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» ville d'Athènes sous la protection et la sauve-garde de » Minerve, déesse des Athéniens; que tous ceux qui » étoient en état de porter les armes monteroient sur les » vaisseaux, et que chacun pourvoiroit, comme il le » pourroit, au salut et à la sûreté de sa femme, de ses » enfans et de ses esclaves. »

Cé décret ayant été approuvé, la plupart firent passer leurs pères et leurs mères, qui étoient âgés, avec leurs femmes et leurs enfans, dans la ville de Trezène, où les habitans les reçurent avec beaucoup de générosité et d'humanité; car ils firent ordonner qu'ils seroient nour ris aux dépens du public; on leur assigna à chacun deux oboles par jour; il fut permis en outre aux enfans de prendre des fruits partout, et on établit encore un fonds pour le paiement de ceux qui leur enseignoient les lettres. L'auteur de ce décret s'appeloit Nicagoras.

Eurybiade, qui avoit été élu général de la flotte, vous loit partir, et se retirer vers l'Isthme où étoit assemblée l'armée de terre des Péloponésiens; mais Thémistocle s'y opposa on rapporte quelques réponses qu'il fit err cette occasion, et qui sont dignes de remarque. Eurybiade Jui ayant dit : « On châtie ceux qui se lèvent sans ordre » dans les combats publics : » « Oui, répondit Thémistocle, mais on ne couronne jamais ceux qui attendent trop tard et qui demeurent derrière. » Sur cela, Eurybiade ayant levé le bâton comme pour le frapper, Thé→ mistocle lui dit : «Frappé, mais écoute. » Alors Eurybiade, admirant sa douceur et sa patience, lui ordonna de parJer. Thémistocle le ramenoit déjà à son avis, lorsqu'un des capitaines dit tout haut: «Il sied bien mal à un homme, » qui n'a plus de villé, de conseiller à ceux qui en ont

encore une, de la quitter et de l'abandonner.» Thémistocle, se tournant de son côté, lui dit : « Misérable que » tu es, nous avons abandonné nos maisons et nos mu» railles, ne croyant pas que, pour conserver des choses >> inanimées, nous dussions nous rendre esclaves; mais il »> nous reste encore une ville beaucoup plus grande que » toutes les villes de la Grèce; ce sont ces deux cents » vaisseaux qui sont ici pour vous sauver, si vous voulez >> profiter du secours qu'ils vous offrent. Que si vous vous >> retirez et que vous nous abandonniez pour la seconde » fois, les Grecs entendront bientôt dire que les Athé>niens sont maîtres d'une ville libre, et qu'ils possèdent » des terres plus grandes et meilleures que celles qu'ils » viennent de quitter. » Ces paroles de Thémistocle alarmèrent Eurybiade, et lui firent craindre que les Athéniens ne voulussent abandonner leur parti. Et comme un Erétrien faisoit ses efforts pour parler contre Thémistocle, Thémistocle lui dit : «Il vous appartient bien aussi de parler de guerre, à vous qui ressemblez aux frélons; » car vous avez bien une épée, mais vous n'avez point >> de coeur.»

Thémistocle ayant engagé les Grecs à suivre son opinion, la flotte se prépara au combat; mais celle des ennemis n'eut pas plutôt paru sur les côtes de l'Attique, vers le port de Phalère, et couvert tous les rivages des environs, et Xercès en personne ne se fut pas plutôt àpproché de la mer avec son armée de terre, que les Grecs, effrayés, oublièrent les discours de Thémistocle, et qué les Péloponésiens recommencèrent à tourner leurs regards vers l'Isthme, menaçant ceux qui leur parloient de tout autre dessein; ils résolurent donc de partir la nuit même,

et l'ordre fut donné à tous les vaisseaux. Thémistocle affligé que les Grecs, en se dissipant et se retirant chacun dans leurs villes, se privassent de l'avantage qu'ils pouvoient tirer des lieux resserrés où ils se trouvoient, s'avisa d'un stratagême. Il fit dire secrètement au roi de Perse « Que Thémistocle, général des Athéniens, ayant à » cœur ses intérêts, l'informoit que les Grecs avoient ré» solu de prendre la fuite, qu'il lui conseilloit de ne pas » les laisser échapper, mais de les attaquer pendant qu'ils » étoient dans la confusion et le désordre, et de ruiner >> leurs forces de mer, avant qu'ils eussent joint leur armée de terre. »

Xercès, trompé par cet avis, ordonna sur-le-champ à tous ses capitaines d'embarquer leurs troupes dans tous: les vaisseaux ; et sans perdre un moment, d'en envoyer deux cents pour se saisir de tous les passages du détroit, et pour environner les îles, afin qu'aucun ennemi ne pût échapper. Cet ordre força les Grecs au combat, ainsi que Thémistocle l'avoit prévu.

Le nombre des vaisseaux ennemis étoit, selon le poëte Eschyle, de mille, outre deux cents remarquables: par leur légèreté merveilleuse. Les Athéniens en avoient cent quatre-vingt, et sur chacun dix-huit hommes de guerre, dont il y en avoit quatre qui tiroient de l'arc, et les autres étoient pesamment armés.

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Si Thémistocle fut habile à choisir le lieu du combat, il ne le fut pas moins à prendre le moment favorable; car pour charger les ennemis, il attendit l'heure où il lève ordinairement de la mer un vent fort, qui dans ce détroit élève les vagues; ce vent n'incommodoit en aucune manière les vaisseaux des Grecs, qui étoient bas et

plats,

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plats, au lieu qu'il étoit très-contraire aux vaisseaux des Perses, qui avoient la proue haute, les ponts forts élevés et qui étoient fort pesans.

Le premier qui prit un vaisseau ennemi, fut un capitaine Athénien, nommé Lycomède, qui, s'en étant rendu maître, coupa la proue, et la consacra avec ses enseignes à Apollon, surnommé Porte-laurier. Les autres, à la faveur du détroit, faisant un front de bataille égal à celui des barbares, qui ne pouvoient venir au combat qu'à la file, et qui s'entre-heurtoient et s'embarrassoient par leur grand nombre, les pressèrent si vivement, qu'après avoir combattu jusqu'à la nuit, ils les mirent en fuite, et remportèrent, comme dit Simonide, cette belle et signalée victoire, qui a été l'action la plus éclatante que les Grecs et toutes les nations barbares aient jamais faite sur mer, tant pour la valeur et le courage des soldats, que pour la prudence de Thémistocle.

Après le combat, Xercès, dont le courage luttoit encore contre son malheur, voulut tenter de joindre l'île de Salamine au continent par des levées, afin d'y faire passer son armée de terre, et de fermer ce passage aux Grecs. Mais le dessein de Thémistocle étoit de le contraindre d'abandonner la Grèce.

En conséquence, il choisit un eunuque du palais de Xercès, qui avoit été trouvé parmi les prisonniers, et qui se nommoit Arnace ; il l'envoya au roi des Perses, pour lui dire : «Que les Grecs, après avoir gagné la bataille » navale, avoient résolu d'aller dans l'Hellespont, à l'en» droit appelé Zeugma, couper le pont de bateaux qui restoit aux Perses pour leur retraite, et que le soin que » Thémistocle prenoit de la conservation du roi, l'obliH

TOME I.

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geoit à lui donner cet avis, afin que, sans perdre un mo» ment, il se rètirât dans ces mers pour passer en Asie, >> pendant que de son côté il amuseroit les alliés, et retar >> deroit leur poursuite. »

Xercès, effrayé de cette nouvelle, renonça à ses projets, et se retira avec une précipitation extrême. Bientôt après, les restes de son armée furent défaits à la bataille de Platée, et la Grèce se vit délivrée de l'invasion des Perses.

Hérodote écrit que de toutes les villes de la Grèce, celle qui se signala le plus dans cette bataille navale, fut Egine; et que Thémistocle remporta le prix de la valeur, du consentement de tous les Grecs. Les Lacédémoniens même l'ayant mené à Sparte pour lui rendre les honneurs qui lui étoient dûs, décernèrent à leur général Eurybiade le prix de la valeur, et à Thémistocle celui de la sagesse " les he aorant l'un et l'autre d'une couronne d'olivier. Ils firent aussi présent à Thémistocle du plus beau char qui fût dans la ville; et à son départ, ils envoyèrent trois cents jeunes gens des plus considérables pour l'accompagner jusqu'aux montagnes de Tégée.

On raconte encore qu'aux jeux olympiques, qui furent célébrés trois ans après la bataille de Salamine, sitôt que Thémistocle parut dans la stade, toute l'assemblée perdant de vue les combattans, eut pendant tout le jour les yeux attachés sur sa personne, en le montrant aux étrangers avec des battemens de mains, et avec toutes les marques d'une admiration extraordinaire : il fut si sensible à cet accueil, qu'il avoua à ses amis, que ce jour-là il recueilloit le plus digne fruit de tous les travaux qu'il avoit entrepris pour la Grèce.

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