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CHAPITRE XLVIII.

Condamnation d'Agis à Sparte.

LA révolution des Trente Tyraus à Athènes eut des conséquences funestes pour la république imprudente qui l'avoit favorisée. Lysander en faisant porter à Lacédémone l'or et l'argent de l'Attique, introduisit les vices de ce dernier pays dans sa patrie. Bientut la simplicité de inceurs y passa pour grossièreté, la frugalité pour sottise, l'honnêteté pour duperie, et l'Ephore Epitades ayant publié une loi par laquelle on pouvoit aliéner le patrimoine de ses pères, toutes les proprié és passèrent entre les mains des riches; et les Spartiates, jadis si égaux en rang et en fortune, se trouvèrent divisés en un vil troupeau d'esclaves et de maîtres.

Tel étoit l'état de la république de Lycurgue, lorsqu'il s'éleva à Lacédémone un roi digue des grands siècles de la Grèce. Agis, épris des charmes de la vertu, entreprit dans l'âge où la plupart des hommes sentent à peine leur existence, de rétablir les loix et les mœurs de l'antique Laconie. Il s'ouvrit de ses desseins à la jeunesse Lacédémonienne, qu'il trouva, contre son attente, plus disposée que les vieillards à favoriser son entreprise. On a remarqué la même chose en France au commencement de la révolution; il y a dans le bel âge une chaleur généreuse qui nous porte vers le bien, tant que la société n'a point encore dissipé la douce illusion de la vertu. Le roi de La

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cédémone parvint à gagner trois hommes d'une grande influence, Lysander, Mandroclides et Agésilas; il réussit de même auprès de sa mère Agésistrata.

Tout sembloit favoriser l'entreprise. Lysander avoit été nommé Ephore, les dettes publiquement abolies, le roi Léonidas s'étoit vu forcé à la fuite, après une vaine opposition aux projets de son collègue Agis, et l'on avoit élu son gendre Cléombrotus à sa place. Enfin il ne restoit plus qu'à procéder au partage des terres, lorsqu'Agésilas, qui jusqu' alors avoit secondé la révolution, trahit la cause de son parti et fit changer la fortune.

Ce Spartiate possédoit de grandes propriétés et se trouvoit en même temps écrasé de dettes. I embrassa donc avidement l'occasion de se décharger de celles-ci, mais il ne voulut plus de la réforme aussitôt qu'elle atteignit ses biens. Ayant eu l'adresse de se faire nommer Ephore, et Agis se trouvant absent, il exerça mille tyrannies. Les citoyens se voyant joués par Agésilas, et croyant que le jeune roi s'entendoit avec lui, se liguèrent ensemble et rappellèrent sous main Léonidas, ce roi exilé dont Cléombrotus occupoit la place.

Cependant Agis étoit de retour à Lacédémone; bientôt Léonidas y rentra lui-même en triomphe, et il ne resta plus pour Agis et Cléombrotus qu'à éviter sa vengeance et celle de la faction des Riches, maintenant toute puissante. Le dernier ɛe rendit suppliant dans le temple de Neptune, et sauvé peu après par la vertu de son épouse, il fut

seulement condamné à l'exil. Il n'en arriva pas ainsi du jeune et malheureux prince Agis réfugié dans le temple de Minerve. Je laisse parler le bon Amyot.

Ainsi Léonidas ayant chassé Cléombrotus hors de la ville, et au lieu des premiers Ephores qu'il déposa, en ayant substitué d'autres, se mit incontinent à penser les moyens comment il pourroit avoir Agis: il tascha de luy persuader premièrement qu'il sortist de la franchise du temple, et qu'il s'en allast avec luy a seureté exercer sa royauté, lui donnant à entendre que ses citoyens luy avoient pardonné tout le passé, à cause qu'ils cognoissoient bien qu'il avoit esté deceu et circonvenu par Agésilaus, comme jeune homme desireux d'honneur qu'il estoit. Toutefois pour cela Agis ne bougeoit point de sa franchise, ains avoit pour suspect tout ce que l'autre lui alleguoit: au moyen de quoi Léonidas se desporta de tascher de l'attirer et l'abuser par belles paroles: mais Amphares, Democharës et Argesilaus alloient souvent le visiter et deviser avec luy, tant quelquefois qu'ils le menoient jusques aux estuves, puis quand il s'y estoit estuvé et lavé ils le ramenoient dedans la franchise du temple, car ils estoient ses familiers. Mais Amphares ayant de n'agueres emprunté d'Agesistrata quelques précieux meubles, comme tapisseries et vaisselle d'argent, entreprint de le trahir, luy, sa mere, et son ayeule, sous espérances que ses meubles qu'il avoit empruntez luy demoureroient. Et dit-on que ce fut luy, qui

plus que nul autre presta l'oreille à Léonidas, et incita et irrita les Ephores, du nombre desquels il estoit à l'encontre de luy. Comme donques Agis eust accoustumé de se tenir tousiours le reste du temps dedans le temple, excepté que quelquesfois il alloit jusques aux estuves, ils proposerent de le surpendre quand il seroit hors de la Franchise. Si espiesrent un jour qu'il s'estoit estuvé, ainsi qu'ils avoient accoustumé lui allerent au-devant, et le saluerent, faisant semblant de la vouloir reconvoyer, en devisant et raillant avec luy, comme avec un jeune homme duquei ils se tenoient fort familiers: mais quand ils furent à l'endroit du destour d'une ruë tournante qui alloit à la prison, Amphares mettant la main sur luy pourcequ'il étoit magistrat, luy dit, je te fais prisonnier, Agis et te mene devant les Ephores pour rendre conte et raison de ce que tu as innové en l'état de la chose publique. Et lors Democharës qui estoit grand et puissant homme, luy jetta aussitost sa robe à l'entour du col et le tira par devant, les autres le poussoient par derriere comme ils avoient conspiré entre eux. Ainsi n'y ayant personne auprès d'eux qui peust secourir Agis, ils firent tant qu'ils le traînerent en prison, et incontinent y arriva, Léonidas avec bon nombre de soldats étrangers, qui environnerent la prison par le dehors, Les Ephores entrèrent dedans et envoyèrent quérir ceux du Sénat, qu'ils sçavoient bien estre de même volonté qu'eux: puisque commanderent à Agis. comme par forme de procès, de dire pour quelle

cause il avoit fait ce qu'il avoit remué en l'administrations de la chose publique. Le jeune homme se prit à rire de leur simulation: et a donc Amphares luy dit qu'il n'estoit pas temps de rire, et qu'il faloit qu'il payast la peine de sa fole temerité. Un autre Ephore faisant semblant de luy favoriser et de luy monstrer un expedient pour échaper de cette criminelle procédure, lui demanda s'il n'avoit pas esté seduit et constraint à ce faire par Agésilaus et par Lysander. Agis respondit qu'il n'avoit esté enduit ne forcé de personne: mais qu'il l'avoit fait seulement pour ensuivre l'ancien Lycurgus, ayant voulu remettre la chose publique en mesme estat que luy jadis l'avoit ordonnée, . Le mesme Ephore luy demanda s'il se repentoit pas de ce qu'il avoit fait. Le jeune homme respondit franchement qu'il ne se repentiroit jamais de chose si sagement et si vertueusement entreprinse, encore qu'il vist la mort toute certaine devant ses yeux. Alors ils le condamnerent à mourir et commanderent aux sergens de le mener dans la Decade, qui est un certain lieu de la prison, là où on étrangle ceux qui sont condamnez à mourir par justice. Et Demochares voyant que les sergens n'osoient mettre la main sur luy, et que semblablement les soldats étrangers refuyoient et avoient en horreur une telle execution, comme chose contraire à tout droit Divin et humain, de mettre la main sur la personne d'un roi, en les menaçant et leur disant injures, traîna luy-mesme Agis dedans ceste Chartre; car plusieurs avoient

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