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est le seul qui soit naturel; que conséquemment le contrat social ne peut être que d'une date subséquente:

Ou que; s'il est original :

Les peuples presqu'aussitôt fatigués de leur souveraineté, s'en sont déchargés sur un citoyen courageux ou sage.

D'ici cette immense question:

Comment du gouvernement primitif, en le sup posant monarchique, les hommes sont-ils parvenus à concevoir le phénomène d'une liberté, autre que celle de la nature?

Ou si l'on veut dire que la constitution primitive ait été républicaine :

Par quels degrés l'esprit humain, après des siècles d'observation; après l'expérience des maux qui résultent de tout gouvernement, a-t-il retrouvé la constitution naturelle, depuis si long-temps mise en oubli ?

J'invite les lecteurs à méditer ce grand sujet. Le traiter ici, seroit faire un ouvrage sur un ouvrage, et je n'écris que des essais. Dans les causes du renversement de la monarchie en Grèce, peu de choses conduisent à l'éclaircissement de ces vérités.

CHAPITRE III.

L'Age de la Monarchie en Grèce.

ON ne peut jetter les yeux sur les premiers temps de la Grèce sans frémir. Si l'Age d'Or

coula dans l'Argolide, sous les Pasteurs Inachus et Phoronée; si Cecrops donna des loix pures à l'Attique; si Cadmus introduisit les lettres dans la Béotie; ces jours de bonheur fuirent avec tant de rapidité, qu'ils ont passé pour un songe, chez la postérité malheureuse.

Les Muses ont souvent fait retentir la scène des noms tragiques des Agamemnon, des dipe et des Thésée. Qui de nous ne s'est attendri aux chefs-d'œuvre des Crébillon et des Racine? à la peinture de ces fameux malheurs de rois, nous versions des larmes jadis, comme à des fables; témoins de la catastrophe de Louis XVI et de sa famille; nous pourrons maintenant y pleurer comme à des vérités.

Des massacres, des enlèvemens, des incendies; des peuples entiers forcés à l'émigration par leur misère; d'autres se levant en masse pour envahir leurs voisins; des rois sans autorité, des grands factieux, des nations babares; tel est le tableau que nous présente la Grèce monarchie. Tout-àcoup, sans qu'on en voie de raisons apparentes, des républiques se forment de toutes parts. D'où vient cette transition soudaine? Est-ce l'opinion qui, comme un torrent, renverse subitement le trône? Sont-ce des tyrans qui ont mérité leur sort à force de crimes? Non. Ici on abolit la royauté par estime pour cette royauté même : nul homme, disent les Athéniens, n'étant digne de succéder à Codrus. Là c'est un prince héritier de la couronne qui établit lui-même la constitution populaire.

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Cette révolution singulière, différente dans ses principes de toutes celles que nous connoissons, a été l'écueil de la plupart des écrivains qui ont voulu en rechercher les causes. Mably, effleurant rapidement le sujet, se jette aussitôt dans les constitutions républicaines, sans nous apprendre le secret qui fit trouver ces constitutions. Tàchons, malgré l'obscurité de l'histoire, de faire quelques découvertes dans ce champ nouveau de politique.

CHAPITRE IV.

Causes de la Subversion du Gouvernement Royal chez les Grecs.

LA première raison qu'on entrevoit de la chûte de la monarchie en Grèce, se tire des révolutions qui désolèrent si long-temps ce beau pays. Depuis la prise de Troie, jusqu'à l'extinction de la royauté à Athènes, et même long-temps après, un bouleversement général changea la face de la contrée. Dans ce cahos de choses nouvelles, l'ordre des successions au trône fut violé; les rois perdirent peu-à-peu leur puissance, et les peuples l'idée d'un gouvernement légal. Toutes les hu meurs du corps politique, allumées par la fièvre des révolutions, se trouvoient à ce plus haut point d'énergie, d'où sortent les formes premières et les grandes pensées: le moindre choc dans l'état, étoit alors plus que suffisant pour renverser de

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frêles monarchies, qui pouvoient à peine porter ce

nom.

Nous trouvons dans l'esprit des riches une autre cause non moins frappante de la subversion du gouvernement royal en Grèce. Ceux ci profitant de la confusion générale pour usurper l'autorité, semoient les factions autour des trônes où ils aspiroient. C'est un trait commun à toutes les révolutions dans le sens républicain, qu'elles ont rarement commencé par le peuple. Ce sont toujours les nobles qui, en proportion de leur force et de leurs richesses ont attaqué les premiers la puissance souveraine: soit que le cœur humain s'ouvre plus aisément à l'envie dans les grands que dans les petits; ou qu'il soit plus corrompu dans la première classe que dans la dernière; ou que le partage du pouvoir ne serve qu'à en irriter la soif; soit enfin, que le sort se plaise à aveugler les victimes qu'il a une fois marquées. Qu'arrive. t-il lorsque l'ambition des grands est parvenue à renverser le trône? Que le peuple opprimé par ses nouveaux maîtres, se repent bientôt d'avoir assis une multitude de tyrans à la place d'un roi légitime. Sans égards au prétendu patriotisme dont ces hommes s'étoient couverts, il finit par chasser la faction honteuse; et l'Etat, selon sa position morale, se change en république ou retourne à la monarchie.

Une troisième source de la constitution populaire chez les Grecs, mérite surtout d'être connue, parce qu'elle découle essentiellement de la poli

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tique, et qu'elle n'a pas encore, du moins que je sache, été découverte par les publicistes; je veux dire: l'accroissement du pouvoir des Amphictyons. Cette assemblée fédérative, instituée par le troisième roi d'Athènes, étendit peu-à-peu son autorité sur toute la Grèce. Or, par le principe, il ne peut y avoir deux souverains dans un Etat. Une monarchie n'est plus, là où il y a une con vention souveraine en unité. Que si l'on dit que le conseil Amphictyonique n'avoit que le droit de proposition, et ressembloit dans ses rapports, aux Diètes d'Allemagne; c'est faute d'avoir remarqué: que,

Ce n'étoient pas les envoyés des princes qui composoient l'assemblée, mais les députés des peuples;

Qu'une telle convention étoit propre à faire naître aux nations qu'elle représentoit, l'idée des formes républicaines;

Enfin, que les Amphictyons, favorisés de l'opinion publique, devoient, tôt ou tard, par cet ambitieux esprit de corps, naturel à toute société particulière, s'arroger des droits hors de leur institution; et que conséquemment les monarchies devoient aussi cesser tôt ou tard.t

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* On ignore le temps précis de l'institution de cette assemblée, et l'on varie également sur le nom de son auteur: les uns, tel que Pausanias, le nommant Amphictyon; les autres, tel que Strabon, Acrisius. En suivant l'opinion commune, l'époque en remonteroit vers le 15ème siècle avant notre ère.

† Dans les jngemens que le corps Amphictyonique prononçoit contre tel ou tel peuple, il avoit le droit d'armer toute la

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