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ALCIBIA DE.

On prétend qu'Alcibiade, du côté de son père, descendoit d'Eurysaces, fils d'Ajax, et qu'il étoit Alcmeonide, du côte de Dincmache, sa mère, fille de Mégaclès; son père Clinias, qui avoit acquis beaucoup de réputation à la bataille navale d'Artémise, fut tué à la journée de Coronée, où Tolmidas fut défait par les Béotiens. Alcibiade eut pour tuteurs Périclès et Ariphron. Dans son enfance, il réunissoit les graces qui constituent la beauté ;il les conserva toute sa vie; mais ses mœurs et ses goûts vàrièrent souvent.

La plus forte de ses passions étoit une vanité démesurée, comme on le voit par quelques mots qu'on rapporte de son enfance. Un jour qu'il luttoit avec un de ses camarades, se voyant fort pressé et tout prêt à être jeté par terre, il mordit furieusement le bras de son adversaire, qui lâcha prise incontinent, et lui dit : « Alcibiade, tu » mords comme une femme.» « Point du tout, reprit Al>>cibiade, mais comme un lion. » Une autre fois, jouant aux osselets dans une rue fort étroite, son tour de les jeter étant venu, une charrette chargée vint à passer; Alcibiade cria à celui qui la menoit de s'arrêter, parce qu'il alloit passer justement dans l'endroit où il devoit jouer. Le charretier brutal, continua de piquer ses boeufs, tous les autres enfans se retirèrent pour lui faire place; mais Alcibiade se jeta au travers de la rue presque sous les

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pieds des boeufs, et commanda au charretier de passer, puisqu'il étoit si pressé. Le charretier épouvanté fit reculer sa charrette.

Quand il fut en âge d'aller aux écoles il se montra fort obéissant à ses maîtres; mais il dédaigna toujours d'apprendre à jouer de la flûte, regardant cet art comme ignoble, et indigne de l'application d'un homme libre.

Antiphon écrit d'Alcibiade, qu'étant encore enfant, il s'enfuit de sa maison, et se retira chez Démocrate, et qu'Ariphon voulant le faire crier à son de trompe, Périclès s'y opposa, disant que « S'il étoit mort, ce cri pu»blic ne feroit qu'en hâter d'un jour la nouvelle; et que » s'il étoit vivant, il le rendroit infâme pour toute sa n vie."

́Alcibiade étoit à peine sorti de l'enfance, qu'il entra dans l'école d'un grammairien, et lui demanda un livre d'Homère. Ce grammairien lui dit qu'il n'avoit aucun ouvrage de ce poëte. Alcibiade lui donna un soufflet et le quitta. Un autre grammairien lui ayant dit qu'il avoit un Homère tout corrigé de sa main : « Quoi, lui dit Alci» biade, tu es capable de corriger Homère, et tu t'amuses » à enseigner ici les enfans? Que ne t'appliques-tu à for» mer des hommes?»

Un jour il alloit pour voir Périclès; quand il fut à la porte, on lui dit que Périclès étoit occupé et qu'il travailloit à rendre ses comptes aux Athéniens « Mais que ne » travaille-t-il plutôt, dit-il, à ne les pas rendre?

Etant encore fort jeune, il se trouva à l'expédition de Potidée. Il logea toujours Socrate dans sa tente, et l'eut pour compagnon dans tous les combats. Le jour de la grande bataille, Alcibiade ayant été blessé et renversé

par terre, Socrate le défendit, à la vue de toute l'armée, il empêcha les ennemis de le prendre et de se rendre maître de ses armes. Une autre fois, à la bataille de Délium, les Athéniens furent mis en fuite; Alcibiade, qui étoit à cheval, trouvant Socrate qui se retiroit à pied avec quelques autres, ne voulut point le quitter, et le défendit contre les ennemis qui le suivoient.

Etant réuni un jour avec ses camarades, ceux-ci lui dirent qu'il n'oseroit pas donner un soufflet à Hipponicus, qui étoit un des principaux citoyens de la ville. Alcibiade les quitta et fut à la rencontre d'Hipponicus, à qui il donna un soufflet. Le bruit de cette action s'étant répandu par toute la ville, tous les citoyens murmurèrent hautement de cette insolence; le lendemain, dès la pointe du jour, Alcibiade alla chez Hipponicus, frappa à la porte, entra, et quittant tous ses habits en sa présence, il se mit à sa discrétion, et lui livra son corps pour être fouetté et châtié à sa fantaisie: Hipponicus lui sacrifia son ressentiment et lui pardonna; quelque temps après il lui donna même sa fille Hipparete en mariage.

Hipparete, qui étoit une femme vertueuse, et qui aimoit éperduement son mari, ne pouvant souffrir le commerce qu'il avoit avec toutes les femmes galantes de la ville, quitta sa maison et se retira chez son frère. Comme il falloit que la femme qui quittoit son mari, remît entre les mains de l'archonte la lettre de divorce, et qu'elle la présentât elle-même en personne, et non pas par un intermédiaire, Hipparete ayant comparu pour obéir à la loi, Alcibiade s'y trouva, et la saisissant par le milieu du corps, l'enleva, traversa toute la place, et l'emporta chez lui, où elle demeura jusqu'à sa mort, qui arriva peu de

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temps après, pendant un voyage qu'il fit à Ephèse. Cette violence d'Alcibiade ne parut contraire ni à l'humanité, ni à la loi; car la loi semble n'avoir ordonné que la femme qui veut se séparer de son mari paroisse en public, que pour donner au mari une occasion de lui parler et de la reprendre.

Alcibiade avoit un chien d'une taille extraordinaire et d'une grande beauté, qu'il avoit acheté soixante et dix mines: un jour il s'avisa de lui faire couper la queue, qui étoit précisément ce qu'il avoit de plus beau. Comme ses amis l'en blâmoient, et lui disoient que tout le monde parloit de cette action, et la trouvoit déplacée en ce qu'il avoit gâté un si beau chien: «Voilà ce que je demande, » reprit Alcibiade en riant; je veux que les Athéniens » s'entretiennent de cela, afin qu'ils ne parlent pas d'au»tre chose. »

Alcibiade s'étoit encore rendu fort célèbre par la quan tité de chevaux qu'il nourrissoit pour les courses, et par le grand nombre de ses chars; car il n'y a jamais eu de particulier, ni de roi même, qui ait envoyé comme lui sept chars en même-temps aux jeux olympiques.

Lorsqu'il se fut appliqué aux affaires publiques, quoiqu'il fût encore fort jeune, il effaça absolument tous les autres orateurs ; il n'y en eut que deux qui purent balancer son influence; Phæa, fils d'Erasistrate, et Nicias, fils de Nicératus. ́

Alcibiade étoit tout-à-la-fois grand politique, excel‚lent orateur et courageux à la guerre, mais toutes ces vertus étoient mêlées de grands vices. En effet, il vivoit plongé dans un luxe prodigieux; ce n'étoit tous les jours que débauches, que fêtes, qu'amours et qu'emporte

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