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ESSAI

HISTORIQUE, POLITIQUE ET MORAL,

SUR LES

RÉVOLUTIONS,

ANCIENNES ET MODERNES.

RÉVOLUTIONS ANCIENNES.

INTRODUCTION.

SI celui qui, né avec une passion ardente pour les sciences, y a consacré les veilles de la jeunesse; si celui qui, dévoré de la soif de connoître, s'est arraché aux jouissances de la fortune pour aller au-delà des mers contempler le plus grand spectacle qui puisse s'offrir à l'œil du philosophe, et méditer sur l'homme libre de la nature et sur l'homme libre de la société, placés l'un près de l'autre sur le même sol; enfin, si celui qui dans la pratique journalière de l'adversité, a appris de bonne heure à évaluer les préjugés de la vie; si un tel homme, dis-je, mérite quelque confiance, lecteurs, vous le trouvez en moi.

B

La position où je me trouve est d'ailleurs favorable à la vérité. Sans désirs et sans crainte, je ne nourris plus les chimères du bonheur, et les hommes ne sauroient me faire plus de mal que je n'en éprouve. "Le malheur,"* dit l'auteur des Etudes de la Nature," le malheur ressemble à la montagne noire de Bember, aux extrémités du royaume brûlant de Lahor; tant que vous la montez, vous ne voyez devant vous que de stériles rochers; mais quand vous êtes au sommet, vous appercevez le ciel sur votre tête et le royaume de Cachemire à vos pieds."

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Cette observation, qui au premier coup d'œil peut paroître un peu trop personnelle, est cependant indispensable. Sans elle, le lecteur plein de cette malheureuse défiance qui nous met en garde contre les opinions d'un auteur, eut peutêtre parcouru cet ouvrage avec moins d'intérêt. Mais si j'ai pris tant de soin de lui applanir l'entrée de la carrière, il doit à son tour me faire quelque sacrifice. O vous tous qui me lisez, dépouillez un un moment vos passions en parcourant cet écrit sur les plus grandes ques tions qui puissent occuper les hommes. ditez attentivement le sujet avec moi. Si vous sentez quelquefois votre sang s'allumer, fermez le livre; attendez que votre cœur batte à son aise avant de recommencer votre lecture. En récompense je ne me flatte pas de vous apporter du

* Chaumière Indienne.

génie, mais un cœur aussi dégagé de préjugés qu'un cœur d'homme puisse l'être. Comme vous, si mon sang s'échauffe, je le laisserai se calmer, avant de reprendre la plume. Je causerai toujours simplement avec vous. Je raisonnerai toujours d'après des principes. Je puis me tromper sans doute; mais si je ne suis pas toujours justė, je serai toujours de bonne foi. Ne vous hâtez pas de mépriser l'ouvrage d'un homme, qui n'écrit que pour être utile. Enfin, si par des souvenirs trop tendres, je laissois dans le cours de cet écrit tomber une larme involontaire; songez qu'on doit passer quelque chose à un infortuné, et dites: pardonnons-lui en faveur du courage qu'il a eu d'écouter la voix de la vérité, malgré les préjugés, si excusables, du malheur.

Exposition.

I. Quelles sont les révolutions arrivées autre. · fois dans les gouvernemens des hommes; quel étoit alors l'état de la société ; et quelle a été l'influence de ces révolutions sur l'âge où elles éclatèrent et les siècles qui les suivirent?

II. Parmi ces révolutions en est-il quelquesunes qui par l'esprit, les mœurs, et les lumières des temps, puissent, se comparer à la révolution de France?

III. Quelles sont les causes primitives de cette révolution, et celles qui en ont opéré le déve loppement soudain ?

Telles sont les questions que je me propose d'examiner. Quoiqu'on ait beaucoup écrit sur la révolution Françoise, chaque faction se contentant de décrier sa rivale, le sujet est aussi neuf que s'il n'eût jamais été traité.

Républicains, Constitutionnels, Monarchistes, Girondistes, Royalistes, Emigrés, enfin politiques de toutes les sectes,* de ces questions bien ou mal entendues, dépend votre bonheur ou votre malheur à venir. Il n'est point d'homme qui ne forme des projets de gloire, de fortune, de plaisir ou de repos ; et nul cependant, dans un moment de crise, ne peut se dire: je ferai telle chose demain, s'il n'a prévu quel sera ce demain. Il est passé, le temps des félicités individuelles. Les petites ambitions, les étroits intérêts d'un homme s'anéantissent devant l'ambition générale des nations et l'intérêt du genre humain. Envain vous espérez échapper aux calamités de votre siècle par des mœurs solitaires et l'obscurité de votre vie; l'ami est maintenant arraché à l'ami, et la retraite du sage retentit de la chûte des trônes. Nu ne

* Je serai souvent obligé pour me faire entendre d'employer les divers noms de partis de la révolution Françoise. J'avertis que ces noms ne signifieront sous ma plume, que des appellations nécessaires à l'intelligence de mon sujet, et non une injure personnelle. Je ne suis l'écrivain d'aucune secte; et je conçois fort bien qu'il peut exister de très-honnêtes gens, avec des notions des choses différentes des miennes. Peut-être la vraie sagesse consiste-t-elle à être, non pas sans principes, mais sans opinions déterminées.

peut se promettre un moment de paix. Nous navigeons sur une côte inconnue, au milieu des ténèbres et de la tempête. Chacun a donc un intérêt personnel à considérer ces questions avec moi; parce que son existence y est attachée. C'est une carte qu'il faut étudier dans le péril your reconnoître en pilote sage le point d'où l'on part, le lieu où l'on est, et celui où l'on va: afin qu'en cas de naufrage on se sauve sur quelqu'île où la tempête ne puisse nous atteindre. Cette île là est une conscience sans reproche.

Comme le défaut de méthode se fait ordinairement sentir dans les ouvrages politiques, bien qu'il n'y ait point de sujet qui demandât plus d'ordre et de clarté, je tâcherai de donner une idée distincte de cet Essai, en disant un mot de ma manière.

1o. J'examinerai les causes éloignées et immédiates de chaque révolution.

2°. Leurs parties historiques et politiques.

3°. L'état des mœurs et des sciences de ce peuple en particulier, et du genre humain en général, au moment de cette révolution.

4°. Les causes qui en étendirent, ou en bornèrent l'influence.

5o. Enfin, tenant toujours en vue l'objet principal du tableau; je ferai incessamment remarquer, les rapports ou les différences entre la révolution alors décrite, et la révolution Françoise. De sorte que celle-ci servira de foyer commun, où viendront converger tous les traits épars de la morale, de l'histoire et de la politique.

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