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fon fecours (b), il eft jufte de même que ni les Grecs ni les Romains ne fe plaignent de l'Académie, puifqu'ils en font également favorifés, comme on le verra dans ce petit livre, qui renferme la vie de Brutus & celle de Dion; car l'un ayant été disciple de Platon, & l'autre ayant été nourri dans fes préceptes & dans fa doctrine, ils font fortis tous deux comme d'une même falle d'armes pour exécuter les plus grands exploits. Or que tous deux par plufieurs actions toutes femblables, &, pour ainfi dire, germaines, ils ayent rendu ce témoignage à leur guide dans la vertu, qu'il faut que la puiffance & la fortune fe rencontrent avec la prudence & la juftice, afin que tout ce que fait un homme d'Etat, puiffe recevoir toute la beauté & toute la grandeur néceffaires pour le bien des peuples; c'eft de quoi il ne faut pas s'étonner. Car comme Hippomachus, le maître de Falestre, difoit qu'il connoiffoit de loin ceux qui avoient fait leurs exercices dans la falle, (c) à les voir feulement revenir du marché portant de la

(b) Il est juste de même que ni les Grecs ni les Romains ne fe plaignent de l'Académie. Car elle a fait autant pour les uns que pour les autres puifque fi elle a porté Dion à délivrer la Sicile, elle a auffi excité Brutus à délivrer Rome. (c) A les voir feulement

revenir du marché portant de la chair dans leurs mains. Cartelles étoient les mœurs des Grecs, les citoyens alloient eux-mêmes au marché & à la boucherie. Ceux qui ont lu les carac teres de Théophraste n'en font pas furpris, ils en ont vu les preuves.

chair dans leurs mains, il eft de même trèsvraisemblable que la raifon accompagne toujours les actions de ceux qui ont été bien inftruits & bien élevés, & qu'avec la décence & l'honnêteté, elle leur communique une - certaine harmonie & une certaine confonnance qui les rend conformes & reconnoif-fables.

D'un autre côté, les accidents de la Fortune que ces deux perfonnages ont éprouvés, & qui ont été les mêmes, plus par aventure que par leur choix, mettent dans leurs vies une parfaite reffemblance: car ils ont été tués l'un & l'autre avant que d'avoir frappé au but auquel ils avoient dirigé toutes leurs actions, & fans avoir pu tirer auçun fruit de leurs grands & glorieux travaux. Mais ce qu'il y a de plus merveilleux & de plus furprenant, c'eft que les Dieux les firent avertir tous deux de leur fin, envoyant à l'un & à l'autre un fantôme horrible qui fe présenta devant eux. Cependant il y a beaucoup de gens qui nient ces fantômes & ces apparitions d'efprits, & qui foutiennent que jamais fantôme ni spectre, ni efprit ne fe font apparus à aucun homme qui ait été dans fon bon fens, & qu'il n'y a que les enfants, les petites femmes foibles & les hommes à qui la maladie a affoibli le cerveau, qui fe trouvant dans quelque aliénation d'efprit, ou dans quelque disposition du corps très-altérée & très-vicieuse,

s'impriment dans la fantaific des imaginations vaines & étranges, & tombent dans cette fuperftition qu'ils ont en eux quelque mauvais génie. Mais fi Dion & Brutus, hommes graves, fort verfés dans la Philofophie, tous deux incapables de fe laiffer abuser & furprendre par aucune paffion, ont été fi émus du fantôme qui leur apparut, qu'ils ont raconté cette vifion à leurs amis, je ne vois pas que nous puffions nous empêcher de recevoir cette opinion, quelque abfurde qu'elle paroiffe, qu'il y a des démons envieux & malins, qui par envie s'attachent aux plus gens de bien, & qui pour s'opposer à leurs bonnes actions, leur jettent dans l'efprit dès frayeurs & des troubles, de peur que s'ils demeurent fermes & inébranlables dans la vertu, ils n'obtiennent après leur mort une meilleure vie que la leur. Mais cette matiere doit être réservée pour un autre traité. Préfentement, dans ce douzieme de nos paralleles, déduifons la vie du plus ancien.

Le vieux Denys, après s'être emparé du Royaume de Sicile, époufa la fille d'Herinocrate de Syracufe. Comme fa tyrannie n'étoit pas encore bien cimentée, les Syracufains fe fouleverent contre lui, & commirent contre fa femme de fi grandes infolences & des indignités fi affreufes, qu'elle fe fit mourir. Mais ce Prince ayant recouvré & mieux affermi fa domination, époufa en même-temps

deux femmes; l'une du pays de Locres, appellée Doris ; & l'autre de Syracuse même, nommée Ariftomaque, fille d'Hipparinus, qui étoit le plus confidérable & le plus puiffant de la ville, & qui avoit commandé avec Denys lorsqu'il avoit été nommé pour la premiere fois Général des troupes. On dit qu'il les époufa toutes deux le même jour, & que jamais perfonne ne fut laquelle des deux avoit été la premiere. Et dans la fuite il partagea toujours également fon amour fans marquer aucune préférence, car elles mangeoient toutes deux avec lui, & la nuit elles couchoient avec lui l'une après l'autre, chacune à fon tour. Le peuple de Syracufe prétendoit pourtant que celle de fon pays fût préférée à l'étrangere; mais celle-ci eut le bonheur de donner la premiere un fils à fon mari, ce qui lui aida beaucoup à fe foutenir contre les cabales & les brigues que l'on faifoit contre elle, fur ce qu'elle étoit étrangere. Ariftomaque fut long-temps fans devenir groffe, quoique Denys fouhaitât avec tant de paffion d'en avoir des enfants, qu'il fit mourir la mere de fa Locrienne, lui imputant que par fes poifons & par fes fortileges, elle empêchoit Ariftomaque de concevoir.

Dion étoit frere d'Ariftomaque. D'abordil fut fort bien auprès du Prince, par le crédit & par la protection de fa foeur; mais dans la fuite, ayant donné des preuves de fon grand

fens, fon propre mérite le fit fort aimer & confidérer du Tyran. Outre toutes les autres marques que ce Tyran lui donna de fa confiance, il ordonna à fes tréforiers de lui fournir fans autre ordre tout l'argent qu'il demanderoit, pourvu qu'ils vinffent ludire le jour même ce qu'ils lui auroient donné.

Dion étoit naturellement fier & plein de magnanimité & de courage, & il fe fortifia encore dans ces grandes qualités pendant un voyage que Platon fit en Sicile par une fortune véritablement divine; car on ne peut imputer ce voyage à aucune prudence huinaine; ce fut visiblement quelque Dieu, qui jettant de loin les fondements de la liberté de Syracufe, & de la ruine entiere de la tyrannie, amena ce Philofophe d'Italie à Syracufe, & le fit entendre à Dion, qui étoit véritablement encore fort jeune, mais plus docile pour apprendre, plus vif pour bien concevoir, & plus ardent à obéir à tous les préceptes de la vertu, qu'aucun des difciples que Platon ait eus, & qui foient fortis de fon école. (d) Platon lui rend lui-même ce té

(d) Platon lui rend luimême ce témoignage. C'eft dans fa feptieme lettre où il dit en propres termes Pour moi en converfant avec Dion qui étoit alors fort jeune, en lui expliquant les chofes que je

croyois les plus belles & les plus dignes de l'homme, & en l'exhortant à les pratiquer, je ne me donnai pas de garde que je préparois infenfiblement la ruine totale de la tyrannie. Car Dion étant un esprit très-docile,

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