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jours fecretement des eunuques & des amis particuliers du Roi qui lui rapportoient de prétendues menaces & des propos terribles qu'ils avoient ouïs de la propre bouche du Roi, & qui lui faifoient entendre que fon pere avoit réfolu de le faire mourir d'une maniere très-cruelle & très-ignominieuse. Ces gens, fi artificieusement apoftés, lui allant faire tous les jours ces faux rapports, qu'ils lui faifoient à l'oreille comme lui difant des chofes très-fecretes, & l'affurant que le Roi alloit exécuter tout-à-l'heure une partie de ces menaces, & qu'il exécuteroit les autres bientôt après, ils étonnerent fi fort ce pauvre Prince, ils lui infpirerent une fi grande terreur, & le jetterent dans un fi grand trouble & dans un tel défefpoir, que ne trouvant en lui-même aucune reffource, il prépara un poifon mortel, l'avala & fe délivra de la vie.

Le Roi, informé de fa mort, le pleura tendrement & en foupçonna la caufe; mais fa grande vieilleffe l'empêchant d'en faire la recherche, & d'avérer le fait, il s'attacha davantage à Arfame qui lui devint encore plus cher, & l'on voyoit clairement que le Roi mettoit en lui toute fa confiance, & lui découvroit tous fes fentiments les plus fecrets. Cette préférence fi marquée obligea Ochus à ne pas différer fon entreprise; il attira Harpate, fils de Tiribafe, qui tua ce Prince de fa main. Artaxerxe étoit alors fi vieux & fi caffé, que

la moindre chofe étoit capable de le mettre dans le tombeau. Il ne put donc réfifter à l'affliction que lui caufa la mort d'Arfame, le regret & la douleur l'éteignirent en peu de jours. Il avoit quatre vingt-quatorze ans, & en avoit regné foixante-deux. Il paffà pour un Prince doux, humain, & qui aimoit fes peuples; mais ce qui contribua plus que tout à lui donner cette bonne réputation, ce fut la comparaison de fon fils Ochus, qui en cruauté, en inhumanité & en naturel fanguinaire, furpaffa tous les hommes du monde, même les plus cruels.

Fin de la Vie d'Artaxerxe.

ARATU S.

IL me femble, mon cher Polycrate, que le Philofophe Chryfippe, choqué du mauvais fens qu'il trouvoit dans un ancien proverbe, a pris la liberté de le changer; car il le rapporte, non tel qu'il eft, mais tel qu'il a cru qu'il devoit être, & comme le voici: Qui eftce qui loue fon pere, que les enfants heureux? Mais Dionyfodore de Trézene le reprend fur cela, & raccommodant le proverbe, il le rend dans fes propres termes: Qui eft-ce qui louera fon pere, que les enfants malheureux ? Et il dit que ce proverbe eft fait pour fermer la bouche à ceux qui n'ayant aucun mérite, ni aucune vertu en eux-mêmes, fe parent des vertus de leurs ancêtres, & font toujours à les louer. Mais pour ceux en qui éclate naturellement la générofité de leurs peres, pour me fervir des termes de Pindare, comme on le voit en vous, qui conformez toute votre vie au plus parfait des exemplaires que vos aïeux vous ont laiffé, c'eft une grande félicité de fe fouvenir toujours des gens de bien qui ont été dans leur famille, d'entendre rapporter leurs grandes actions, & de les raconter eux-mêmes. Car faute de biens qui

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