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à terre,

vant, dans une proceffion, la victoire d'or de Caffius, qui étoit portée en pompe, tomba celui qui la portoit ayant bronché. De plus, quantité d'oiseaux carnaciers paroiffoient tous les jours dans le camp, (b) & l'on vit plufieurs effaims d'abeilles qui s'étoient affemblées au-dedans du camp dans un certain lieu que les Devins firent enfermer, & qu'ils mirent hors de l'enceinte des retranchements pour expier ce préfage, & pour éloigner la crainte fuperftitieufe qui avoit déja ébranlé Caffius malgré la doctrine d'Epicure qu'il fuivoit, & entiérement foumis & captivé l'efprit de toutes les troupes. C'est pourquoi Caffius n'étoit nullement d'avis de hafarder alors la bataille, mais il vouloit qu'on traînât la guerre en longueur, d'autant plus qu'ils avoient plus d'argent que l'ennemi, & qu'ils lui étoient inférieurs en armes & en troupes.

Brutus au contraire avoit toujours cherché & cherchoit encore plus que jamais à en venir à une bataille décifive, afin de rendre plutôt la liberté à fa patrie, ou de délivrer

ges dans le livre, xlvij. dit feulement qu'un foldat qui portoit une victoire, comme les foldats en portent d'ordinaire, tomba en marchant. Il ne dit point que cette victoire fût d'or, ni que ce fût la victoire de Caf

fius; Plutarque paroît mieux inftruit que Dion.

(b) Et l'on vit plufieurs essaims d'abeilles. Nous avons vu déja dans la vie de Dion que les abeilles étoient regardées comme de mauvais augures.

au moins de tant de maux tout le monde déja épuisé par les dépenfes infinies qu'il falloit faire pour entretenir ces nombreuses armées, & accablé de toutes les autres miferes que la guerre entraîne néceffairement.

D'ailleurs, comme il voyoit que dans toutes les efcarmouches & dans tous les partis fes gens étoient toujours les plus forts, battoient les ennemis, cela lui élevoit le courage. De plus, il y avoit une grande défertion dans fon armée; tous les jours quantité de déferteurs alloient fe rendre à Céfar, & il y en avoit un plus grand nombre encore qu'on foupçonnoit de n'attendre que l'occafion pour fuivre leur exemple. C'eft ce qui fit changer plufieurs des amis de Caffius, & qui les obligea de fe ranger dans le Confeil à l'avis de Brutus. Il n'y eut qu'un feul des amis de ce dernier qui s'oppofa à fon fentiment, ce fut Atélius. Il opina qu'il falloit gagner l'hyver. Brutus lui demanda : Quel avantage efperes-tu donc tirer d'attendre encore une année? Quel avantage? repartit Atélius, quand il n'y en auroit point d'autre, j'aurois toujours celui d'avoir vécu un an de plus. Cette réponse facha Caffius, & déplut extrêmement à tous les Officiers qui affiftoient à ce Confeil, & il fut réfolu que l'on donneroit la bataille le lendemain.

Brutus foupa ce foir-là gaiement, plein de grandes & belles efpérances, s'entretint pen

dant tout le fouper de difcours de philofophie; & après fouper il repofa un peu de temps. Mais Caffius, felon le rapport de Meffala, foupa en fon particulier avec un petit nombre d'amis qu'il avoit amenés avec lui, & pendant tout le repas, il fut fombre, penfif & taciturne, quoique ce ne fût pas fon naturel. Après le fouper, il prit la main de Meffala, & la ferrant par maniere de careffe, comme il avoit accoutumé, il lui dit en langage Grec Meffala, je vous prends à témoin qu'il m'arrive la même chose qu'au grand Pompée; je fuis forcé malgré moi de mettre au hasard d'une bataille la liberté de ma patrie, & de la jouer comme à un feul coup de dez. Véritablement nous avons bon courage & grand fujet d'efpérer quand nous confidérons les faveurs de la fortune, de laquelle nous aurions grand tort de nous défier, quand même nous fuivrions de mauvais confeils. Meffala ajoute qu'en finiffant ces dernieres paroles, il l'embraffa & lui dic adieu, (g) & que lui Meffala le pria à fou

(c) Et que lui, Meffala, le pria à fouper pour le lendemain qui étoit le jour de fa naiffance. Le Grec eft un peu obfcur. Car on ne voit pas bien fi le lendemain eft le jour de la naiffance de Caffius, ou celui de la naiffance de Meffala. J'ai fuivi le dernier fens. Caf

fius, fombre & penfif comme il étoit, ne penfoit guere à prier à fouper pour le lendemain. Ce fut Meffala qui le pria pour le jour de fa fête. Car c'étoit la coutume de prier fes amis le jour de fa naiffance.

per pour le lendemain, qui étoit le jour de fa naiffance.

Le lendemain à la pointe du jour, on expofa dans le camp de Brutus & dans celui de Caffius le fignal de la bataille, qui étoit une cotte d'armes de pourpre, & les deux chefs parlerent ensemble au milieu des deux camps. Caffius adreffa le premier la parole à Brutus, & lui dit : Brutus, puiffions-nous remporter la victoire & paffer ensemble le reste de nos jours en repos & en profpérité! Mais comme les plus grandes affaires des hommes font toujours les plus incertaines, & que fi la bataille vient à tourner autrement que nous n'espérons, il nous fera peut-être impoffible de nous revoir, dites-moi, qu'avez-vous réfolu fur la fuite ou fur la mort?

Brutus lui répondit: Caffius, pendant que j'étois encore jeune & fans expérience des chofes du monde, je m'avifai, je ne fais comment, de compofer un Traité de philofophie, où je blamois fort Caton de s'être tue luimême, comme n'étant ni pieux ni digne d'un homme de fe fouftraire à l'ordre des, Dieux, & de ne pas recevoir courageufement tout ce qu'ils envoyent, mais de reeuler & de fuir. Préfentement l'état de notre fortune me force de changer d'avis, & fi Dieu ne donne pas à cette journée une iffue beureuse pour nous, je fuis réfolu de ne plus tenter d'autres espérances, & de ne plus

mettre d'autre équipage de guerre fur pied, mais de me délivrer de tant de miferes & d'embarras, en me louant de la fortune & très-content d'elle. Le jour des ides de Mars je donnai ma vie à ma patrie, & c'est par ce don que j'en ai mené depuis une autre toute libre & très-glorieufe. A ces mots, Caffius fe prit à fourire, & embraffant Brutus: Avec ces fentiments fi nobles, lui dit-il, allons donc aux ennemis; car ou nous remporterons la victoire, ou nous ne craindrons plus les vainqueurs.

Après cet entretien, ils fe mirent à parler de l'ordonnance de la bataille en présence de leurs amis. Brutus demanda à Caffius le commandement de l'aîle droite, que tout le monde croyoit plutôt dû à Caffius à caufe de fon âge & de fa grande expérience. Cependant Caffius le lui accorda, & ordonna de plus que Meffala, qui étoit à la tête de la plus brave & la plus aguerrie de toutes leurs légions, combattît à cette aîle. Sur le moment Brutus fit fortir de fes retranchements fa cavalerie magnifiquement parée, & mit en bataille fon infanterie.

Les foldats d'Antoine travailloient à tirer de grandes tranchées depuis les marais où ils étoient campés, au travers de la plaine, pour couper à Caffius le chemin de la mer, pendant que Céfar ne faifoit de fon côté aucun mouvement, ou pour mieux dire fon armée;

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