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Quand il joindroit au sien encor vingt autres bras.
Je le plains de défendre une sœur criminelle;
Mais, puisque son erreur me vcut faire querelle,
Nous le satisferons, et vous, mon brave, aussi.
ÉRASTE.

Je prenois intérêt tantôt à tout ceci;

Mais enfin, comme Ascagne a pris sur lui l'affaire,
Je ne m'en mêle plus, et je le laisse faire1.

VALÈRE.

C'est bien fait; la prudence est toujours de saison.
Mais...

Lui?

ÉRASTE.

Il saura pour tous vous mettre à la raison.

VALÈRE.

POLIDORE.

Ne l'y trompe pas, tu ne sais pas encore Quel étrange garçon est Ascagne.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ .

Il l'ignore;

Mais il pourra dans peu le lui faire savoir.

VALÈRE.

Sus donc, que maintenant il me le fasse voir.

MARINETTE.

Aux yeux de tous?

GROS-RENÉ.

Cela ne seroit pas
VALERE.

honnête.

Se moque-t-on de moi? Je casserai la tête

A quelqu'un des rieurs. Enfin, voyons l'effet.

ASCAGNE.

Non, non, je ne suis pas si méchant qu'on me fait
Et, dans cette aventure où chacun m'intéresse,
Vous allez voir plutôt éclater ma foiblesse,
Connoître que le ciel, qui dispose de nous,
Ne me fit pas un cœur pour tenir contre vous,
Et qu'il vous réservoit, pour victoire facile,
De finir le destin du frère de Lucile.

Oui, bien loin de vanter le pouvoir de mon bras,

VAR. Je ne veux plus en prendre, et je le laisse faire.

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Ascagne va par vous recevoir le trépas1:
Mais il veut bien mourir, si sa mort nécessaire
Peut avoir maintenant de quoi vous satisfaire,
En vous donnant pour femme, en présence de tous,
Celle qui justement ne peut être qu'à vous.

VALÈRE.

Non, quand toute la terre, après sa perfidie
Et les traits effrontés...

ASCAGNE.

Ah! souffrez que je die,

Valère, que le cœur qui vous est engagé
D'aucun crime envers vous ne peut être chargé;
Sa flamme est toujours pure et sa constance extrême,
Et j'en prends à témoin votre père lui-mème.

POLIDORE.

Oui, mon fils, c'est assez rire de ta fureur,
Et je vois qu'il est temps de te tirer d'erreur.
Celle à qui par serment ton ame est attachée,
Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée;
Un intérêt de bien, dès ses plus jeunes ans,
Fit ce déguisement qui trompe tant de gens;
Et, depuis peu, l'amour en a su faire un autre,
Qui t'abusa, joignant leur famille à la nôtre.
Ne va point regarder à tout le monde aux yeux;
Je te fais maintenant un discours sérieux.

Oui, c'est elle, en un mot, dont l'adresse subtile,
La nuit, reçut ta foi sous le nom de Lucile,
Et qui, par ce ressort qu'on ne comprenoit pas,
A semé parmi vous un si grand embarras.
Mais, puisque Ascagne ici fait place à Dorothéc,
Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée,
Et qu'un nœud plus sacré donne force au premier.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ .

Et c'est là justement ce combat singulier

Qui devoit envers nous réparer votre offense,
Et pour qui les édits n'ont point fait de défense.

POLIDORE.

Un tel événement rend tes esprits confus :
Mais en vain tu voudrois balancer là-dessus.

VAR. Ascagne va pour vous recevoir le trépas.

VALÈRE.

Non, non, je ne veux pas songer à m'en défendre,
Et si cette aventure a lieu de me surprendre,
La surprise me flatte, et je me sens saisir

De merveille1 à la fois, d'amour et de plaisir.
Se peut-il que ces yeux...?

ALBERT.

Cet habit, cher Valère,

Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire.
Allons lui faire en prendre un autre, et cependant
Vous saurez le détail de tout cet incident.

VALÈRE.

Vous, Lucile, pardon, si mon ame abusée...

LUCILE.

L'oubli de cette injure est une chose aisée.

ALBERT.

Allons, ce compliment se fera bien chez nous,
Et nous aurons loisir de nous en faire tous.

ÉRASTE.

Mais vous ne songez pas, en tenant ce langage,
Qu'il reste encore ici des sujets de carnage.
Voilà bien à tous deux notre amour couronné;
Mais de son Mascarille et de mon Gros-René,
Par qui doit Marinette être ici possédée?
Il faut que par le sang l'affaire soil vidée.

MASCARILLE.

Nenni, nenni, mon sang dans mon corps sied trop bien:
Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien.
De l'humeur que je sais la chère Marinette,
L'hymen ne ferme pas la porte à la fleurette.

MARINETTE.

Et tu crois que de toi je ferois mon galant?
Un mari, passe encor; tel qu'il est, on le prend;
On n'y va pas chercher tant de cérémonie :

Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie.

:

GROS-RENÉ.

Écoute quand l'hymnen aura joint nos deux peaux,
Je prétends qu'on soit sourde à tous les damoiscaux.

Merveille dans le sens d'admiration, étonnement

MASCARILLE.

Tu crois te marier pour toi tout seul, compère?

GROS-RENÉ.

Bien entendu je veux une femme sévère,

Ou je ferai beau bruit.

MASCARILLE.

Hé mon Dieu! tu feras

Comme les autres font, et tu t'adouciras.

Ces gens, avant l'hymen, si fâcheux et critiques,
Dégénèrent souvent en maris pacifiques.

MARINETTE.

Va, va, petit mari, ne crains rien de ma foi;
Les douceurs ne feront que blanchir contre moi;
Et je te dirai tout.

MASCARILLE.

O la fine pratique!

Un mari confident!

MARINETTE.

Taisez-vous, as de pique 1.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ .

Pour la troisième fois, allons-nous-en chez nous

Poursuivre en liberté des entretiens si doux.

'Mauvaise langue, langue piquante. Jeu de mots sur le sens figuré du verba piquer.

(F. Génin.)

FIN DU DÉPIT AMOUREUX.

COMÉDIE EN UN ACTE.

NOTICE.

On sait que dans les premières années du règne de Louis XIII, une femme aimable et spirituelle, Catherine de Vivonne, épouse du marquis de Rambouillet, ouvrit dans son hôtel, à Paris, un cercle qui fut assidûment fréquenté par les femmes de la noblesse, les gens de cour et les gens de lettres. Ce cercle, semimondain, semi-littéraire, qui devait exercer sur la société et le langage du dix-septième siècle une si grande influence, compta successivement ou tour à tour parmi ses hôtes les plus assidus, Voiture, Balzac, Segrais, la Rochefoucauld, Condé, Corneille, Pascal, Bossuet, Cotin et Chapelain, c'est-à-dire des hommes d'esprit, des hommes de génie, de beaux esprits et quelques sots. Par malheur, encouragés par la réserve de ceux qui leur étaient supérieurs, les beaux esprits prirent le haut pas, donnèrent le ton, et exercèrent autour d'eux la dictature du pédantisme. Les femmes, toujours trop promptes à se laisser séduire par l'afféterie, rivalisèrent avec les hommes; et de ridicule en ridicule, tous, hommes ou femmes, en arrivèrent bientôt à vouloir réformer, en les raffinant, les sentiments et le langage.

<< Ils laissoient au vulgaire, dit la Bruyère, l'art de parler » d'une manière intelligible. Une chose dite entre eux peu clai>>rement en entraînoit une autre encore plus obscure, sur la» quelle on enchérissoit par de vraies énigmes, toujours suivies » de longs applaudissements. Par tout ce qu'ils appeloient déli»catesse, sentiments, et finesse d'expression, ils étoient enfin » parvenus à n'être plus entendus, et à ne s'entendre pas eux» mêmes. Il ne falloit, pour servir à ces entretiens, ni bon » sens, ni mémoire, ni la moindre capacité; il falloit de l'esprit, » non pas du meilleur, mais de celui qui est faux, et où l'ima>> gination a trop de part. »

Les femmes qui brillaient dans cette société si bien définie par la Bruyère, et qu'on désigna sous le nom de précieuses, donuèrent le ton à la cour, à la haute société parisienne, et à la

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