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volutions, si on ne gourmande en même temps les vices, qui conduisent au même but, par un autre chemin. Le respect des rois et de la religion, l'amour de la justice, * la vertu de la reconnoissance, formoient le code de la société chez les Egyptiens; et s'ils étoient les plus superstitieux des hommes, ils en étoient aussi les plus innocens.

L'Egypte, de tous les temps, avoit fait un commerce considérable avec les Indes. Ses vaisseaux alloient par les mers de l'Arabie et de la Perse, chercher les épices, l'ivoire, et les soies de ces régions lointaines. Ils s'avançoient jusqu'à la Taprobanne, la Ceylon des modernes. Sur cette côté les Chinois, et les nations situées au-delà du cap Comaria, † apportoient leurs marchandises, à l'époque du retour périodique des flottes Egyptiennes, et recevoient en échange l'or de l'Occident.

Mais, tandisque le peuple étoit livré, par systême, aux plus affreuses ténèbres, les lumières se trouvoient réunies dans la classe des prêtres. Ils reconnoissoient les deux principes de l'univers : la matière et l'esprit. Ils appelloient la première,

* On connoît la coutume des Egyptiens du jugement après la mort, qui s'étendoit jusques sur les rois. Un autre usage, non moins extraordinaire, étoit celui par lequel un débiteur engageoit le corps de son père à son créancier. Ces loix sublimes sont trop fortes pour nos petites nations modernes ; elles nous étonnent, elles nous confondent; nous les admirons, mais nous ne les entendons plus: parce qu'il nous manque la vertu qui en faisoit le secret.

† Comorin.

Athor, et le second, Cneph. Celui-ci, par l'énergie de sa volonté, avoit séparé les élémens confondus, produit tous les corps, tous les effets, en agissant sur la masse inerte. Le mouvement, la chaleur, la vie répandue sur la nature, leur fit imaginer une infinité de moyens, où ils voyoient une multitude d'actions. Ils crurent que des émanations du Grand Etre flottoient dans les espaces, et animoient les diverses parties de l'univers. Ils tenoient l'âme immortelle : et Hérodote prétend que ce furent eux, qui enseignèrent les premiers, ce dogme fondamental de toute moralité. Ils adressoient cette prière au Ciel dans leurs pompes funèbres Soleil! et vous Puissances qui dispensez la vie aux hommes! recevez-moi; et accordezmoi une demeure, parmi les dieux immortels !— D'autres sectes de prêtres enseignoient la doctrine de la transmigration des âmes.

La physique, considérée dans tous les rapports de l'astronomie, la géométrie, la médecine, la chymie, &c. étoit cultivée par les prêtres Egyptiens, avec un succès inconnu aux autres peuples, et surtout aux Grecs au moment de leur révolution. La science sublime des gouvernemens leur étoit aussi révélée. Pythagore, Thalès, Ly. curgue, Solon, sortis de leur école, prouvent également cette vérité.

Les Egyptiens comptèrent des auteurs célébres. Les deux Hermès, le premier, inventeur, le second, restaurateur des arts; Sérapis, qui enseigna à guérir les maux de ses semblables. Leurs livres

ont péri dans les révolutions des empires; mais leurs noms se sont conservés parmi ceux des bienfaiteurs des hommes. Si l'on en croit les alchymistes, la transmutation des métaux fut connue des savans d'Egypte.

Au reste, c'est dans ce pays, dont tout amant des lettres ne doit prononcer le nom qu'avec respect, que nous trouvons les premières bibliothèques. Comme si la nature eût destiné cette contrée à devenir la source des lumières, elle y avoit fait croître exprès le Papyrus, pour y fixer les découvertes fugitives du génie. Malheureusement les signes mystérieux, dans lesquels les prêtres enveloppoient leurs études, ont privé P'univers d'une foule de connoissances précieuses. J'ai un doute à proposer aux savans. Les Egyptiens étoient vraisemblablement Indiens d'origine : la langue philosophique du premier peuple n'étoitelle point la même que la langue Hanscrit des derniers ? Celle-ci est maintenant entendue; ne seroit-il point possible d'expliquer l'autre par son moyen ?

?*

En rangeant sous sa puissance les diverses nations disséminées sur les bords du Nil, Cambyses favorisa la propagation des arts. Jusqu'alors les Egyptiens, jaloux des étrangers, ne les admettoient qu'avec la plus grande répugnance à leurs mystères. Lorsqu'ils furent devenus sujets de la Perse, l'entrée de leur pays s'ouvrit aux amans de

*On devroit écrire Sanscrit, qui est la vraie prononciation.

la philosophie. C'est de ce coin du monde que l'aurore des sciences commença à poindre sur notre horizon; et l'on vit bientôt les lumières s'avancer de l'Egypte vers l'Occident, comme l'astre radieux qui nous vient des mêmes rivages.

CHAPITRE XXIV.

Obstacles qui s'opposèrent à l'Effet de la Révolution Grecque sur l'Egypte. Ressemblance de ce dernier Pays avec l'Italie moderne.

EN considérant attentivement ce tableau, on apperçoit deux grandes causes qui durent amortir l'action de la révolution Grecque sur l'Egypte. La première se tire. de la subdivision régulière des classes de la société. Cette institution donne un tel empire à l'habitude, chez les peuples où elle règne, que leurs mœurs semblent éternelles comme leurs Etats. Envain de telles nations sont subjuguées: elles changent de maître, sans changer de caractère. Elles ne sont pas, il est vrai, totalement à l'abri des mouvemens internes : le génie des hommes, tout affaissé qu'il soit du poids des chaînes, les secoue par intervalles avec violence: comme ces Titans de la fable, qui, bien, qu'ensevelis dans les abymes de l'Etna, se retournent encore quelquefois sous la masse énorme, et ébranlent les fondemens de la terre.

* Comme à la Chine et aux Indes.

Auprès de ce premier obstacle s'en élevoit un second, d'autant plus insurmontable à l'esprit de liberté, qu'il tient à un ressort puissant de notre âme la superstition. Les prêtres avoient trop d'intérêt à dérober la vérité au peuple,* pour ne pas opposer toutes les ressources de leur art à l'influence d'une révolution, qui eût démasqué leur artifice. L'homme n'a qu'un mal réel: la crainte de la mort. Délivrez-le de cette crainte, et vous le rendez libre. Aussi, toutes les religions d'esclaves sont-elles calculées à augmenter cette frayeur. La caste sacerdotale Egyptienne avoit eu soin de s'entourer de mystères redoutables; et de jetter la terreur dans les esprits crédules de la multitude, par les images les plus monstrueuses. C'est ainsi encore, qu'ils appuyoient le trône de toute la force de leur magie; afin de gouverner et le prince, dont ils commandoient le respect au peuple, et le peuple, qu'ils faisoient obéir au prince. Si l'Egypte eût été une puissance indépendante au moment de la révolution Grecque, elle auroit peut-être échappé à son influence. Mais elle ne formoit plus qu'une province de la Perse, et elle se trouva enveloppée dans les malheurs de l'empire, auquel le sort l'avoit asservie..

L'antique royaume des Sésostris offroit alors des rapports frappans avec l'Italie moderne. Gouverné en apparence par des monarques, en réalité par un pontife maître de l'opinion, il se composoit de

*Outre la grande influence qu'ils avoient dans le gouvernement, leurs terres étoient exemptes d'impôts.

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