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de vains noms, dont les tyrans se servent pour enchaîner leurs esclaves. Un républicain ne doit avoir ni amour, ni fidélité, ni respect que pour la patrie.* Résolus d'altérer la nation jusque dans sa source, les Jacobins, sachant que l'éducation fait les hommes, obligent les citoyens à envoyer leurs enfans à des écoles militaires, où on va les abreuver de fiel et de haine contre tous les autres. gouvernemens. Là, préparés par les jeux de La cédémone à la conquête du monde,† on leur apprend à se dépouiller des plus doux sentimens de la nature pour des vertus de tigres, qui ne leur nourrissent que des cœurs d'airain.

Tel étoit balotté entre les mains puissantes de cette faction ce peuple infortuné, transporté toutà-coup dans un autre univers, étonné des cris des victimes et des acclamations de la victoire retentissant de toutes les frontières, lorsque Dieu laissant tomber un regard sur la France, fit rentrer ces monstres dans le néant.

* Ici évidemment toute la morale de Lycurgue pervertie et pliée à leur vue.

† Les gymnases. On sait que le caractère dominant de Sparte étoit la haine des autres peuples et l'esprit d'ambition. Ой fixerez-vous vos frontières, disoit-on à Agésilas? Au bout de nos piques, répondoit-il. Les François disoient: A la pointe de nos bayonnettes.

J'ai vu rire de la minutie avec laquelle les François ont essayé de changer leur costume, leurs manières, leur langage; mais le dessein étoit vaste et médité. Ceux qui savent l'influence qu'ont sur les hommes des mots en apparence frivoles, lorsqu'ils nous rappellent d'anciennes mœurs, des plaisirs ou des peines, sentiront la profondeur du projet.

Tels furent les Jacobins. On a beaucoup parlé d'eux et peu de gens les ont connus. La plupart se jettant dans les déclamations, ont publié les crimes de cette société, sans vous apprendre le principe général qui en dirigeoit les vues. Il consistoit ce principe dans le systême de perfection, vers lequel le premier pas à faire étoit la restauration des loix de Lycurgue. Nous avons trop donné aux passions et aux circonstances. Un trait distinctif de la révolution Françoise, c'est qu'il faut admettre la

Que si par ailleurs on considère, que ce sont les Jacobins qui ont donné à la France des armées nombreuses, braves et disciplinées; que ce sont eux qui ont trouvé moyen de les payer, d'approvisionner un grand pays sans ressource et entouré d'enDemis; que ce furent eux, qui créérent une marine comme par miracle, et conservèrent par intrigue et argent la neutralité de quelques puissances; que c'est sous leur règne, que les grandes découvertes en histoire naturelle se sont faites, et les grands généraux se sont formés ; qu'enfin, ils avoient donné de la vigueur à un corps épuisé, et organisé, pour ainsi dire, l'anarchie: il faut nécessairement convenir que ces monstres échappés de l'enfer, en avoient apporté tous les talens.

Après tout je n'ai pas la folie d'avancer, que les Jacobins prétendissent ramener expressément le siècle de Lycurgue en France. La plupart ne surent même jamais qu'il eût existé un homme de cę nom J'ai seulement voulu dire que les chefs de ce parti visoient à une réforme sévère. dont ils auroient sans doute après fait leur profit, et que Sparte leur en fournissoit un plan tout tracé J'écris sans esprit de systême. Je ne cherche point de ressemblance où il n'y en a point, ni ne donne à de certains rapports des événemens, plus d'importance qu'ils n'en méritent. La foule des leçons devant moi est trop grande, pour avoir besoin de recourir à des remarques frivoles. J'ai souvent regretté qu'un sujet si magnifique, ne soit pas tombé en des mains plus habiles que les miennes.

voie spéculative et les doctrines abstraites. pour infiniment dans ses causes. Elle a été produite en partie par des gens de lettres qui, plus habitans de Rome et d'Athènes que de leur pays, ont cherché à ramener dans l'Europe les mœurs antiques.*

Ainsi dès notre premier début dans la carrière, tout fourmille autour de nous de leçons et d'exemples. Déjà Athènes nous a montré nos factions dans le règne de Pisistrate et la catastrophe de ses fils; Sparte vient de nous offrir dans ses loix des origines étonnantes. Plus nous avancerons dans ce vaste sujet, plus il deviendra intéressant. Nous avons vu l'établissement des gouvernemens populaires chez les Grecs; nous allons parler maintenant du génie comparé de ces peuples et des François; de l'état des lumières; de l'influence de la révolution républicaine sur la Grèce, sur les nations étrangères: enfin de la position politique et morale des mêmes nations à cette époque.

CHAPITRE XIV.

Caractère des Athéniens et des François.

QUELS peuples furent jamais plus aimables dans le monde ancien et moderne, que les nations

* Que ceci soit dit sans prétendre insulter aux gens de lettres de France. La différence d'opinions ne m'empêchera jamais de respecter les talens. Quand il n'y auroit que les rapports que j'ai entretenus autrefois avec plusieurs de ces hommes célèbres, c'en seroit assez pour me commander la décence.

brillantes de l'Attique et de la France? L'étranger charmé à Paris et à Athènes, ne rencontre que des cœurs compâtissans et des bouches toujours prêtes à lui sourire. Les légers habitans de ces deux capitales du goût et des beaux arts, semblent formés pour couleur leurs jours au sein des plaisirs. C'est-là, qu'assis à des banquets, vous les entendrez se lancer de fines railleries; rire avec grâce de leurs maîtres; parler à la fois, de politique et d'amour, de l'existence de Dieu et du succès de la comédie nouvelle, et répandre profusément les bons mots et le sel attique, au bruit des chansons d'Anacréon et de Voltaire; au milieu dės vins, des femmes et des fleurs.

Mais où court tout ce peuple furieux? d'où viennent ces cris de rage dans les uns et de désespoir dans les autres? Quelles sont ces victimes égorgées sur l'autel des Euménides? Quel cœur ces monstres à la bouche teinte de sang ont-ils dévoré ?*.... Ce n'est rien: ce sont ces Epicu

* M. de Belzunce et plusieurs autres. J'ai vu moi-même un de ces cannibales assez proprement vêtu, ayant pendu à sa boutonnière un morceau du cœur de l'infortuné Flesselles. Deux traits que j'ai entendu citer à un témoin oculaire, méritent d'être connus pour effrayer les hommes. Ce citoyen passoit dans les rues de Paris, dans les journées du 2 et 3 Septembre; il vit une petite fille pleurant auprès d'un chariot plein de corps, où celui de son père, qui venoit d'être massacré, avoit été jetté. Un monstre, portant l'uniforme national, qui escortoit cette digne pompe des factions, passe aussitôt sa bayonnette dans la poitrine de cette enfant; et, pour me servir de l'expression énergique du

riens que vous avez vu danser à la fête; et qui, ce soir, assisteront tranquillement aux farces de Thespis, ou aux ballets de l'opéra.

*

A la fois orateurs, peintres, architectes, sculpteurs, amateurs de l'existence,† pleins de douceur et d'humanité, du commerce le plus enchanteur dans la vie; la nature a créé ces peuples pour sommeiller dans les délices de la société et de la paix. Tout à coup la trompette guerrière se fait

narrateur, la place aussi tranquillement qu'on auroit fait une botts de paille sur la pile des morts, à côté de son père.

Le second trait, peut-être encore plus horrible, développe le caractère de ce peuple, à qui l'on a prétendu donner un gouvernement républicain. Le même citoyen rencontra d'autres tombereaux, je crois vers la porte St. Martin; une troupe de femmes étoient montées parmi ces lambeaux de chair, et à cheval sur les cadavres des hommes (je me sers encore des mots du rapporteur) cherchoient avec des rires affreux, à assouvir la plus monstrueuse des lubricités. Les réflexions ne serviroient de rien ici. Je dirai seulement que le témoin de cette exécrable dépravation de la nature humaine, est un ancien militaire, connu par ses lumières, son courage et son intégrité.

Hérodote raconte que les Grecs auxiliaires à la solde du roi d'Egypte contre Cambyse, ayant été trahis par leur général, qui déserta à l'ennemi, saisirent ses enfans, les égorgèrent, et en burent le sang à la vue des deux armées. Je dirai dans la suite les raisons pour lesquelles je semble m'appésantir sur ces détails. *Thespis est l'inventeur de la tragédie; mais la grossièreté de ces premiers essais du drame peut être justement qualifiée de farce.

↑ On sait l'attachement des Grecs à la vie. Homère n'a point craint de la faire regretter à Achille même. Avant la révolution je ne connoissois point de peuple qui mourut plus gaiement sur le champ de bataille que les François, ni de plus mauvaise grâce dans leur lit.

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