syracufe Nypfius de Naples, qui étoit un Général plein de prudence & de valeur, & qu'il envoya avec lui des vaiffeaux de charge tout remplis de bled & d'autres provifions. La famine étoit alors fi grande dans la citadelle, que les foldats de Denys après avoir beaucoup fouffert, fe réfolurent enfin à rendre aux Syracufains la citadelle. Ils envoyerent la nuit faire cette propofition, & ils devoient fe rendre le lendemain matin mais au point du jour, comme ils alloient exécuter le traité, Nyphus parut avec fes galeres, & aborda près d'Aréthufe. L'abondance fuccédant tout-d'un-coup à la difette, Nypfius mit à terre fes troupes, & convo

qua une affemblée; & parlant aux foldats conformément au temps, il- les difpofa à s'expofer à toutes fortes de dangers: ainfi la citadelle fur le point d'être livrée, fut fauvée contre toute efpérance. Pendant ce temps-là, les Syracu fains montent à la hâte fur leurs galeres, & vont at taquer ces foldats, qui étoient empreffés à ̄ˆfaire leurs provifions. Il y eutlà un grand combat, où les Syracufains furent vainqueurs. Ils coulerent à fond quelques galeres, en prirent quelques autres & pourfuivirent le refte jufqu'à terre, &c. Tous les mouvements qui operent des furprifes, font précieux dans l'hiftoire comme dans la poéfie, & doivent être confervés avec grand foin, car ils font un très-grand plaisir.

abfolument tout ce qui étoit néceffaire pour leur fûreté, que lorfqu'ils croyoient être déja maîtres de la citadelle, ils perdirent leur ville. Car Nypfius voyant qu'il n'y avoit rien de fain dans aucun quartier de la ville, & que la folie & la débauche régnoient par-tout, que le peuple depuis le matin jusques bien avant dans la nuit, ne faifoit que boire, ivrogner & danfer au fon des flûtes, & que les Officiers fe divertiffoient eux-mêmes à ces affemblées défordonnées, ou n'ofoient donner leurs ordres & faire violence à un peuple échauffé par le vin, il fe fervit habilement d'une occafion fi favorable. Il alla attaquer la muraille qui environnoit le château; & s'en étant rendu maître, & l'ayant abattue en plufieurs endroits, il lâcha fes foldats dans la ville, qu'il leur abandonna au pillage, leur ordonnant de faire contre tous ceux qu'ils rencontreroient tout ce qu'ils voudroient, ou qu'ils pourroient.

Les Syracufains s'apperçurent promptement de la faute qu'ils avoient faite, & du danger où ils étoient; mais ils ne purent y donner ordre & y remédier que fort lentement & avec beaucoup de peine, tant ils étoient étourdis & étonnés ; car c'étoit un vrai fac de ville là les hommes étoient égorgés, ici on abattoit les murailles; d'un autre côré on emmenoit les femmes & les enfants & on les faifoit entrer dans la citadelle mal

gré leurs larmes & leurs cris, & par-tout les Officiers défefpéroient d'apporter aucun ordre à leurs affaires, & ne pouvoient se servir des citoyens contre les ennemis qui étoient pêle-mêle avec eux dans tous les endroits de la ville.

Les chofes étant en cet état, & le danger approchant déja du quartier de l'Achradine, le feul homme fur lequel ils puffent placer leur derniere espérance & leur derniere reffource, ils l'avoient tous également dans l'efprit, mais perfonne n'ofoit le propofer, fi grande étoit la honte qu'ils avoient tous de l'ingratitude dont ils avoient payé fes fervices, & de la folie qu'ils avoient faite de le chaffer. Enfin, la derniere néceffité les preffant, on entendit tout d'un coup une voix qui vint du côté des alliés, & de la cavalerie, qu'il falloit rappeller Dion, & faire venir les troupes du Péloponefe qui étoient dans les terres des Léontins.

&

Dès que cette voix eut été entendue, que quelqu'un eût eu le courage de la lâcher, ce ne fut plus qu'un cri de tous les Syracufains, qui, avec des larmes de joie, fe mirent à prier les Dieux qu'ils vouluffent le leur ramener, qui témoignoient l'impatience qu'ils avoient de le revoir, & qui rappelloient dans leur mémoire fa force & fon courage au milieu des plus grands dangers, où non-feulement il étoit toujours intrépide, mais il leur

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