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CHAPITRE VI.

Quelques Réflexions sur la Législation de Solon. Comparaisons. Differences.

LES gouvernemens mixtes sont vraisemblablement les meilleurs; parce que l'homme de la société est lui-même un être complexe, et à la multitude de ses passions, il faut donner une multitude d'entraves. Sparte, Carthage, Rome et l'Angleterre, ont été par cette raison, regardées comme des modèles en politique. Quant à Athènes nous remarquerons ici, qu'elle a réellement possédé ce que la France a prétendu avoir eu de nos jours la constitution la plus démocratique, qui ait jamais existé chez aucun peuple. Au mot démocratie on se figure une nation, assemblée en corps, délibérant sur ses loix? non. Cela a signifié en France: deux Conseils, un Directoire, et des citoyens à qui l'on permettoit de rester chez eux, jusqu'à la première réquisition.

Le législateur Athénien et les réformateurs Français, se trouvoient à peu-près placés entre les mêmes dangers, au commencement de leurs ouvrages. Une foule de voix demandoient la ré. partition égale des fortunes. Pour éviter le naufrage de la chose publique, Solon fut forcé de commettre une injustice. Il remit les dettes, et refusa le partage des terres. Les assemblées nationales de France ont pensé différemment: elles ont garanți la créance à l'usurier, et divisé les biens des riches.

Cela seul suffit pour caractériser la différence des deux siècles.

. Dans les institutions morales nous trouvons les mêmes contrastes. Des femmes pures parurent indispensables à Athènes pour donner des citoyens vertueux à l'Etat, et le divorce n'étoit permis qu'à des conditions rigoureuses. La France républicaine a cru que la Messaline, qui va, offrant sa lubricité d'époux en époux, n'en sera pas moins une excellente mère.

Qu'il soit chassé des tribunaux, de l'assemblée générale, du sacerdoce, disoit la loi à Athènes : qu'il soit rigoureusement puni, celui qui, noté d'infamie par la dépravation de ses mœurs, ose remplir les fonctions saintes de législateur ou de juge; que le magistrat qui se montre en état d'ivresse aux yeux du peuple soit à l'instant mis à mort.

Ces décrets-là, sans doute, n'étoient pas faits pour la France. Que fut devenue, sous un pareil arrêt, toute l'assemblée constituante dans la nuit du 4 Août 1789 ?

Ceci mène à une triste réflexion. Fanatiques admirateurs de l'antiquité, les Français semblent en avoir emprunté les vices, et presque jamais les vertus. En naturalisant chez eux les dévastations et les assassinats de Rome et d'Athènes, sans en atteindre la grandeur, ils ont imité ces tyrans, qui pour embellir leur patrie, y faisoient transporter les ruines et les tombeaux de la Grèce.

Au reste, nous entrons ici sur un sol consacré, où chaque pouce de terrein nous offrira un nouveau

sujet d'étonnement.

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Peut-être même pourrois-je déjà beaucoup dire; mais il n'est pas encore temps. Lecteur, je le répète; veillez, je vous en supplie plus que jamais sur vos préjugés. C'est au moment où un coin du rideau commence à se lever, que. l'on est le plus sensible: surtout si ce que nous appercevons n'est pas dans le sens de nos idées. On m'a souvent reproché de voir les objets dif féremment des autres: cela peut être. se hâte de me juger, sans me laisser le temps de me développer à ma manière ; si on se blesse de certaines choses, avant de connoître la place que ces choses occupent dans l'harmonie générale des parties; j'ai fini pour ces gens-là. Je n'ai ni l'envie, ni le talent, de tout penser et de tout dire à la fois.

Je reviens.

Mais si on

CHAPITRE VII.

Origine des Noms de Factions, la Montagne et la Plaine.

SOLON voulut couronner ses travaux par un sacrifice. Voyant que sa présence faisoit naître des troubles à Athènes, il résolut de s'en bannir par un exil volontaire. Il s'arracha donc pour dix ans au séjour si doux de la patrie, après avoir fait promettre à ses concitoyens, qu'ils vivroient en paix jusqu'à son retour. On s'apperçut bientôt qu'on n'ajourne point les passions des hommes.

Depuis long-temps, l'Etat nourrissoit dans son

sein trois factions, qui ne cessoient de le déchirer. Quelquefois réunies par intérêt, ou tranquilles par lassitude, elles sembloient s'éteindre un moment; mais bientôt elles éclatoient avec une nouvelle furie.

La première, appellée le parti de la Montagne, étoit composée, ainsi que le fameux parti du même nom en France, des citoyens les plus pauvres de la république, qui vouloient une pure démocratie. Par l'établissement d'un sénat, et l'admission exclusive des riches aux charges de la magistrature, Solon avoit opposé une digue puissante à la fougue populaire; et la Montagne trompée dans ses es pérances, n'attendoit que l'occasion favorable de s'insurger contre les dernières institutions. C'étoient les Jacobins d'Athènes.

Le second parti, connu sous le nom de la Plaine, réunissoit les riches possesseurs de terres, qui, trouvant que le législateur avoit trop étendu le pouvoir du petit peuple, demandoient la constitution oligarchique, plus favorable à leurs intérêts. C'étoient les Aristocrates.

Enfin, sous un troisième parti, distingué par l'appellation de la Côte, se rangeoient tous les négocians de l'Attique. Ceux-ci, également effrayés de la licence des pauvres et de la tyrannie des grands, inclinoient à un gouvernement mixte, propre à réprimer l'une et l'autre : ils jouoient le rôle des Modérés.

Athènes se trouvoit ainsi, à-peu-près, dans la même position que la France républicaine : nul ne

goûtoit la nouvelle constitution; tous en demandoient une autre ; et chacun vouloit celle-ci d'après ses vues particulières. On voit encore ici la source d'où les François ont tiré les noms des partis qui les ont divisés.

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CHAPITRE VIII.

Portraits des Chefs.

DES mêmes causes, les mêmes effets. Il devoit s'élever alors des tyrans à Athènes, comme il s'en est élevé de nos jours à Paris. Mais autant le siècle de Solon surpasse le nôtre en morale, autant les factieux de l'Attique furent supérieurs en talens à ceux de la France.

A la tête des Montagnards, on distinguoit Pisistrate; brave, éloquent, généreux, d'une figure 'aimable et d'un esprit cultivé, il n'avoit de Robespierre que la dissimulation profonde; et de · l'infâme d'Orléans, que les richesses et la naissance lustre. Il prit la route que ce dernier conspirateur a tâché de suivre après lui. Il fit retentir le mot égalité aux oreilles du peuple; et tandis que la liberté respiroit sur ses lèvres, il cachoit la tyrannie aú fond de son cœur.

Lycurgue avoit la confiance de la Plaine. Nous ne savons presque rien de lui. C'étoit apparemment un de ces intrigans obscurs, que le tourbillon révolutionnaire jette quelquefois au plus haut point du systême, sans qu'ils sachent eux-mêmes comment ils y sont parvenus. Les aristocrates

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