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Qu'est-ce donc que ceci? Qui nous paiera, nous autres?

MASCARILLE.

Demandez à monsieur le vicomte.

UN DES VIOLONS, à Jodelet.

Qui est-ce qui nous donnera de l'argent?

JODELET.

Demandez à monsieur le marquis.

SCÈNE XVIII. — GORGIBUS, MADELON, CATHOS, JODELET, MASCARILLE, VIOLONS.

GORGIBUS.

Ah! coquines que vous êtes, vous nous mettez dans de beaux draps blancs, à ce que je vois; et je viens d'apprendre de belles affaires, vraiment, de ces messieurs qui sortent!

MADELON.

Ah! mon père, cest une piece sangtante qu'ils nous ont faite.

GORGIBUS.

Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infames! Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait, et cependant, malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront.

MADELON.

Ah! je jure que nous en serons vengées, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, osez-vous vous tenir ici après votre insolence?

MASCARILLE.

Trailer comme cela un marquis! Voilà ce que c'est que du monde, la moindre disgrace nous fait mépriser de ceux qui nous chérissoient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre part; je vois bien qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considère point la vertu toute nue.

SCÈNE XIX.

GORGIBUS, MADELON, CATHOS, VIOLONS.

UN DES VIOLONS.

Monsieur, nous entendons que vous nous contentiez, à leur défaut, pour ce que nous avons joué ici.

GORGIBUS, les battant.

Oui, oui, je vous vais contenter; et voici la monnoie dont Je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant; nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êles attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines; allez vous cacher pour jamais. (Seul.) Et vous, qui êtes cause de leur folic, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes, puissiez-vous être à tous les diables!

FIN DES PRÉCIEUSES RIDICULES.

LE COCU IMAGINAIRE,

COMÉDIE EN UN ACTE.

1660.

NOTICE.

De toutes les pièces de Molière, Sganarelle est celle qui a donné lieu aux jugements les plus contradictoires. Nous allons, pour le blâme comme pour l'éloge, rapporter quelques-uns de ces jugements. Suivant M. Taschereau, qui résume les plus importantes critiques, « on retrouve dans Sganarelle ou le Cocu imaginaire quelques traits assez fidèles des mœurs des petits bourgeois de ce temps, qui, aimant bien leurs femmes, les battaient mieux encore. Mais quelle intention morale peut-on supposer à l'auteur? Quel travers, quel défaut, quel vice a-t-il eu dessein de signaler, de corriger ou de punir? Nous ne le devinons pas ; à moins cependant que la moralité de la pièce ne soit renfermée dans ces deux vers aux maris trompés :

Quel mal cela fait-il ? La jambe en devient-elle
Plus tortue, après tout, et la taille moins belle?

Et, dans ce cas, Molière, que nous verrons si malheureux de ses infortunes conjugales, Molière qui, pour nous servir de l'image plaisante de la Fontaine, en mettait son bonnet

Moins aisément que de coutume,

eût bien dû se persuader tout le premier ce qu'il cherchait à faire croire aux autres. Mais non, il n'eut évidemment d'autre but que celui de faire rire; et il était difficile, à la vérité, de le mieux atteindre. Néanmoins, on regrette que ce soit fréquemment aux dépens de la vérité. Le personnage de Sganarelle est

trop souvent invraisemblable pour offrir toujours de l'intérêt, trop souvent bouffon pour être toujours comique. »

Suivant Geoffroy, Sganarelle est « la seule pièce où Molière, après être entré dans la route de la bonne comédie, ait pour ainsi dire rétrogradé... il n'y a dans Sganarelle que des quiproquos et des lazzis, au lieu de peinture de mours; le comique y est quelquefois burlesque... Le dénoûment est, sans contredit, le plus mauvais qu'il y ait dans tout le théâtre de Molière... il y a des traits contraires à la bienséance... il eût été à souhaiter que l'auteur eût davantage respecté les mœurs... il y a des ridicules qu'on ne peut attaquer sans nuire à la société... On ne reconnaît le grand homme qu'à l'excellence du dialogue, à la verve du style, à la naïveté des plaisanteries, à cette foule de mots heureux qui s'offraient naturellement à son génie...>>

MM. Nisard et Aimé Martin sont d'un avis différent. D'après M. Nisard, Molière dans Sganarelle nous fait honte de la jalousie dans le ménage ; il nous rend moins chatouilleux aux apparences, et cherche à prouver que la confiance entre époux est un des principaux éléments du bonheur domestique. M. Aimé Martin, qui pense comme M. Nisard, s'exprime ainsi : « On a prétendu que cette pièce manquait le but moral; c'est une erreur. Sganarelle et sa femme ont beaucoup d'affection l'un pour l'autre ; ils seroient heureux, s'ils ne se laissoient troubler par la jalousie le but de Molière a donc été de corriger ce travers, fort commun dans cette classe de la société à laquelle appartient Sganarelle. Ce grand peintre de nos passions avoit passé les premières années de sa vie dans le quartier le plus populeux de Paris, et il y avoit été témoin d'une foule de scènes, dont on ne peut douter qu'il n'ait reproduit ici les principaux traits. Il y a trop de vérité dans son tableau pour qu'il ne l'ait pas dessiné d'après nature. >>

Nous laissons au lecteur le soin de décider entre les deux opinions, nous bornant à faire remarquer que l'accueil que le public fit au Cocu imaginaire, prouve que si Molière dans cette comédie n'a cherché qu'à faire rire, il a complétement atteint son but. La pièce, représentée pour la première fois le 28 mai 1660, sept mois après les Précieuses, fut jouée quarante fois de suite. Un amateur nommé Neuvillenaine, qui l'avait apprise par cœur pendant les représentations, obtint un privilége pour l'imprimer, et en dédia l'édition à l'auteur.

<< Enfin, dit M. Aimé Martin, il y a tant de naturel dans le dialogue de cette pièce, et Molière jouoit le rôle de Sganarelle avec une si grande vérité, qu'un bon bourgeois de Paris crut se reconnoître dans le Cocu imaginaire : « Comment, disoit-il, un > comédien aura l'audace de mettre sur le théâtre un homme » de ma sorte! En bonne police, on devroit réprimer l'insolence

» de ces gens-là.

De quoi vous plaignez-vous? lui dit un >> plaisant l'auteur vous a pris du beau côté ; vous seriez bien >> heureux d'en être quitte pour l'imagination. >>

Cette anecdote prouve mieux que toutes les discussions de la critique, que si Molière avait manqué le but moral, il avait du moins trouvé la vérité.

Cailhava dit que la pièce de Molière est conçue d'après un canevas italien non imprimé : Arlichino cornuto per opinione.

A M. DE MOLIÈRE,

CHEF DE LA TROUPE des comédieNS DE MONSIEUR, FRÈRE UNIQUE DU roi'.

MONSIEUR,

Ayant été voir votre charmante comédie du Cocu imaginaire, la première fois qu'elle fit paroître ses beautés au public, elle me parut si admirable que je crus que ce n'étoit pas rendre justice à un si merveilleux ouvrage que de ne le voir qu'une fois, ce qui m'y fit rencontrer cinq ou six autres; et, comme on retient assez facilement les choses qui frappent vivement l'imagination, j'eus le bonheur de la retenir entière, sans aucun dessein prémédité, et je m'en aperçus d'une manière assez extraordinaire. Un jour, m'étant trouvé dans une assez célèbre

'Un nommé Neufvillenaine, qui, en cinq ou six représentations, avoit retenu toute cette comédie, la fit imprimer, et la dédia à Molière; c'est cette dédicace que nous reproduisons ici.

Neufvillenaine a cru devoir faire précéder les principales scènes d'arguments qui en expliquoient le sujet. Ces arguments offrent des détails précieux sur le jeu comique de Molière, qui représentoit Sganarelle, et sur l'effet que chaque scène et presque chaque vers produisoient sur le public. Nous remarquerons que ces arguments ne déplurent pas à Molière, que même il sembla les adopter, puisque, dans l'unique édition qu'il ait publiée de ses œuvres, il n'a rien changé ni au texte de la pièce, ni aux arguments de son éditeur. Cette édition curieuse est imprimée chez Guillaume de Luynes, en 1666, avec privilége du Roi, sous le titre d'OEuvres de M. Molière. Elle se compose de deux volumes, ornés chacun d'une vignette fort singulière, représentant Mascarille et Agnès dans leur costume. Le premier volume, de 391 pages, renferme quatre pièces: les Précieuses, le Cocu imaginaire, l'Étourdi et le Dépit amoureux. Le second volume, de 480 pages, renferme cinq pièces les Fâcheux, l'Ecole des Maris, l'École des Femmes, la Critique de l'Ecole des Femmes et la Princesse d'Elide. (Aimé Martin.)

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