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qu'il échappa par cette rufe qui trompa les ennemis. Mais cette juftification paroît peut vraisemblable; (1) car quelle apparence qu'un Erginus, fimple particulier, & Syrien de nation, fe fut mis dans la tête un fi grand deffein, s'il n'avoit eu Aratus pour Capitaine, & s'il n'eût reçu des troupes & prit même de lui l'ordre & le temps de l'exécution? Et c'eft ce qu'Aratus fit affez voir dans la fuite; car il n'attaqua pas le Pirée deux fois & trois fois feulement, mais à plufieurs reprises, comme les amants infortunés ne fe laffent point de faire toujours de nouvelles tentatives auprès de leurs maîtreffes.

Tous ces mauvais fuccès ne le rebuterent point; au contraire, comme dans toutes fes attaques fon efpérance n'avoit été trompée que d'un moment, & qu'il n'avoit prefque tenu à rien qu'il n'eût réuffi, il tiroit tou

(1) Car quelle apparence qu'un Erginus, fimple parti culier & Syrien de nation, fe fût mis dans la tête un fi grand deffein. Ce raifonnement de Plutarque eft trèsfenfé & très-folide. Cependant on pourroit dire pour appuyer la juftification d'Aratus, que cet Erginus après le fuccès de l'affaire de Sicyone, ayant touché beaucoup d'argent, avoit pu être tenté d'enployer cet argent à ra

maffer quelques troupes pour faire un coup d'éclat, dont il étoit bien für de tirer une grande récompenfe s'il réuffiffoit. Les diverfes tentatives qu'Aratus fit depuis fur ce port, témoignent un peu contre lui, mais elles ne font pas une preuve bien fûre. Aratus pouvoit fort bien s'être mis dans la tête. le projet d'Erginus, & avoir voulu Pexécuter.

jours de-là un nouveau prétexte de nourrir fon audace, & de s'opiniâtrer dans fon deffein. Une fois entr'autres ayant été repouffé, & fuyant au travers de la plaine de Thriafie, il fe rompit la jambe, de forte qu'il fut obligé d'effuyer plufieurs incifions pendant qu'on le traitoit, & qu'il fut long-temps dans la néceffité de fe faire porter en litiere dans fes campagnes.

Antigonus étant mort, & fon fils Dêmétrius lui ayant fuccédé, Aratus n'en pourfuivit que plus vivement encore la délivrance d'Athenes, & n'en eut que plus de mépris pour les Macédoniens. C'eft pourquoi ayant été défait dans une bataille près de Phylacie, par Bithus, l'un des Lieutenants du Roi Démétrius, & un grand bruit s'étant répandu d'un côté qu'il étoit prifonnier, & de l'autre qu'il avoit été tué, Diogene, qui commandoit au Pirée, écrivit à Corinthe une lettre, par laquelle il ordonnoit aux Achéens de fe retirer de Corinthe, attendu qu'Aratus étoit mort. Quand cette lettre fut portée à Corinthe, il fe trouva qu'Aratus y étoit présent. Ainfi les envoyés de Diogene, après avoir donné un grand fujet de difcourir & de rire d'une fi plaifante aventure, s'en retournerent tout confus. Le Roi de Macédoine même fit partir un vaisseau, dans lequel il ordonnoit qu'on lui envoyat Aratus pieds & poings liés.

En cette occafion, les Athéniens furpafferent tout ce que la flatterie la plus outrée pouvoit imaginer, pour faire leur cour aux Macédoniens, jufques-là qu'ils fe couronnerent de chapeaux de fleurs fur les premieres nouvelles qu'ils reçurent qu'Aratus étoit mort. Aratus, irrité de cette ingratitude & de cette baffeffe, mena d'abord contre eux fon armée, & s'avança jufqu'au parc de l'Académie; mais fléchi par leurs prieres, il ne leur fit aucun mal. Les Athéniens ayant reconnu fa vertu, & voulant profiter de la mort de Démétrius, pour recouvrer leur liberté, l'appellerent à leur fecours. Alors Aratus, quoiqu'il y eût cette année-là un autre Général des Achéens, & qu'il fût lui-même obligé de garder le lit pour une longue maladie dont il étoit attaqué, ne laiffa pas de fe faire porter dans une litiere pour aller rendre ce fervice à Athenes.

Dès qu'il y fut arrivé, il perfuada à Diogene qui commandoit la garnison, de remettre le Pirée, le fort de Muny chia, Salamine, & Sunium entre les mains des Athéniens pour la fomme de cent cinquante talents, dont Aratus en fournit vingt de fon bien propre. En même-temps les Eginetes & ceux d'Hermione, fe joignirent aux Achéens, & la plus grande partie de l'Arcadie fuivit leur exemple; de forte que comme les Macédoniens fe trouverent alors embarraffés de guerres contre leurs voifins, la puiffance des A

chéens fe trouva confidérablement augmentée, vu même que les Etoliens entrerent dans leur parti. Aratus qui vouloit accomplir fon ancienne promeffe, & qui étoit fâché de voir fi près de lui la tyrannie établie à Argos, profita de cette conjecture, envoya vers Aristomaque lui remontrer qu'il feroit bien de remettre fa ville en liberté, de la joindre à la ligue des Achéens, d'imiter la générofité de Lyfiades, & d'aimer mieux être le Général d'une fi puissante nation, avec l'eftime & les bénédictions de tout le monde, que le Tyran d'une feule ville, avec la haine & le mépris de tous les gens de bien, & nuit & jour en grand danger de fa perfonne.

Ariftomaque écouta fes remontrances, & le pria de lui envoyer cinquante talents, afin qu'il pût payer & congédier les troupes qu'il avoit appellées. L'argent ayant été fourni fur l'heure, Lyfiades qui étoit encore Capitaine Général, & qui avoit l'ambition de vouloir que cette négociation fût regardée des Achéens comme fon ouvrage, décria Aratus auprès d'Ariftomaque, lui difant qu'il étoit l'implacable ennemi des Tyrans, & qu'il ne devoit attendre de lui aucune grace, & lui infinuant qu'il devoit fe remettre plutôt entre fes mains, qu'entre celles d'un ennemi fi redoutable & auquel il ne devoit pas fe fier. Ariftomaque le crut, & ainfi Lyfiades eut tout l'honBeur d'avoir amené le Tyran dans la ligue

des Achéens. Ce fut en cette occafion furtout que le Confeil des Achéens fit paroître l'affection dont ils étoient portés pour Aratus, & la foi qu'ils avoient en lui; car Aratus s'étant oppofé à ce qu'Ariftomaque fût reçu, ils le chafferent en colere. Enfuite lorfqu'Aratus s'étant laiffé gagner, eut changé d'avis, & qu'il parla en plein confeil pour l'admettre, ils accorderent tout ce qu'il voulut, pafferent le décret, reçurent les Argiens & les Phliafiens dans la ligue, & l'année fuivante ils nommerent Ariftomaque Capitaine Général.

Ariftomaque qui fe voyoit eftimé & honoré des Achéens, & qui brûloit d'envie d'entrer à main armée dans la Laconie, appella Aratus qui étoit alors à Athenes. Aratus lui écrivit pour lui confeiller de renoncer abfolument à cette expédition, ne voulant point que les Achéens s'attaquaffent à Cléomene, qui étoit un jeune homme fier, audacieux, & dont les plus grands dangers ne faifoient qu'au gmenter la réputation & la puiflance. Mais Ariftomaque s'étant opiniâtré à cette entreprife, Aratus obéit & fe rendit à l'armée. Cléomene fe présenta en bataille devant eux près de Pallantium, & Aratus ayant empêché Ariftomaque d'accepter le combat, Lyfiades lui fit fur cela une groffe affaire auprès des Achéens; de forte que l'année fuivante il brigua contre lui le Généralat, & lui

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