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chaque faction a déchiré ces illustres citoyens, les Jacobins Montesquieu, les Royalistes Jean-Jacques Rousseau; cela n'empêchera pas que l'immortel Esprit des Loix, et le sublime Emile, si peu entendu, ne passent à la dernière postérité. Quant au Contrat Social, comme on en retrouve une partie dans l'Emile; que ce n'est d'ailleurs qu'un extrait d'un grand ouvrage; qu'il rejette tout et ne conclut rien; je crois que, dans son état actuel d'imperfection, il a fait peu de bien et beaucoup de mal: je suis seulement étonné que les Républicains l'aient pris pour leur règle: il n'y a pas de livre qui les condamne davantage.

Ainsi au moment que le peuple commença à lire, il ouvrit les yeux sur des écrits qui ne prêchoient que Politique et Religion: l'effet en fut prodigieux. Tandis qu'il perdoit rapidement ses mœurs et son ignorance, la Cour, sourde au bruit d'une vaste monarchie, qui commençoit à rouler en bas vers l'abyme où nous l'avons vu disparoître, se plongeoit plus que jamais dans les vices et le despotisme. Au lieu d'élargir ses plans, d'élever ses pensées, d'épurer sa morale, en progression relative à l'accroissement des lumières; elle rétrécissoit ses petits préjugés, ne savoit ni se soumettre à la force des choses, ni s'y opposer avec vigueur. Cette misérable politique, qui fait qu'un gouvernement se resserre quand l'esprit public s'étend, est remarquable dans toutes les révolutions: c'est vouloir inscrire un grand Cercle dans une petite Circonférence; le résultat en est cer

tain. La tolérance s'accroît, et les prêtres font juger à mort un jeune homme qui, dans une orgie, avoit insulté un Crucifix; le peuple se montre incliné à la résistance, et tantôt on lui cède mal-àpropos, tantôt on le contraint imprudemment; l'esprit de liberté commence à paroître, et on multiplie les Lettres de Cachet. Je sais que ces lettres ont fait plus de bruit que de mal; mais, après tout, une pareille institution détruit radicalement les principes. Ce qui n'est pas loi, est hors de l'essence du gouvernement, est criminel. Qui voudroit se tenir sous un glaive suspendu par un cheveu sur sa tête, sous prétexte qu'il ne tombera pas ? A voir ainsi le Monarque endormi dans la volupté, des Courtisans corrompus, des Ministres méchans ou imbécilles, le Peuple perdant ses mœurs, les Philosophes, les uns sappant la religion, les autres l'Etat, des Nobles ou ignorans, ou atteints des vices du jour, des Ecclésiastiques, à Paris la honte de leur Ordre, dans les provinces pleins de préjugés, on eût dit d'une foule de manœuvres s'empressant à l'envi à démolir un grand édifice.

Depuis le règne de Louis XV, la religion ne fit plus que décliner en France; et elle s'est enfin évanouie, avec la monarchie, dans le gouffre de la Révolution.

Ici finit l'histoire des révolutions de la Grèce, considérées dans leurs rapports avec la révolution Françoise. Nous allons maintenant quitter pour n'y plus revenir la terre sacrée des talens; si j'y ai

fait voyager le lecteur avec un peu d'intérêt, peutêtre consentira-t-il un jour à me suivre dans mes nouvelles courses en Italie et chez les peuples modernes mais avant de les commencer ces courses, il faut dire un dernier adieu à Sparte et à Athènes, et tâcher de résumer ce que nous avons appris.

:

CHAPITRE LII.

Résumé.

DANS les quarante-deux premiers Chapitres de cet Essai nous avons étudié la Révolution Républicaine de la Grèce, recherché son influence sur les nations contemporaines, et suivi ses ramifications aussi loin que nous avons pu les découvrir.

Dans les dix autres qui comprennent la Révolution de Philippe et d'Alexandre, nous venons de passer en revue les tyrans d'Athènes, Denys à Syracuse, Agis à Sparte, les Philosophes Grecs et leur influence; et pour parallèle nous avons eu la Convention en France, les Bourbons fugitifs, Louis Seize à Paris, les Philosophes modernes et leur influence sur leur siècle, ainsi que l'influence de la Réformation et de la secte philosophique sous Louis XV. Ce qui nous reste à faire ici est de reconnoître le point où nous sommes parvenus, et jusqu'à quel degré nous nous trouvons avancés vers le but général de cet Essai.

Nous sommes occupés à la recherche de ces questions.

1°. Quelles sont les révolutions arrivées autrefois dans les gouvernemens des hommes ? quel étoit alors l'état de la société, et quelle a été l'influence de ces révolutions sur l'âge où elles éclatèrent, et les siècles qui les suivirent?

2. Parmi ces Révolutions en est-il quelquesunes qui, par l'esprit, les mœurs, et les lumières des temps, puissent se comparer à la Révolution Françoise?

Il s'agit maintenant de savoir si nous avons fait quelques pas vers la solution de ces questions.

Certainement un pas considérable : Quoique ce volume ne forme qu'une très-petite partie de l'immense sujet de cet Ouvrage, on peut prononcer hardiment que, déjà la majorité des choses qu'on vouloit faire passer pour nouvelles dans la Révolution Françoise, se retrouve presqu'à la lettre dans. l'histoire des Grecs d'autrefois. Déjà nous possédons cette importante vérité, que l'homme foible dans ses moyens et dans son génie, ne fait que se répéter sans cesse ; qu'il circule dans un cercle, dont il tâche envain de sortir; que les faits même qui ne dépendent pas de lui, qui semblent tenir aux jeux de la fortune, sont incessamment reproduits ensorte qu'il deviendroit possible de dresser une table, dans laquelle tous les événemens imaginables de l'histoire d'un peuple donné, se trouveroient réduits avec une exactitude mathématique; et je doute que les caractères primitifs en fussent extrêmement nombreux, quoique de

leur composition résulteroit une immense variété de calculs.*

Mais quel fruit tirer de cette observation? Un très-grand

Tout homme qui est bien persuadé qu'il n'y a rien de nouveau en histoire, perd le goût des innovations: Goût que je regarde comme un des plus grands fléaux qui affligent l'Europe. L'enthousiasme vient de l'ignorance; guérissez celleci, l'autre s'éteindra: la connoissance des choses est un opium qui ne calme que trop l'exaltation.

Je dois d'ailleurs observer que, pour juger sainement, le lecteur ne sauroit trop se donner de garde de se méprendre; il faut considérer les objets sous leur vrai jour. Il est bien moins question de la ressemblance de position en politique et de la similitude d'événemens, que de la situation morale du peuple: les mœurs, voilà le point où il faut se tenir, la clef qui ouvre le livre secret du Sort. Que si je me prends à répéter souvent les mœurs,

* Cette Table seroit aisée à faire, et ne seroit pas un jeu frivole. On y poseroit, par exemple, pour principes, deux sortes de Gouvernemens: le Monarchique et le Républicain; l'homme naturel, l'homme politique, et l'homme civil se trouveroient rangés sous deux colonnes; sur une troisième seroient marqués les degrés de lumières et d'ignorance; sur une quatrième, les chances et les hazards. On multiplieroit alors tous ces nombres par les différentes passions, comme l'envie, l'ambition, la haine, l'amour, &c. qu'on verroit écrites sur une cinquième colonne : tout cela tomberoit en fractions composées, par les nuances des caractères, &c. Mais donnons-nous de garde de tracer une pareille table: les résultats en seroient si terribles, que je ne voudrois pas même les faire soupçonner ici.

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