Depuis assez longtemps je tâche à le comprendre1, Répondez-moi par ordre, et me laissez parler. Vous, qu'est-ce qu'à son cœur peut reprocher le vôtre? Que l'infidèle a pu me quitter pour un autre; Mon abord en ces lieux la trouve mariée. Dans un grand trouble d'ame Tantôt de mon portrait je vous ai vu saisi. Il est vrai le voilà. SGANARELLE. LÉLIE, à Sganarelle. Vous m'avez dit aussi VAR. Deja depuis longtemps je tâche à le comprendre. VAR. Que lorsque sur le bruit de son hymen fatal. Que celle aux mains de qui vous avez pris ce gage SGANARELLE. (Montrant sa femme.) Sans doute. Et je l'avois de ses mains arraché; LA FEMME DE SGANARELLE. Que me viens-tu conter par ta plainte importune? (Montrant Lélie.) J'ai fait dans sa foiblesse entrer monsieur chez nous, CÉLIE. C'est moi qui du portrait ai causé l'aventure; (A Sganarelle.) Qui m'a fait par vos soins remettre à la maison. LA SUIVANTE. Vous le voyez, sans moi vous y seriez encore1; SGANARELLE, à part. Prendrons-nous tout ceci pour de l'argent comptant? LA FEMME DE SGANARELLE. Ma crainte toutefois n'est pas trop dissipée, Et, doux que soit le mal, je crains d'être trompée. SCANARELLE, à sa femme. Hé! mutuellement, croyons-nous gens de bien; LA FEMME DE SGANARELLE. Soit. Mais gare le bois, si j'apprends quelque chose! Cette suivante, qui vient tout éclaircir, est le germe de la scène charmante du Tartuffe, où Dorine, par un éclaircissement du même genre, réconcilie Valère avec Marianne. Nous aurons souvent l'occasion de remarquer que Molière essayoit dans ses petites pièces des conceptions qu'il se proposoit de développer dans ses chefs-d'œuvre. (Petitot.) VAR. Accepte sans façon le marché qu'on propose. CÉLIE, à Lélie, après avoir parlé bas ensemble. Ah! dieux! s'il est ainsi, qu'est-ce donc que j'ai fait? Je dois de mon courroux appréhender l'effet. Oui, vous croyant sans foi, j'ai pris, pour ma vengeance, Le malheureux secours de mon obéissance; Et, depuis un moment, mon cœur vient d'accepter Un hymen que toujours j'eus lieu de rebuter. J'ai promis à mon père; et ce qui me désole... LÉLIE. Il me tiendra parole. SCÈNE XXIII. GORGIBUS, CÉLIE, LÉLIE, SGANARELLE, LA FEMME DE SGANARELLE, LA SUIVANTE DE CÉLIE. LÉLIE. Monsieur, vous me voyez en ces lieux de retour, GORGIBUS. Monsieur, que je revois en ces lieux de retour, Quoi! monsieur, est-ce ainsi qu'on trahit mon espoir? GORGIBUS. Oui, monsieur, c'est ainsi que je fais mon devoir : CÉLIE. Mon devoir m'intéresse, Mon père, à dégager vers lui votre promesse. GORGIBUS. Est-ce répondre en fille à mes commandements? 'VAR. Brûlant des mêmes feux; et mon ardent amour. Ces trois rimes féminines ont choqué les commentateurs, qui n'ont pas vu que le troisième vers n'est qu'une moquerie de Gorgibus, qui, après avoir répété en dérision tout le discours de Lélie, le termine, suivant l'usage de certains esprits goguenards, en lui fournissant une rime. (Aimé Martin.) Pour Valère, tantôt... Mais j'aperçois son père: SCÈNE XXIV.—VILLEBREQUIN, GORGIBUS, CÉLIE, LÉLIE, SGANARELLE, LA FEMME DE SGANARELLE, LA SUIVANTE DE CÉLIE. GORGIBUS. Qui vous amène ici, seigneur Villebrequin? VILLEBREQUIN. Un secret important que j'ai su ce matin, GORGIBUS. Brisons là. Si, sans votre congé, Valère votre fils ailleurs s'est engagé, Je ne puis vous celer que ma fille Célie Dès longtemps par moi-même est promise à Lélie; VILLEBREQUIN. Un tel choix me plaît fort. LÉLIE. Et cette juste envie D'un bonheur éternel va couronner ma vie... GORGIBUS. Allons choisir le jour pour se donner la foi. SGANARELLE, seul. A-l-on mieux cru jamais étre cocu que moi? Et, quand vous verriez tout, ne croyez jamais rien. 1 VRA. FIN DU COCU IMAGINAIRE. OU LE PRINCE JALOUX, COMÉDIE HÉROÏQUE EN CINQ ACTES. 1661. NOTICE. Après l'éclatant succès des Précieuses, et le succès de fou rire qu'avait obtenu Sganarelle, les adversaires de Molière, forcés de reconnaître sa supériorité, comme auteur comique, lui reprochèrent de ne pas savoir travailler dans le genre sérieux. « On appelait ainsi, dit la Harpe, un mélange de conversation et d'aventures de roman que la galanterie espagnole avait mis à la mode. » En d'autres termes, ce genre sérieux n'était qu'un genre bâtard, qui n'offrait ni la gaieté de la comédie, ni les émotions du drame. L'essai tenté, dans cette voie nouvelle, par Molière, qui peut-être s'était piqué d'amour-propre et voulait montrer la souplesse de son talent, cet essai, disons-nous, ne fut point heureux. Don Garcie, joué le 4 février 1661, sur le théâtre du PalaisRoyal, fut très-froidement accueilli. Molière en cette circonstance eut même un double échec. S'étant chargé du principal rôle, celui du prince jaloux, il ne déploya point, comme acteur, son talent habituel, et se vit contraint de céder ce rôle à un autre. Du reste, après un très-petit nombre de représentations, il eut le bon esprit de retirer la pièce ; et il ne voulut même pas essayer si la lecture lui serait plus favorable, car cette pièce ne fut imprimée qu'après sa mort. Don Garcie est la contre-partie de Sganarelle. Molière voulut dramatiser la jalousie chez un prince espagnol, après l'avoir ridiculisée chez un bourgeois de Paris. Mais en méconnaissant le précepte de la Fontaine, Ne forçons point notre talent, il ne produisit qu'une pièce froide et languissante, malgré le charme du |