Page images
PDF
EPUB

couvens de moines inutiles. La révolte du Brabant a eu des suites les plus funestes. Le peuple, dompté seulement par la force des armes, froid dans la cause de ses maîtres, qu'il regardoit comme ses tyrans, loin d'épouser la querelle des Alliés, a présenté aux François une proie facile, Observons encore la réaction de la justice générale, Le clergé Flammand soulève les Brabançons contre leurs souverains légitimes, pour sauver quelques parties de ses immenses richesses; les républicains arrivent, et s'emparent du tout.

Une guerre malheureuse venoit de désoler la Perse-de ruiner l'Allemagne. Darius, dans son expé dition de Scythie, avoit perdu une armée florissante. -Les Etats de Joseph s'étoient épuisés pour seconder son entreprise contre la Porte. Mais ici se trouve une différence locale essentielle. Les troupes Persannes, en se rendant par la Thrace aux bords de l'Ister, se rapprochèrent de la Grèce. -L'armée Autrichienne, en se jettant sur la Turquie, s'éloignoit au contraire des frontières de France. Cette chance de position a décidé en partie du succès de la guerre républicaine. Car, ou les Empereurs se fussent déclarés plutôt contre la République, et l'eussent trouvée moins préparée; ou les François eux-mêmes n'auroient su pénétrer d'abord dans le Brabant. Autres données, autres effets.

1

Joseph étant mort à Vienne, son frère Léopold, Grand-Duc de Toscane, lui succéda. Celui-ci, accoutumé, dans une position moins élevée, à un

horison peu étendu, ne put saisir l'immensité de la perspective, lorsqu'il eut atteint à de plus hautes régions. La nature l'avoit doué de cette vue microscopique qui distingue les parties de l'infiniment petit, et ne sauroit embrasser les dimensions plus nobles du grand. Il porta cependant avec Darius quelques traits de ressemblance: l'amour de la justice et la connoissance des loix. Mais le prince Persan considéra ses sujets du regard du monarque qui dirige des hommes, et le prince Germanique de l'œil du maître qui surveille un troupeau. L'un possédoit la chaleur et la libéralité du chef qui donne; l'autre la froideur et l'économie du dépositaire qui compte.*

Tels étoient les monarques et l'état des deux empires, lorsque la révolution républicaine de la Grèce, et celle de la France firent éclater la guerre Médique dans l'ancien monde-la guerre républicaine dans le monde moderne. Nous allons essayer d'en développer les causes.

CHAPITRE XLI.

Guerre Médique-Guerre Républicaine. LES différentes colonies que les Grecs avoient fondées sur les côtes de l'Asie-Mineure, étoient

Je juge ici d'après le livre des Institutions Toscanes de Léopold, imprimé en Italien et que j'ai eu quelque temps entre les mains, en outre sur ce que j'ai appris en Allemagne touchant cet empereur, et dans plusieurs conversations avec des Florentins; enfin par l'histoire générale de l'Europe à cette époque. La justice cependant m'oblige de dire que j'ai trouvé des Allemands grands admirateurs des vertus de Léopold.

tombées peu-à-peu sous la puissance des rois de Lydie. Celle-ci ayant été à son tour renversée par Cyrus, les villes d'Ionie passèrent alors sous le joug de la Perse.*

Elles ne connurent cependant que le nom de l'esclavage. Leurs maîtres leur laissèrent leur ancien gouvernement populaire, et n'exigeoient d'elles qu'un léger tribut: mais les habitans de ces cités, incapables de modération, ne connoissoient pas de plus grand tourment que le repos. Amollis

dans le luxe et les voluptés, ils n'avoient conservé de la pureté de leurs mœurs primitives qu'une inquiétude, toujours prête à les plonger dans les malheurs des révolutions, sans qu'ils fussent jamais assez vertueux pour en recueillir les fruits.

Les colonies Grecques-Asiatiques, formoient un corps de républiques qui se gouvernoient par leurs propres loix, sous la protection de la cour de Suze, de même que les Etats fédératifs des Pays-Bas sous la puissance des Empereurs d'Allemagne. Plusieurs fois les premières avoient cherché à se soustraire à la domination de la Perse sans avoir pu y parvenir. Dans la dix-neuvième année du règne de Darius, les peuples de l'Ionie se soulevèrent à la fois. Le motif général de l'insurrection étoit ces plaintes vagues de tyrannie, le grand texte des factieux ; et qui ne veut dire autre chose, sinon qu'on a besoin d'expressions figurées, pour éviter d'employer au sens propre, haine, envie,

* Je comprends sous le nom général de l'Ionie, l'Ionie proprement dite, l'Eolide et la Doride.

vengeance et tous ces mots qui composent le vrai dictionnaire des révolutions.

- Le Brabant, autrefois partie du Duché de Bourgogne, étant passé, après plusieurs successions, à la maison d'Autriche, demeura en possession de ses privilèges politiques, formant une espèce de république, soumise à un grand empire.

Le caractère des Flammands, considéré au civil, présentoit encore des analogies frappantes avec celui des Grecs Asiatiques. Indomptables dans leur humeur, les habitans des Pays-Bas tendoient sans cesse à s'insurger, sans autre raison qu'une impossibilité d'être paisibles. La république du brasseur Artavelle, le bannissement de plusieurs de leurs Comtes, les révoltes sous Charles le Téméraire, les grands troubles sous Philippe second, ne prouvent que trop cette vérité. Les innovations de Joseph étoient plus que suffisantes pour soulever un peuple impatient et superstitieux. Dans un instant les Pays-Bas furent en armes; et l'Empereur Germanique s'apperçut, trop tard, qu'il avoit méconnu le génie des hommes.

Durant que ceci se passoit en Ionie et dans le Brabant, de grandes scènes s'étoient ouvertes en Grèce et en France. Soulevées au nom de la liberté, ces deux contrées avoient chassé leurs princes et changé la forme de leur gouvernement. Dans le moment le plus chaud de cet enthousiasme, les Athéniens voient tout-à-coup arriver les ambassadeurs de l'Ionie révoltée, qui les supplient de secourir leurs concitoyens dans la cause commune

de l'indépendance. Les députés du Brabant en insurrection font à Paris la même prière à l'assemblée nationale.

L'impétuosité Attique et Françoise auroit bien désiré se précipiter dans la mesure proposée, mais l'heure n'étoit pas venue. On ne comptoit encore que des préparations peu avancées; un reste de crainte retenoit; d'ailleurs il étoit impossible, sans renoncer à toute pudeur, de rompre la paix avec la Perse-avec l'Allemagne, dont on n'avoit aucun sujet de plainte. On renvoya donc les députés avec des paroles obligeantes, se contentant de fomenter sous main des troubles auxquels on ne pouvoit encore prendre de part ouverte.*

Le prétexte ne tarda pas à se présenter. Hippias, dernier roi d'Athènes, s'étoit retiré à la cour d'Artapherne, frère de Darius et Satrape de Ly die. Les princes, frères de Louis XVI. avoient cherché un refuge à la cour de Coblentz. Aussitôt les Athéniens disent que Darius favorise le tyran; que celui-ci intrigue pour susciter des en nemis à sa patrie. On députe vers Artapherne, on lui signifie qu'il ait à cesser de protéger la cause d'Hippias.-Les François exigent de Léopold qu'il

* On est forcé de concevoir ainsi la chose d'après le récit d'Hérodote, qui se contredit avec les faits qu'il rapporte luimême. Il représente Aristagore à Athènes, vers le commencement de la seconde année de la révolte de l'Ionie, et ajoute qu'il obtint le but de sa négociation; et cependent les Athéniens ne joignirent leur flotte aux Grecs Asiatiques que l'année suivante. D'ailleurs, Plutarque, dans plusieurs endroits de ses ouvrages, et Pla ton dans le troisième livre des Loix, confirment ce que j'avance ici.

« PreviousContinue »