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rôlés, de ce qu'ils ne leur avoient pas déclaré d'abord quelle étoit la guerre qu'ils vouloient faire. Mais après que Dion, dans un long difcours, leur eut expliqué les endroits foibles de la tyrannie, & qu'il leur eut fait entendre qu'il ne les menoit pas-là comme foldats, mais comme Officiers, pour les mettre à la tête de tous les Syracufains & de tous les peuples de Sicile, préparés à la révolte depuis long-temps, & qu'après Dion, Alcimene, qui étoit le premier des Grecs en nobleffe & en réputation, & qui marchoit luimême à cette guerre, leur eut parlé pour guérir ce découragement, ils fe rendirent & ne demanderent qu'à partir.

On étoit alors dans le cœur de l'été; (b) les vents doux, appellés étéfies, régnoient fur la mer, & la lune étoit dans fon plein. Dion ayant préparé un facrifice magnifique pour l'offrir à Apollon, fe mit à la tête de fes troupes armées de pied en cap, & marcha ainfi en proceffion vers le temple. Après le facrifice, il leur fit un grand festin dans le parc

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(b) Les vents doux pellés étéfies, régnoient. Les étéfies étoient des vents réglés qui venoient toutes les années en certaine faifon. Selon Strabon, c'étoit tantôt le vent du Nord, & tantôt le vent d'Eft; car après l'avoir appellé Ex

rus dans le troifieme livre, il l'appelle Borée dans le dix-feptieme. Ici c'eft certainement le vent d'Eft, Eurus fubfolanus, puifqu'il porte Dion de l'ifle de Zacynthe au promontoire de Pachyne.

des lices de Zacynthe. Là tous fes foldats furent étonnés de voir la quantité de vaiffelle d'or & d'argent, de tables & autres meubles qui furpaffoient infiniment la fomptuofité & la magnificence d'un particulier, & ils penfoient en eux-mêmes qu'il n'étoit pas vraisemblable qu'un homme déja avancé en âge, & maître de ces grandes richeffes, allât fe jetter dans des affaires fi hafardeufes fans des efpérances bien fondées, & fans être bien affuré que fes amis de Sicile lui fourniroient tous les moyens néceffaires pour réuffir.

Mais à la fin du repas, après les libations & les prieres folemnelles, tout-à-coup la lune vint à s'éclipfer. Cela ne furprit nullement Dion, inftruit de la route que le foleil & la lune font fous la ligne appellée écliptique, & qui favoit que l'ombre qui tombe fur le corps de la lune n'eft que l'effet du corps de la terre qui fe trouve alors entre elle & le foleil, & qui intercepte fa lumiere. Mais fes foldats troublés & effrayés par leur ignorance, avoient befoin de quelque confolation. C'est pourquoi Miltas le Devin fe levant au milieu d'eux, leur ordonna d'avoir bon courage & de s'attendre au plus heureux fuccès; car la Divinité leur promettoit une éclipse de tout ce qu'il y avoit alors de plus éclatant: Or, leur dit il, il n'y a rien de plus éclatant que la tyrannie de Denys, & vous en allez éteindre tout l'éclat dès que vous

ferez arrivés en Sicile. Voilà l'explication que Miltas donna de l'éclipfe à haute voix au-milieu de l'affemblée. (*) Mais quant aux abeilles qui parurent fur les vaiffeaux, & dont un effaim alla fe pofer fur la pouppe de celui de Dion, il ne parla qu'en particulier à lui & à fes amis, (c) & leur dic qu'il crai

(*) Mais quant aux abeilles qui parurent fur les vaiffeaux & dont un effaim alla fe pofer fur la poupe de celui de Dion. C'est une chofe affez finguliere & bien remarquable; un eДaim d'abeilles qui venoit à paroitre tout-d'un-coup, étoit regardé comme un trèsmauvais augure. Cette fuperftition ne régnoit pas feulement parmi les Grecs, elle régnoít auffi parmi les Romains, comme nous le voyons dans Ciceron, qui, dans fon oraifon de Haruf picum refponfis écrit fi examen apum ludis in fcenam veniffet, harufpices acciendos in Etruria putaremus. Videmus univerfi repente examina tanta fervorum immiffa in populum Rom. Septum atque inclufum, & non commovemur? Atque in apum fortaffe examine nos ex Hetrufcorum fcriptis harufpices ut à fervitio caveremus monerent, &c. » Si " un effaim d'abeilles étoit venu tout-d'un-coup dans la scene pendant

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" que nous célébrons les " jeux, nous croirions qu'il faudroit faire venir » d'Etrurie les harufpices. Aujourd'hui nous voyons » tous de nos propres yeux » tant d'effaims d'efclaves » fondre fur le peuple Ro » main clos & couvert dans "fon théâtre, & nous n'en

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fommes pointémus.Peut" être que fur cet effaim » d'abeilles ces harufpi» ces, après avoir confùl» té leurs livres Toscans, » nous avertiroient de nous

garder de l'esclavage, &c. ". Voyez la vie de Brutus.

(c) Et leur dit qu'il craignoit que fes actions, qui certainement feroient grandes & glorieufes, ne fuffent de peu de durée. Pourquoi les abeilles prédifoient-elles des actions d'un grand éclat, mais de peu de durée ? Eft-ce parce qu'elles fe nourriffent de feurs & que les fleurs font l'emblême de ce qu'il y a de plus agréable & de plus paffager?

gnoit que fes actions, qui certainement feroient grandes & glorieufes, ne fuffent de peu de durée, & qu'après avoir jetté un grand éclat, elles ne vinffent promptement à fe faner & à fe flétrir.

On dit que les Dieux envoyerent auffi à Denys des fignes & des prodiges. Un aigle enleva à un de fes gardes fa pique ; & l'ayant portée fort haut en l'air, il la laiffa tomber dans la mer. Les eaux de la mer, qui baigne les murailles de la citadelle, furent douces pendant un jour entier, & cela parut à tous ceux qui en burent. Il lui naquit des cochons qui n'avoient point d'oreilles. Les Devins confultés fur cela, répondirent que c'étoit une marque de révolte & de défobéiffance, car les fujets n'auront plus d'oreille pour les ordres du Tyran. Quant à la douceur des eaux de la mer, ils dirent que c'étoit un figne que les temps triftes & fâcheux alloient fe changer en temps heureux & agréables pour les Syracufains. Et fur l'aigle qui enleva la pique ils dirent que l'aigle eft le ferviteur fidele de Jupiter, & que la pique eft la marque de la domination & de la puiffance, & par conféquent que le plus grand & le maître des Dieux méditoit la ruine & la deftruction de la tyrannie. Voilà ce que rapporte Théopompe.

Le foldats de Dion s'embarquérent fur deux vaiffeaux de charge. Ils étoient fuivis d'un troisieme vaiffeau, qui n'étoit pas fort

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grand, & de deux barques à trente rames. Outre les rames dont ils étoient couverts, Dion porta encore deux mille boucliers, grande quantité de piques, de javelines & de toutes fortes de traits, & il avoit fait de grandes provifions de vivres, afin qu'ils ne manquaffent de rien pendant qu'ils feroient en mer; car il falloit que pendant toute leur navigation, ils fuffent à la merci de la mer & des vents, parce qu'ils craignoient d'approcher de la terre, & qu'ils étoient avertis que Philiftus, à l'ancre fur les côtes de la Pouille, les attendoit au paffage.

Ils navigerent douze jours par un vent doux & frais, & le treizieme jour ils arriverent à Pachyne, qui eft un cap de Sicile. Dès qu'ils y eurent touché, le pilote cria qu'on defcendît promptement à terre, parce que s'ils s'éloignoient de la côte & qu'ils abandonnaffent ce cap, ils courroient rifque d'être balottés plufieurs jours & plufieurs nuits fur la haute mer, (d) en attendant le vent de midi dans la faifon de l'été où ils étoient. Mais Dion qui craignoit de faire fa defcente fi près des

(d) En attendant le vent de midi dans la faifon de l'été où ils étoient. Car il vient de dire que les été fies régnoient alors, & c'étoient ces vents-là qui les avoient portés au cap

de Pachyne; & s'ils avoient été une fois éloignés de ce cap, pour regagner la Sicile, ils auroient eu befoin du vent de midi, qu'ils ne pouvoient pas attendre fitôt.

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