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fut fort irrité; et comme Romulus faisoit creuser les fondemens des murailles dont il vouloit environner sa ville, il empêcha les travailleurs, et ajoutant l'insulte à la raillerie, il sauta le fossé en signe de mépris. Romulus, piqué de cette injure, le tua sur le champ; d'autres disent que ce fut un de ses gardes appelé Celer, qui le frappa. Faustulus et son frère Plistémus qui lui avoit aidé à élever Romulus, furent aussi tués dans ce désordre. Celer s'enfuit dans la Toscane, et depuis ce temps, les Romains ont appelé de son nom ceux qui se sont montrés prompts et légers à la course. Romulus enterra son frère et ses deux nourriciers, dans le lieu appelé Remonia, sur l'Aventin, et continua ensuite à bâtir sa ville; mais auparavant il fit venir des hommes de Toscane, qui, avec toutes les cérémonies et selon leurs usages, lui enseignèrent ce qu'il falloit pratiquer de mystérieux en cette

occasion.

Lorsque la ville fut achevée, Romulus choisit toute la jeunesse qui étoit en état de porter les armes, et en composa des corps séparés, qu'il appela légions. Ils étoient chacun de trois mille hommes de pied, et de trois cens chevaux. Sur le reste, qui fut appelé peuple, il prit cent des principaux et des plus gens de bien, qu'il créa conseillers, les honorant du nom de Patriciens, et donnant à leur assemblée celui de Sénat, qui signifie proprement le conseil des anciens.

Après cet établissement, il partagea encore le peuple en deux portions; il nomma les uns patrons, c'est-àdire, protecteurs ; et les autres, il les appela cliens, et établit entre eux une étroite union, qui avoit pour fondement des obligations réciproques..

L'enlèvement des Sabines, si l'on en croit Fabius Pictor, fut exécuté le quatrième mois de la fondation de Rome: Romulus voyant que Rome se remplissoit d'étrangers, dont le plus petit nombre étoit composé de ceux qui avoient des femmes, et méprisoit le plus grand, craignant avec raison que l'union de tous ces hommes ne fût pas de longue durée, espéra de prévenir ce désordre par le moyen des alliances que cet enlèvement leur donneroit lieu de faire avec les Sabins.

Quoi qu'il en soit, voici la manière dont il s'y prit. Il fit d'abord courir le bruit qu'il avoit trouvé sous terre l'autel d'un certain dieu qu'on appeloit Consus.

Quand ce bruit fut répandu, Romulus fit publier, qu'à un jour marqué, il feroit un sacrifice solennel, qui seroit suivi d'une grande fête, où l'on célébreroit des jeux. On accourut de tous côtés à ce spectacle. Romulus, vêtu d'une robe de pourpre, et accompagné des principaux de la ville, étoit assis au lieu le plus éminent. Le signal de l'enlèvement étoit, quand en se levant, il prendroit les pans de sa robe et s'en envelopperoit. Ses soldats, qui avoient les yeux fixés sur lui, n'aperçurent pas plutôt ce signal que tirant leurs épées, et s'élançant avec des grands cris, ils enlevèrent les filles des Sabins,, et laissèrent les hom→ mes prendre la fuite sans les poursuivre.

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Quelques-uns assurent qu'il n'y en eut que trente d'enlevées, qui donnèrent chacune leur nom à une tribu; mais Valérius Antias dit, qu'il y en eut cinq cent vingt-sept, et Juba, six cent quatre-vingt-trois, et toutes filles, ce qui étoit très-propre à justifier Romulus, et faire voir sa bonne intention.

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Parmi ces ravisseurs, il y eut, dit-on, une troupe de

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soldats qui emmenoient une Sabine d'une taille et d'une beauté rares. Quelques-uns des principaux les ayant rencontrés, voulurent la leur entever; mais ils leur crièrent qu'ils menoient cette belle fille à Talassius, jeune homme d'un très-grand mérite. Plusieurs les suivirent en répétant à haute voix le nom de Tabassius, pour la bienveillance qu'ils lui portoient; et comme cette fille rendit son mari fort heureux depuis ce temps-là, les Romains chantent aux noces Talassius, comme les Grecs chantent Hymenée.

L'enlèvement des Sabines eut lieu vers le dix-huitième jour du sixième mois, qu'on appelle présentement Août, jour où l'on célèbre encore les fêtes appelées Consualia. Les Sabins étoient belliqueux; mais comme ils craignoient de faire maltraiter leurs filles, ils prirent le parti d'envoyer à Romulus des ambassadeurs, pour lui proposer de leur rendre leurs filles, de renoncer à la violence, et de rechercher leur amitié et leur alliance par les voies de la douceur. Romulus refusa de rendre les Sabines, et invita les Sabins à donner leur consentement, et à recevoir les Romains pour gendres.

Pendant que les Sabins perdoient le temps à délibérer, et ne se préparoient à la vengeance qu'avec lenteur, Acron, roi des Cérinéens, capitaine plein de valeur et d'expérience, qui dès le commencement avoit été alarmé du caractère entreprenant de Romulus', aussitôt qu'il eut appris l'enlèvement des Sabines, il leva le premier l'étendard contre les Romains, et parut avec une puissante armée. Romulus sortit à sa rencontre. Quand les deux chefs furent en présence, et qu'ils purent se mesurer des yeux, ils se défièrent en combat singulier as milieu

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des deux armées, qui devoient demeurer spectatrices. Romulus fit sa prière à Jupiter, et jura de lui consacrer les armes de son ennemi, s'il lui donnoit la victoire. Sa prière fut exaucée; il tua Acron, mit son armée en déroute, prit sa ville capitale, et n'infligea d'autre peine aux habitans, que celle d'abattre leurs maisons et de se retirer à Rome, où il leur donna les mêmes droits qu'à ses citoyens.

Cependant Romulus, qui pensoit à remplir son vou, et qui cherchoit à rendre son offrande agréable à Jupiter, et à distraire en même-temps le peuple par un spectacle nouveau, fit abattre un grand chêne qui étoit dans son camp, le fit tailler, et en fit un trophée, auquel il attacha les armes d'Acron. Après s'être revêtu d'une robe de pourpre, et avoir mis sur ses longs cheveux une couronne de laurier, il chargea le trophée sur son épaule droite, et son armée le suivit en chantant des cantiques de victoire. Il entra ainsi dans Rome, où il fut reçu avec les marques de la plus grande joie. Cette pompe a été l'origine de tous les triomphes; on appela ce trophée, l'offrande de Jupiter Férétrien, parce que Romulus avoit demandé de frapper Acron, et que les Latins disent ferire pour frapper.

Après la défaite des Céninéens, pendant que les autres Sabins se préparoient encore, ceux de Fidènes, de Crustumerium et d'Antemnes, fondirent sur les Romains. Le combat fut long et opiniâtre, mais enfin les Sabins furent vaincus, leurs villes prises, leurs terres distribuées au sort, et eux transportés à Rome. Il est vrai que Romulus, en distribuant à ses concitoyens les terres conquises, excepta celles qui appartenoient aux pères des filles qui

avoient été enlevées, et les laissa à leurs premiers maîtres. Tous les autres Sabins, irrités de cette distinction, élurent sur l'heure même Tatius pour leur général, et marchèrent vers Rome. Cette ville étoit de difficile accès, car les approches en étoient défendues par une forteresse, qu'on appelle aujourd'hui le Capitole, où il y avoit une garnison commandée par un capitaine nommé Tarpéius, et non pas par sa fille Tarpéia, comme l'ont écrit quelques auteurs. Tarpéia, disent-ils, amoureuse des bracelets des Sabins, livra cette forteresse à Tatius, et demanda pour récompense de sa trahison, ce que les Sabins portoient à leur bras gauche. Tatius le promit, et elle leur livra la nuit une porte qui les rendit maîtres du capitole.

Tatius, après s'en être emparé, se souvenant de sa promesse, ordonna à ses Sabins de lui livrer ce qu'ils portoient à leur bras gauche, et pour leur donner l'exemple de la libéralité qu'il leur recommandoit, il détacha le premier son bracelet, et le jeta, avec son bouclier, à la tête de cette fille, qui dans un moment fut accablée sous le poids de l'or et des boucliers qu'on lui jeta.

Romulus, irrité du succès des Sabins, les défia au combat; Tatius ne balança point à accepter le défi. Il étoit arrivé par hasard, quelques jours auparavant, que le Tibre, qui s'étoit débordé, avoit laissé dans la plaine, -vers le lieu où est la grande place, un bourbier fort profond, et d'autant plus difficile à apercevoir et à éviter, qu'il étoit caché sous une croûte qui le couvroit. Les Sabins alloient s'y enfoncer, sans un événement heureux qui les sauva. Un des premiers officiers de leur armée, nommé Curtius, homme fier de sa réputation et de son 'cqurage, et qui montoit un superbe et vigoureux cheval,

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