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Apollon porte-jour; Herme, guide-navire;
Mercure échelle-ciel, invente-art, aime-lyre....
La guerre vient après, casse-lois, casse-mœurs,
Rase-forts, verŝe-sang, brûle-bois, aime-pleurs.

Avec ses grands mots et ses interminables descriptions, Dubartas a de la verve, des idées nobles, un enthousiasme vrai et communicatif. Son ouvrage eut trente éditions en dix ans, fut traduit dans presque toutes les langues, et il continue à jouir d'une grande réputation chez nos voisins d'outre-Rhin, moins choqués que nous des monstruosités de son langage.

Il est encore un poëte, bien plus remarquable, à notre avis, que Dubartas, qui, loin de la capitale, au sein d'une vie agitée et guerrière, conserva jusque dans la première partie du XVIe siècle la langue rude, obscure, inégale, mais énergique et puissante des commencements de Ronsard. C'est Agrippa d'Aubigné, auteur d'une histoire universelle, d'intéressants mémoires et de pamphlets pleins de malice'. Protestant dévoué, il a reçu de ses convictions, de ses haines vigoureuses contre un catholicisme persécuteur, une inspiration ardente, que les poëtes du XVIe siècle ignorent presque toujours. Ses Tragiques, satire religieuse et politique, incohérent mélange de mythologie grecque, d'allégories morales et de théologie, s'illuminent souvent d'éclairs d'indignation, et présentent à l'admiration de la critique les plus mâles beautés. L'esprit hébraïque y respire, dit M. Sainte-Beuve, pareil à cet esprit de Dieu qui flottait sur le chaos. Au contraire des poëtes contemporains, adorateurs exclusifs de la forme, d'Aubigné, comme les prosateurs, s'attache à la pensée, il la saisit et la dompte avec une telle puissance qu'il la contraint presque de se courber sous la rude enveloppe de son langage. On sent ici le voisinage du grand siècle; l'union de l'idée et de la forme est presque accomplie. Ici, comme dans la prose, c'est encore la forme qui pèche. Elle trahit encore le tumulte d'une époque de désordre et de confusion. Le poëte le déclare lui-même :

Si quelqu'un me reprend que mes vers échauffés
Ne sont rien que de meurtre et de sang étoffés,

4. Né en 1550; mort en 1630. Principales œuvres: Histoire universelle de

Qu'on n'y lit que fureur, que massacre et que rage,
Qu'horreur, malheur, poison, trahison et carnage,
Je lui réponds: ami, ces mots que tu reprends
Sont les vocables d'art de ce que j'entreprends.
Les flatteurs de l'amour ne chantent que leurs vices,
Que vocables choisis à peindre les délices,

Que miel, que ris, que jeux, amours et passe-temps:
Une heureuse folie à consumer le temps....

Ce siècle, autre en ses mœurs, demande un autre style:
Cueillons des fruits amers desquels il est fertile.

Non, il n'est plus permis sa veine déguiser,

La main peut s'endormir, non l'âme reposer.

Qu'il est beau néamoins, quand sa pensée, dissipant les nuages d'une expression laborieuse et triste, éclate tout à coup, comme un glaive qui sort du fourreau! avec quel enthousiasme il glorifie les martyrs étouffés dans les flammes des bûchers!

Les cendres des brûlés sont précieuses graines,
Qui, après les hivers noirs d'orage et de pleurs,
Ouvrent, au doux printemps, d'un million de fleurs
Le baume salutaire, et sont nouvelles plantes,
Au milieu des parvis de Sion florissantes.

Tant de sang, que les rois épanchent à ruisseaux,
S'exhale en douce pluie et en fontaines d'eaux,
Qui, coulantes aux pieds de ces plantes divines,.
Donnent de prendre vie et de croître aux racines.

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Il était évident que la réforme de Ronsard et de la Pléiade n'était pas définitive. C'était un effort violent qui succédait à

4550 à 4604. Aventures du baron de Féneste. La confession de Sancy. -Les Tragiques données au public par le larcin de Prométhée; au Désert. 4646,

une torpeur extrême: la révolution avait passé le but sans l'atteindre. Il lui fallait un modérateur. Elle en eut deux, Régnier et Malherbe : tous deux doués d'un talent original, tous deux grands écrivains, l'un plus poëte, l'autre plus grammairien; tous deux réformateurs, l'un par instinct, l'autre par système. Ni l'un ni l'autre n'eurent pleine conscience de leur œuvre; Régnier crut défendre Ronsard, par attachement pour Desportes, son oncle: en réalité il défendit et reproduisit Marot, dont il avait la libre allure avec plus d'énergie et de couleur. Malherbe crut ruiner l'école de la Pléiade et ses innovations gréco-latines; il en assura le succès en le réglant. Vainement biffa-t-il tout Ronsard, il n'accomplit pas moins ce que Ronsard avait tant souhaité; il donna à l'idiome vulgaire toute la noblesse des langues antiques.

Régnier', par inspiration vraje, par nonchaloir, par insouciance, par abandon à la bonne loi naturelle, revint au simple, au vrai, et rentra sans le savoir dans la vieille école gauloise, qu'il enrichit toutefois d'heureuses imitations. Il suivit par génie l'excellent précepte de du Bellay; « il transforma en soi les meilleurs auteurs, et, après les avoir digérés, les convertit en sang et nourriture. » Il fut le premier en France qui écrivit de véritables satires à l'imitation d'Horace et des poëtes bernesques. Mais son imitation n'était plus le calque servile imaginé par la Pléiade, c'était la féconde émulation, la puissante rivalité du talent. Régnier, il est vrai,

Règle sa médisance à la façon antique;

mais les ridicules et les vices qu'il fait poser devant nous n'ont plus rien de latin; ce ne sont pas les comtemporains d'Auguste, mais bien ceux de Henri IV. Ne reconnaissez-vous pas ce hobereau

Au feutre empanaché, relevant sa moustache;

4. Mathurin Régnier, né à Chartres en 1573, chanoine de l'église de NotreDame en cette ville, mourut à Rouen en 1643.-OEuvres: seize salires, trois épitres, cinq élégies, odes, stances, épigrammes.

2. L'excellente édition des OEuvres de Mathurin Régnier, par M. Viollet-Le

et ce poëte crotté, qui, alléché par les succès de Desportes et

de Bertaud,

Méditant un sonnet, médite un évêché?

Plus loin, voici le disciple de Bartole, qui,

Une cornette au col, debout dans un parquet

A tort et à travers va vendre son caquet;

ou bien le médecin qui reçoit une belle pièce de monnaie à la fin de sa consultation

Et dit, serrant la main << Mais il ne falloit point! »

Au milieu de ces esquisses légères se trouve un vrai chefd'œuvre, Macette, la vieille hypocrite. Déjà au XIIe siècle, Jean de Meung avait ébauché Faux-Semblant; bientôt au XVII, Molière créera Tartufe. Il semble que la poésie française ait toujours été heureuse en touchant à ce sujet,

comme

Par un arrêt du ciel qui hait l'hypocrisie.

A part cet admirable tableau où manquent toutefois encore la vraisemblance et la vie du dialogue, il faut avouer que le pinceau de Régnier s'arrête volontiers à la surface des choses. C'est de lui qu'on peut dire qu'il se joue autour du cœur humain. Sa poésie n'a rien de bien profond, de bien philosophique; ce sont les jeux innocents de la satire ses contemporains l'avaient jugé ainsi. Ce prédécesseur de Boileau était pour eux le bon Régnier; et lui-même nous explique, quoique avec trop de modestie, cette qualification :

Et ce surnom de bon me va-t-on reprochant,
D'autant que je n'ai pas l'esprit d'être méchant.

Ce n'est certes pas l'esprit qui manque à Régnier, ni l'enjouement, ni la verve. Mais il est artiste bien plus que mo

Duc, indique avec soin les passages que le poëte français a pris pour modèles, et met ainsi le lecteur à même d'apprécier le mérite de l'imitation. 4. Circum præcordia ludit. Perse.

raliste; il s'occupe plus de la peinture que de la leçon. Sa plus belle création, c'est son style; on en a fait un bel et juste éloge en le rapprochant de celui de Montaigne. « Régnier est en effet le Montaigne de notre poésie. Lui aussi, en n'ayant pas l'air d'y songer, s'est créé une langue propre, toute de sens et de génie, qui, sans règle fixe, sans évocation savante, sort comme de terre à chaque pas nouveau de la pensée, et se tient debout, soutenue du seul souffle qui l'anime. Les mouvements de cette langue inspirée n'ont rien de solennel ni de réfléchi; dans leur irrégularité naturelle, dans leur brusquerie piquante, ils ressemblent aux éclats de voix, aux gestes rapides d'un homme franc et passionné qui s'échauffe en causant. Les images du discours étincellent de couleurs plus vives que fines, plus saillantes que nuancées. Elles se pressent, elles se heurtent entre elles. L'auteur peint toujours, et quelquefois, faute de mieux, il peint avec de la lie et de la boue. D'une trivialité souvent heureuse, il prend au peuple ses proverbes pour en faire de la poésie, et lui envoie en échange ces vers nés proverbes, médailles de bon aloi, où l'on reconnaît encore, après deux siècles, l'empreinte de celui qui les a frappées1. »

Malherbe.

Le talent de Malherbe a un caractère tout différent. Moins ingénieux que sage, moins fécond que judicieux, toute son invention consiste à bien choisir, toute sa richesse à se dépouiller à propos. Critique plutôt qu'artiste, c'est à quarantecinq ans qu'il commence sa carrière; son œuvre est un code plus qu'un poëme, et, comme tout législateur, il s'attache surtout à ce qu'on doit éviter. Ainsi que le chef des stoïciens, il prend pour devise: abstiens-toi. Il s'enorgueillit d'être appelé le tyran des mots et des syllabes. Le culte de la langue est sa religion; il la prêche encore au lit de mort à sa

1. Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française au xvi® siècle, t. I, p. 469. 2. François de Malherbe naquit à Caen vers 4555, et mourut à Paris en 1628. OEuvres odes, paraphrases, psaumes, stances, épigrammes, chansons, lettres; traduction de quelques traités de Sénèque et du XXXIIIe livre de Tite Live Edition Chevreau, 4723, 3 vol. in-12. Lefèvre, 1825, 4 vol. in-8.

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