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marchoit bien loin devant les autres. Cette ardeur le mena dans le bourbier, où son cheval enfonça; il fit ce qu'il put pour le dégager, mais voyant que ses efforts étoient inutiles, il le laissa et se sauva. Le lieu est encore appelé de son nom, le Lac Curtius. Les Sabins ayant ainsi évité ce danger, commencèrent la charge. La victoire resta douteuse, quoiqu'il y eût beaucoup de gens tués dẹ part et d'autre. Les jours suivans, les combats recommencèrent avec des succès aussi incertains; dans le dernier, Romulus fut dangereusement blessé d'un coup o'de T pierre à la tête qui l'obligea de se retirer. Il n'eut pas plutôt disparu, que les Romains furent poussés jusqu'au mont Palatin. Romulus, un peu remis de sa blessuré, vouloit recourir aux armes pour arrêter les fuyards; mais voyant que malgré ses cris, la déroute étoit générale, il leva les mains au ciel, et pria Jupiter d'arrêter ses troupes et de rétablir les affaires des Romains, qui, sans son secours, alloient être entièrement ruinées. Sa prière finie, la plupart eurent honte de fuir devant leur roi, et tous sentirent en même-temps le courage succéder à la crainte. Ils s'arrêtèrent dans le lieu où est présentement le temple de Jupiter Stator, c'est-à-dire, de Jupiter qui arrête ; se ralliant ensuite, ils repoussèrent les Sabins jusqu'au lieu où est le palais appellé Regia, et la chapelle de Vesta.

Là, comme les uns et les autres se préparoient à faire de nouveaux efforts, on vit tout d'un coup un spectacle étonnant; les Sabines, que les Romains avoient enlevées, vinrent de tous côtés avec des cris lamentables, et passant au travers des épées et des monceaux de morts, comme des forcénées, se présentèrent à leurs

pères et à leurs maris, les unes portant leurs petits enfans entre leurs bras, les autres échevelées, et toutes ensenible s'adressant tantôt aux Sabins, tantôt aux Romains, en les appelant des noms les plus tendres. Les deux partis, également touchés, leur font place entre les deux armées. Alors leurs oris pénétrèrent jusqu'aux derniers rangs; et Hersilie, qui étoit échue en partage à Romulus, leur adressa ce discours,: «Que vous avons-nous fait, » s'écrioit - elle, pour attirer sur nous les maux que » nous avons s soufferts, et ceux que vous nous préparez » encore? Vous n'êtes pas venus nous venger et nous » délivrer pendant que nous étions encore filles, et au»jourd'hui vous venez arracher des femmes à leurs má

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ris, et des mères à leurs enfans. Malheureuses que » nous sommes ! le secours que vous nous donnez est bien » plus cruel que l'abandon et l'oubli dans lesquels vous » nous avez laissées. Voilà les marques d'amour que nous » avons reçues de nos ennemis, et, voilà les marques » de pitié que nous ont données nos pères. Si cette guerre » est entreprise pour d'autres raisons que nous ne connoissons pas, pouvez-vous refuser de poser les armes pour l'amour de nous, qui vous avons fait beauxn pères, ayeux, alliés et beaux frères de ceux que » vous poursuivez avez tant de rage? Et si vous ne la faites que pour nous, emmenez - nous avec. vos genadres et vos petits-fils; rendez-nous à nos parens et nà nos pères; ne nous privez pas de nos maris et de » nos enfans; enfin, nous vous en conjurons au nom » des dieux, ne nous faites pas tomber dans un second » esclavage plus dur et plus difficile à supporter que le » premier »

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Après qu'Hersilie eut achevé ce discours, il se fit une suspension d'armes, et les deux généraux s'approcherent pour s'aboucher. Pendant ce temps-là, les femmes mènent leurs maris et leurs enfans à leurs pères et à leurs frères, donnent à boire et à manger à ceux qui en ont besoin, pansent les blessés, et les faisant porter chez elles, leur font voir qu'elles sont maîtresses dans leurs maisons, que leurs maris dépendent d'elles, qu'ils leur témoignent une amitié vraiment conjugale, et les traitent avec toute sorte d'honneurs. La paix fut conclue, et les conditions du traité furent: Que celles qui voudroient demeurer avec leurs maris, ne pourroient en aucune façon être obligées de rendre aucun autre service dans leur maison, que de filer: que les Romains et les Sabins habiteroient ensemble; que la ville seroit toujours appellée Rome, de Romulus, et que les Romains prendroient le nom de Quirites, de Cures, capitale des Sabins et la patrie de Tatius: que Romulus et Tatius régneroient ensemble, et conduiroient les armées avec une égale autorité. Le lieu où se firent ces conventions, est appelé le Cómice, du mot coire, qui signifie convenir.

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c. La ville étant accrue de moitié par ce traité, on créa cent sénateurs Sabins, qu'on ajouta aux cent sénateurs Romains qui avoient déjà été créés. On doubla les légions, qui furent de six mille hommes de pied et de six cens chevaux, et l'on partagea le peuple en trois tribus; la première fut appellée des Rhamnenses de Romulus; la seconde, des Tatienses, de Tatius, et la troisième, des Lucerenses, à cause du bois sacré où l'on avoit ouvert un asyle qui avoit fait donner le droit de

bourgeoisie à ceux qui s'y étoient retirés; car les Romains appellent les bois sacrés Lucos."

Il y avoit cinq ans que Tatius régnoit avec Romulus, lorsque quelques-uns de ses amis et de ses parens, ayant rencontré sur leur chemin des ambassadeurs que les Laurentins envoyoient à Rome, les attaquèrent, et voulurent les dépouiller; et comme ceux-ci prirent le parti de se défendre, ils les tuèrent. La nouvelle d'un si horrible attentat s'étant répandue dans Rome, Romulus étoit d'avisd'en punir les auteurs sans aucun délai ; mais Tatius, ne cherchoit qu'à gagner du temps. Les amis de ceux qui avoient été tués, voyant qu'ils ne pouvoient obtenir justice à cause de Tatius, l'épièrent un jour qu'il faisait un sacrifice avec Romulus dans la ville de Lavinium, se jetèrent sur lui et le tuèrent. Bien loin de faire aucun mal à Romulus, ils le reconduisirent en le comblant de bénédictions et de louanges. Romulus emporta le corps de Tatius, -lui érigea une sépulture honorable sur le mont Aventin, près du lieu appelé Armilustrium; mais il ne pensa nulle-ment à venger sa mort. Les anciens Latins envoyèrent des ámbassadeurs à Romulus pour lui demander son amitié et son alliance. Il prit Fidènes, ville voisine de Rome.

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Les Véiens, qui possédoient un grand pays, et qui habitoient une ville forte, furent les premiers des Toscans -qui tentèrent de troubler la puissance de Romulus, en lui faisant la guerre: leur prétexte fut la conquête de Fidènes par les Romains; ils la redemandèrent comme une ville qui leur appartenoit. Romulus les ayant renvoyés avec une réponse pleine de mépris, ils partagèrent leurs troupes en deux corps; avec l'un, its allèrent attaquer la ¿colonie de Fidènes, et avec l'autre, ils marchèrent contre

les troupes que conduisoit Romulus. Ceux qui donnèrent du côté de Fidènes, eurent l'avantage, et tuèrent deux mille Romains; mais ceux qui combattirent contre Romulus, furent défaits, et perdirent plus de huit mille hommes. Quelques jours après, il y eut encore près de Fidènes un autre combat, où Romulus obtint l'honneur de la victoire; car tout le monde convient qu'il joignit en cette occasion la ruse au courage, et qu'il fit paroître une force de corps et une prudence au-dessus de l'humanité.

L'armée des Véiens ayant été mise en déroute, Romulus ne perdit pas le temps à poursuivre les fuyards; il marcha droit à leur ville. Les habitans, qui venoient de recevoir un si grand échec, n'attendirent pas qu'il en formât le siége; ils s'avancèrent au-devant de lui en supplians, et en obtinrent une trêve de cent ans, en abandonnant cette partie de leur territoire, qu'ils appellent Septenpasium, en cédant les salines qui sont à l'embouchure, du Tibre, et en donnant pour ôtages cinquante de leurs principaux citoyens.

- Ce fut la dernière guerre qu'eut Romulus, après laquelle il ne put éviter ce qui arrive presqu'à tous ceux que la fortune, par des faveurs extraordinaires, a élevés à une fort grande puissance. Corrompu par ses prospérités et enflé d'orgueil, de prince doux et sociable qu'il étoit auparavant, il dégénéra en tyran. Les patriciens n'avoient aucune part aux affaires; honorés seulement d'un vain titre, ils n'étoient appelés au conseil que par coutume et par bienséance, et nullement pour y donner leur avis; leur seule fonction étoit de recevoir respectueusement les ordres du roi ; et le seul avantage qu'ils avoient sur le peuple, c'étoit d'être instruits les premiers

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