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les idiomes primitifs des Gaulois. Par exemple, l'idiome breton, parlé alors dans les provinces du Nord, emploie fréquemment l'n nasal, qu'on ne trouve pas dans le gaëlique, dialecte des Gaulois du Midi.

Cette persistance du langage nous étonnera moins si nous songeons que la race celtique a conservé avec la même ténacité ses coutumes, ses mœurs et même ses lois. Un savant jurisconsulte vient de montrer dans le droit coutumier de la France des restes certains et nombreux de l'ancienne législation gauloise1.

La poésie de cette population primitive ne mérite pas moins que sa langue de fixer un instant notre attention.

Restes de la poésie gauloise.

Toute la culture intellectuelle de la race celtique était confiée à la classe sacerdotale, dont les deux principaux ordres étaient ceux des druides et des bardes. Les druides étaient plus spécialement les ministres du culte, les arbitres souverains de la justice, les dépositaires de l'autorité morale et des traditions scientifiques. Ils formaient une puissante théocratie dominée par un chef électif et se rassemblaient chaque année en une sorte de concile. Ce corps redoutable se recrutait à l'aide de sévères épreuves et imposait à ses disciples un long noviciat. Les anciens membres transmettaient oralement à leurs nouveaux associés le dépôt encyclopédique de la science, et vingt ans suffisaient à peine pour le posséder tout entier. Les bardes musiciens et poëtes chantaient les hymnes des dieux dans les sacrifices, animaient le courage. des combattants et célébraient leurs exploits dans les festins publics. Toute l'antiquité classique est unanime pour leur reconnaître ce double caractère religieux et patriotique. Les

4. M. Laferrière, Histoire du droit civil de Rome et du droit français. 2. Derouyd vient de De ou Di, Dieu, et rhoud ou rhouid, parlant (allem. reden). Derouyd signifie done interprète des dieux, ou qui parle des dieux. Le mot grec eolóyos en est la traduction littérale.

3. On peut lire, au commencement des Chants populaires de la Bretagne, un spécimen de cet enseignement druidique. C'est un poëme fort obscur, où diverses notions d'astronomie, d'histoire et de mythologie celtique sont rattachées à la série des premiers nombres. Quelques Bretons le chantent encore sans en comprendre le sens.

mêmes fonctions sont attribuées aux bardes avec plus de détails par les lois de Moelmud, qui passent aux yeux de quelques savants pour un remaniement ultérieur des lois préexistantes à l'établissement du christianisme, mais qui certainement sont antérieures à celles de Hoel le Bon, législateur gallois du x siècle. Selon ces lois, le devoir des bardes est de répandre et de conserver toutes les connaissances morales. Ils doivent tenir compte de chaque action mémorable soit de l'individu, soit de la tribu; de tous les événements du temps, de tous les phénomènes de la nature, des guerres et des victoires; ils sont chargés de l'éducation de la jeunesse, ils ont des franchises particulières, ils sont mis de niveau avec l'agriculteur, et regardés comme une des trois colonnes de la nation'.

Les bardes ne tardèrent pas à dégénérer. Posidonos, qui visita la Gaule un siècle avant l'ère chrétienne, nous montre déjà un barde courant après les roues du char de Luern, roi des Arvernes, et ramassant avec reconnaissance une bourse d'or que ses louanges lui ont attirée. La même décadence est attestée par les plus anciens monuments poétiques des bardes gallois, dont la critique moderne a établi incontestablement l'authenticité. Nous y voyons des bardes placés pour la plupart sous le patronage des chefs militaires, s'asseoir à leur table, demeurer dans leur palais et les accompagner à la guerre. C'est une véritable domesticité féodale 3.

Le siége principal du bardisme au temps de César était la Grande-Bretagne. Cette contrée, moins exposée aux invasions étrangères, offrait sans doute un asile plus paisible aux savants dépositaires des traditions celtiques. La Bretagne armoricaine se trouva dans des circonstances presque aussi favorables. Sa position géographique, ses forêts et la mer la préservèrent du contact des mœurs et des idées romaines.

4. La Villemarqué, Chants populaires de la Bretagne, t. I, p. 5. Myvyrian, Archeology of Wales, t. III, p. 294.

2. Sharon Turner, A vindication of the genuineness of the ancient British

poems.

3. La Villemarqué, Introduction (ouvrage cité).

De plus elle reçut au ive et au ve siècle de nouveaux éléments druidiques. Plusieurs migrations de Bretons insulaires vinrent successivement raviver en elle l'ancien esprit national; d'abord en 383, à la suite du tyran Maxime, et plus tard au ve et au vre siècle, quand les Saxons vainqueurs expulsèrent un grand nombre des habitants de l'île. La race celtique, ainsi concentrée dans l'Armorique, devint plus compacte et plus forte. Les institutions antiques refleurirent, les bardes retrouvèrent leur éclat. Taliesin, le chef des bardes, des prophètes et des druides gallois, fut probablement au nombre des émigrés qui vinrent chercher en Gaule un asile. Hyvarnion, exilé comme lui, fut admis comme barde domestique dans la maison du duc Judick-Haël. Les Bretons d'Armorique ont recueilli, comme leurs frères du pays de Galles, les œuvres de leurs poëtes les plus célèbres. La plupart se sont perpétués, sans autre secours que la transmission orale. Il est un barde pourtant dont les chants avaient été écrits, et conservés ainsi jusqu'à la fin du siècle dernier. Il se nommait Gwenchlan. M. de La Villemarqué, tout en regrettant la perte du précieux manuscrit, croit pouvoir au moins nous offrir un des poëmes de ce barde. C'est un chant populaire que les paysans bretons intitulent Prédiction de Gwenchlan. Le savant critique trouve que le fonds d'opinions, de mœurs, de sentiments, d'idées et d'images qui le constituent offre tous les caractères de la poésie des bardes du vet du via siècle, avec une teinte encore plus crue de paganisme, et une haine prononcée contre l'Église chrétienne. Nous allons en citer quelques fragments.

Le barde, vieux et privé de la vue par la barbarie d'un chef étranger, s'abandonne d'abord à sa douloureuse rêverie.

« Quand le soleil se couche, quand la mer s'enfle, je chante sur le seuil de ma porte.

« Quand j'étais jeune, je chantais; devenu vieux, je chante

encore.

« Je chante la nuit, je chante le jour, et je suis chagrin pourtant. »

Comme les druides animaient de leurs hymnes les guerriers gaulois compagnons de Vindex; comme Taliesin et

Merlin prédisaient la défaite de la race saxonne et le triomphe des indigènes, Gwenchlan, dans une poétique imprécation qui rappelle les diræ preces des bardes de l'île de Mona, annonce la défaite des étrangers. L'agresseur lui apparaît sous l'image d'un sanglier, le chef armoricain sous celle d'un cheval de mer. Il assiste au combat furieux qu'ils se livrent, et se laisse emporter par l'ivresse de la victoire et du car

nage.

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Je vois le sanglier qui sort du bois : il boite, il est blessé. « Sa gueule béante est pleine de sang, son crin est blanchi par l'âge.

« Il est entouré de ses petits qui grognent de faim.

« Je vois le cheval de mer venir à sa rencontre, et faire trembler le rivage d'épouvante.

Il est aussi blanc que la neige brillante; il porte au front des cornes d'argent.

L'eau bouillonne sous lui, au feu du tonnerre de ses na

seaux.

<< Tiens bon ! tiens bon! cheval de mer; frappe-le à la tête; frappe fort, frappe.

Les pieds nus glissent dans le sang! Plus encore ! Frappe donc! Plus fort encore!

Je vois le sang lui monter jusqu'aux genoux, je vois le sang comme une mare!

« Plus fort encore! Frappe donc! Plus fort encore! Tu te reposeras demain. »

Puis, changeant tout à coup la scène, et associant à sa vengeance les animaux de proie, il donne à sa poésie un caractère plus énergique et plus sauvage encore.

Comme j'étais doucement endormi dans ma froide tombe, j'entendis l'aigle appeler au milieu de la nuit.

Il appelait ses aiglons et tous les oiseaux du ciel.

« Et il leur disait en les appelant: Levez-vous vite sur vos deux ailes.

« Ce n'est pas de la chair pourrie de chiens et de brebis, c'est de la chair chrétienne' qu'il nous faut!

4. Peut-être ne faudrait-il pas voir dans cette expression la haine contre la

« Vieux corbeau de mer, dis-moi, que tiens-tu ici?

« Je tiens la tête du chef d'armée; je veux avoir ses deux yeux rouges.

Je lui arrache les yeux, parce qu'il a arraché les tiens. « Et toi, renard, dis-moi, que tiens-tu ici ?

<< Je tiens son cœur, qui était aussi faux que le mien, « Qui a désiré ta mort, et qui t'a fait mourir depuis longtemps.

"

« Et toi, dis-moi, crapaud, que fais-tu là au coin de sa bouche?

« Moi, je me suis mis ici pour attendre son âme au passage. Elle demeurera en moi tant que je vivrai, en punition du crime qu'il a commis

« Contre le barde qui habitait jadis entre Roch-Allaz et Porz-Gwenn. »

Cette dernière et effrayante idée se rattache directement au dogme druidique de la métasomatose. L'originalité puissante, le coloris ardent de cette poésie, la haine des étrangers chrétiens, tout nous semble con firmer l'opinion de M. de La Villemarqué, et assigner à ce morceau la date la plus reculée.

Abandonnons maintenant l'Armorique et ses bardes, laissons-les s'adoucir sous l'influence de ce christianisme qu'ils embrasseront avec autant de ténacité qu'ils l'ont d'abord repoussé avec énergie. Nous entendrons encore leur voix au moyen âge, nous retrouverons leurs braves chevaliers autour de la table ronde d'Arthur et du tombeau enchanté de Merlin.

Les Ibères.

Il y avait sur le sol de la Gaule un autre peuple que des travaux récents paraissent avoir définitivement rattaché à la souche celtique, mais qui diffère assez du reste de la race pour qu'il soit nécessaire d'en faire ici mention.

Les Ibères, dont les restes survivent encore aujourd'hui dans la population basque, sont probablement le peuple le plus ancien de l'Europe. Ils semblent avoir formé l'avantgarde de cette grande migration qui, des contrées de la religion chrétienne. Les paysans, méme de nos jours, emploient le mot chrétien comme synonyme de humain.

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