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entendre; soudain toute cette nation de femmes lève la tête. Se précipitant du milieu de leurs jeux, échappés aux voluptés et aux bras des courtisannes, voyez ces jeunes gens, sans tentes, sans lits, sans, nourriture, s'avancer en riant contre ces innombrables armées de vieux soldats, et les chasser devant eux comme des troupeaux de brebis obéissantes.*

* Léonidas prêt à attaquer les Perses aux Thermophyles disoit à ses soldats; nous souperons ce soir chez Pluton et ils poussoient des cris de joie. Dans les campagnes de la guerre de la révolution un soldat François étant en sentinelle perdue, à l'avant bras gauche emporté d'un coup de canon; il continue de charger sous son moignon criant aux Autrichiens, en prenant des cartouches dans sa giberne: Citoyens, j'en ai

encore.

Voltaire a peint admirablement ce caractère des François :

C'est ici que l'on dort sans lit,

Que l'on prend ses repas par terre.
Je vois, et j'entends l'atmosphère
Qui s'embrase et qui retentit
De cent décharges de tonnerre:
Et dans ces horreurs de la guerre
Le François chante, boit et rit.
Bellone va réduire en cendres
Les courtines de Phillipsbourg,
Par quatre-vingt mille Alexandres,
Payés à quatre sous par jour.
Je les vois prodiguant leur vie,
Chercher ces combats meurtriers,
Couverts de fange et de lauriers ;
Et pleins d'honneur et de folie.

Les cours qui nous gouvernent sont pleines de gaîté et de pompe. Qu'importent leurs vices? Qu'ils dissipent leurs jours au milieu des orages, ceux-là qui aspirent à de plus hautes destinées; pour nous chantons, rions aujourd'hui. Passagers inconnus, embarqués sur le fleuve du temps, glissons sans bruit dans la vie. La meilleure constitution n'est pas la plus libre, mais celle qui nous laisse de plus doux loisirs.... O ciel! pourquoi tous ces citoyens condamnés à la cigüe ou à la guillotine? ces trônes déserts et ensanglantés? ces troupes de bannis, fuyant sur tous les chemins de la patrie ?-Comment! ne savez-vous pas que ce sont des tyrans qui vouloient retenir un peuple fier et indépendant dans la servitude?

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Qu'il me soit permis de retracer ici le caractère des François tel que je l'ai peint ailleurs.* Inquiets et volages dans le bonheur, constans et invincibles dans l'adversité; nés pour tous les arts; civilisés jusqu'à l'excès durant le calme de l'Etat, grossiers et sauvages dans leurs troubles politiques; flottans comme un vaisseau sans lest au gré de leurs passions impétueuses; à présent dans les cieux, le moment d'après dans l'abyme; enthousiastes et du bien et du mal; faisant le premier ;,

O Nation brillante et vaine!
Illustres foux! Peuple charmant,
Que la gloire à son char entraîne ;
Il est beau d'affronter gaiement

Le trépas, &c.

* Génie du Christianisme, tome ii, livre iii, chap. 5, page 280, de l'édition de Londres, 1813.

sans en exiger de reconnoissance, le second sans en sentir de remords; ne se rappellant ni de leurs crimes, ni de leurs vertus; amans pusillanimes de de la vie durant la paix, prodigues de leurs jours dans les batailles; vains, railleurs, ambitieux,

* Ce malheureux esprit de raillerie, et cette excellente opinion de nous-mêmes, qui nous font tourner les coutumes des autres nations en ridicule, en même temps que nous prétendons ramener tout à nos usages, ont été bien funestes aux Athéniens et aux François. Les premiers s'attirèrent par ce défaut, la haine de la Grèce, la guerre du Peloponèse et mille troubles; et c'est ce qui a valu aux seconds la même haine du reste de l'Europe et les a fait chasser plus d'une fois de leurs conquêtés. Il est assez curieux de remarquer sur les anciennes médailles d'Athènes, ce caractère général de la nation imprimé sur le front des particuliers. On retrouve aussi le même trait parmi les François. Il n'y a personne qui n'ait rencontré en France, dans la société, de ces hommes dont les yeux pétillent d'ironie, qui vous répondent à peine en souriant et affectent les airs de la plus haute supériorité. Combien ils doivent paroître haîssables au modeste étranger qu'ils insultent ainsi de leurs regards! Ce qu'il y a de déplorable c'est que ces mêmes hommes ne portent que trop souvent sur leur figure, la marque indélébile de la médiocrité. Ils seroient bien punis, s'ils se doutoient seulement de la pitié qu'ils vous font ; ou s'ils pouvoient lire dans le fond de votre âme l'humiliant, comme je te vois! comme je te mesure!

L'art de la physionomie offre d'excellentes études, à qui voudroit s'y livrer. Notre siècle raisonneur a trop dédaigné cette source inépuisable d'instructions. Toute l'antiquité à cru à la vérité de cette science; et Lavater l'a porté de nos jours à une perfection inconnue. La vérité est que la plupart des hommes la rejettent, parce qu'ils s'en trouveroient mal. Nous pourrions du moins porter son flambeau dans l'histoire. Je m'en suis servi souvent avec succès dans cette partie. Quelquefois aussi je me suis plu à descendre dans le cœur de mes contemporains. J'aime à aller m'asseoir, pour ces espèces d'observations, dans quelque

novateurs, méprisant tout ce qui n'est pas eux; individuellement les plus aimables des hommes, en corps les plus détestables de tous; charmans dans leur propre pays, insupportables chez l'étranger; tour-à-tour plus doux, plus innocens que la brebis qu'on égorge, et plus féroces que le tigre qui déchire les entrailles de sa victime: tels furent les

coin obscur d'une promenade publique, d'où je considère furtivement les personnes qui passent autour de moi. Ici, sur un front à demi ridé, dans ces yeux couverts d'un nuage, sur cette bouche un peu entr'ouverte, je lis les chagrins cachés de cet homme qui essaie de sourire à la société ; là, je vois sur la lèvre inférieure de cet autre, sur les deux rides descendantes des narines, le mépris et la connoissance des hommes, percer à travers le masque de la politesse; un troisième me montre les restes d'une sensibilité native, étouffée à force d'avoir été déçue, et maintenant recouverte par une indifférence systématique. Dans la classe la plus basse du peuple on rencontre quelquefois des figures étonnantes. Il y a quelque temps qu'au bas du HayMarket, vis-à-vis le caffé d'Orange, je m'arrêtai à écouter un de ces Allemands qui tournent des orgues à cylindre. Je n'eus pas plutôt jetté les yeux sur cet étranger, que je fus frappé de son air grand et énergique, en même temps que le vice se montroit de toutes parts sur sa physionomie. I joua un air devant notre groupe, puis se détourna froidement, en nous jettant un regard du plus souverain mépris. Comme s'il nous avoit dit je vous connois race d'hommes: vous me prenez pour votre dupe, je n'attendois rien de vous. Il est possible que ce malheureux fût né avec des qualités supérieures; jetté par la destinée dans un rang au-dessous de son génie, il peut avoir souffert de longues infortunes, être devenu vicieux par misère; et la même vigueur d'âme qui l'auroit conduit aux premières vertus, en a peut-être fait un scélérat

Où seroient les Jourdan, les Buonaparte, les Ney, &c. sans la révolution?

Athéniens d'autrefois, et tels sont les François d'aujourd'hui.

Au reste, loin de moi la pensée de chercher à diffamer le caractère des François. Chaque peuple a son vice national et si mes compatriotes sont cruels, ils rachetent ce grand défaut par mille qualités estimables. Ils sont généreux, braves, pères indulgens, amis fidèles; je leur donne d'autant plus volontiers ces éloges, qu'ils m'ont plus persécuté.

CHAPITRE XV.

De l'Etat des Lumières en Grèce au moment de la Révolution Républicaine. Siècle de Lycurgue.

LORSQUE je parlerai des lumières dans cet Essai, je ne m'attacherai principalement qu'à la partie morale et politique. Ce qui regarde les arts n'est pas, à proprement parler, de mon sujet : cependant j'en toucherai quelque chose, selon l'influence qu'ils auront eue sur les hommes, dont j'écrirai alors l'histoire.

En commençant nos recherches au siècle de Lycurgue et les finissant à celui de Solon, nous voyons d'abord paroître Homère et Hésiode. Je n'entretiendrai point le lecteur de ces deux fameux poëtes. Qui n'a lu l'Iliade et l'Odyssée ? qui ne connoît les Travaux et les Jours, la Théogonie, le Bouclier d'Hercule? Homère a donné Virgile à l'antique Italie, et le Tasse à la nouvelle, le Ca

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