Page images
PDF
EPUB

sance. Ce qui lui avoit acquis sur-tout beaucoup de réputation, c'est que Tatius, qui régnoit à Rome avec Romulus, l'avoit choisi pour son gendre, et lui avoit donné sa fille unique Tatia.

Ce mariage ne le rendit pas plus vaiu, et ne le détermina pas même à aller trouver son beau-père. Il demeura toujours dans le pays des Sabins, pour avoir soin de la vieillesse de son père avec Tatia, qui, de son côté, préféra une vie tranquille et obscure avec son mari, à tous les honneurs dont le roi son père l'auroit fait jouir à Rome. Elle mourut treize ans après son mariage; et Numa, quittant le séjour de la ville, se retira à la campagne, où il vivoit seul, passant sa vie dans les bois des dieux, dans les prairies sacrées, et dans les lieux les plus solitaires et les plus déserts. Cette manière d'exister ne contribua pas peu au bruit que l'on fit courir, que ce n'étoit ni par mélancolie, ni par désespoir, qu'il fuyoit ainsi le commerce des hommes ; mais qu'il avoit trouvé une compagne plus vénérable et plus sainte, et que la déesse Egérie l'avoit pris pour époux, et l'avoit initié dans la connoissance des choses divines.

Numa étoit dans sa quarantième année, lorsque les ambassadeurs des Romains arrivèrent auprès de lui, pour le prier d'accepter l'empire. Ceux qui portèrent la parole, furent Vélésus et Proculus. Il répondit à ces ambassadeurs, en présence de son père et d'un de ses parens nommé Martius; «Que tout changement dans la vie de » l'homme étoit dangereux; que celui à qui le nécessaire

ne manquoit point, et qui ne pouvoit se plaindre de sa » fortune présenté, faisoit une insigne folie de renoncer » à un état si heureux et à une vie à laquelle il étoit

>> pas

accoutumé, et qui, quand elle n'auroit pas d'autre avantage, avoit toujours celui d'être plus sûr que tout ce qui » étoit incertain et douteux; que l'empire romain n'étoit même de ces choses douteuses et incertaines, quand » on considéroit ce qui venoit d'arriver à Romulus, qui, » pendant sa vie, avoit eu le malheur d'être accusé d'a» voir fait assassiner Tatius pour régner seul, et qui, » après sa mort, avoit couvert d'une éternelle infamie » tous ceux de son ordre, qui étoient regardés comme ses » meurtriers; que les Romains ne cessoient de dire de » Romulus qu'il étoit fils des dieux, qu'il avoit été nourri » par un prodige, et qu'à sa naissance, il avoit été sauvé » d'une manière miraculeuse. Pour moi, ajouta-t-il, je suis » né d'une race mortelle, j'ai été nourri et élevé par des » hommes que vous connoissez ; et tout ce qu'on estime >> en moi, ce sont les qualités d'un homme, qui n'est nul»lement propre à régner; c'est l'amour du repos; c'est » une vie retirée et entièrement appliquée à l'étude ; c'est » une violente passion pour la paix, pour tout ce qui ne »sent point la guerre, et pour les assemblées que font » des hommes, qui ne cherchent qu'à se réjouir en» semble, et à servir et honorer les dieux pendant les » fêtes, et qui passent le reste du temps chez eux à cul» tiver la terre et à nourrir des troupeaux; au lieu que » Romulus vous a laissé sur les bras des guerres, peut» être trop légèrement entreprises; et pour les soutenir, >> vous avez besoin d'un roi vigoureux et actif : d'ailleurs, » votre ville est si accoutumée aux armes et si enflée de >> ses grands succès, qu'on voit bien qu'elle ne cherche » qu'à s'agrandir et qu'à commander aux autres; ainsi, » quand il n'y auroit pas d'autres considérations, on

» seroit toujours ridicule de vouloir enseigner à servir les » dieux, à aimer la justice et à haïr les violences et » la guerre, à un peuple qui demande bien plus à suivre » un capitaine, qu'à obéir à un roi. »

Malgré ce refus de Numa, les Romains redoublèrent leurs efforts, et le pressèrent avec plus d'instance, le priant et le conjurant de ne pas les plonger dans une nouvelle sédition, qui aboutiroit à une guerre civile, puisqu'il n'y avoit que lui seul qui fût agréable aux deux partis. Quand ces ambassadeurs se furent retirés, son père, et Martius son parent, n'oublièrent rien en particulier pour le porter à accepter.

des

Aux instances de ses parens se joignirent, dit-on, présages fort heureux, qui furent encore fortifiés par l'empressement et par le zèle des citoyens, qui, ayant appris le sujet de cette ambassade, allèrent en foule le conjurer de partir et de recevoir l'empire, pour les allier et les incorporer avec les Romains. Il se laissa enfin fléchir ; et après avoir sacrifié aux dieux, il se mit en marche. Le sénat et le peuple, pressés du désir de le voir, sortirent de Rome et allèrent au-devant de lui. Les femmes le reçurent avec des acclamations unanimes: on faisoit des sacrifices dans les temples, et tout le monde témoigna autant de joie que si la ville avoit gagné un nouveau royaume. Quand le cortège fut arrivé au milieu de la grande place, Spurius Vettius, qui ce jour-là gouvernoit pendant ses six heures d'interrègne, voulut, pour la forme, que le peuple procédât à son élection. Il eut tous les suffrages, et sur l'heure même on lui apporta les ornemens royaux; mais il ne voulut pas les recevoir, disant qu'il falloit auparavant que cette élection fût confirmée

par les dieux; et en même temps, prenant avec lui les devins et les prêtres, il monta au capitolé, qu'on appeloit alors le mont Tarpéïen.

Là le premier des augures lui tourna le visage vers le midi, après l'avoir couvert d'un voile, et se tenant derrière lui à sa gauche, et étendant sa main droite sur sa tête, il fit ses prières, et jeta la vue de tous côtés, pour observer ce que les dieux déclareroient par les oiseaux, ou par les autres signes qu'il leur plairoit d'envoyer. Cependant un grand silence régnoit dans la place où le peuple étoit assemblé, tous les esprits étant suspendus dans l'attente du succès qu'auroit cette cérémonie, jusqu'à ce qu'enfin il parut des oiseaux favorables qui confirmèrent ce choix ; et alors Numa prenant la robe royale, descendit du mont Tarpéïen dans la place, où il fut reçu au bruit des acclamations de tout le peuple, qui l'appeloit le plus saint de tous les hommes et le plus aimé des dieux.

Après avoir pris possession du royaume, la première chose qu'il fit, ce fut de casser la compagnie des gardes que Romulus avoit toujours autour de sa personne, et qu'il avoit appelés celeres, c'est-à-dire, légers: car il ne vouloit ni se défier de ceux qui se fioient en lui, ni être roi de ceux qui n'avoient en lui aucune confiance. Aux deux prêtres de Jupiter et de Mars, il en ajouta un troisième pour Romulus, et l'appela Flamen Quirinalis. Après avoir fait d'abord des établissemens pour gagner la faveur et la bienveillance du peuple, il chercha les moyens de le rendre moins féroce.

Il persuada qu'il avoit été disciple de Pythagore, et en imitant ce philosophe, il supposa qu'il étoit aimé de quelque déesse ou de quelque nymphe des montagnes, avec

laquelle il disoit qu'il avoit un commerce secret; il feignit des rendez-vous fréquens avec les muses. Il publioit même que c'étoit d'elles qu'il tenoit la plupart de ses révélations; et il obligea les Romains à en honorer particulièrement une, qu'il appela Tacita, pour marquer ou sa grande jeunesse, ou son silence; ce qu'il semble avoir inventé pour recommander le silence, qui étoit un des premiers dogmes de Pythagore.

On attribue aussi à Numa l'institution des princes des prêtres appelés pontifes, et l'on assure qu'il fut le premier qui exerça cette fonction.

Le souverain pontife est proprement le maître ou l'interprète de la loi, ou plutôt c'est lui qui a toute l'intendance de la religion, et qui veille non-seulement aux sacrifices que l'on fait en public, mais encore à ceux que l'on fait en particulier. Il a aussi soin des vierges sacrées qu'ils appellent vestales. Car on attribue à Numa le premier établissement de ces vierges, et on veut qu'il ait réglé toutes leurs cérémonies et le culte qu'elles rendent au feu immortel dont il les a fait les gardiennes.

On dit que Numa ne consacra d'abord que Gégania et Vérania, ensuite Canuléia et Tarpéia. Servius Tullius en ajouta deux autres, et ce nombre est demeuré toujours fixe jusqu'à ce jour. Elles font vou de garder la chasteté pendant trente ans. Les dix premières années sont employées au noviciat, et à apprendre tout ce qu'elles doivent faire; les dix suivantes, elles mettent en pratique tout ce qu'elles ont appris ; et les dix dernières, elles enseignent les novices. Après ce temps-là il leur est libre de se marier et d'embrasser un autre genre de vie, en quittant leur religion; mais on dit qu'il y en a eu fort peu qui aient

1

« PreviousContinue »