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La liberté du commerce et de l'industrie proclamée, il s'en forma immédiatement de nouvelles : une à Maubeuge et une à Ferrière-la-Petite de faïences proprement dites (1). Vers la fin de 1790, les nouveaux administrateurs du département du Nord, reçurent du gouvernement l'ordre de procéder à une enquête sur l'état de l'industrie, Des lettres furent adressées à chaque manufacturier avec questionnaire auquel celui-ci devait répondre. Cette enquète témoignait de l'importance que l'on attachait à connaître la situation exacte du pays, au milieu des ruines qui déjà s'accumulaient de toutes parts.

La réponse faite au nom de la Société par M. Lemaire (1) alors directeur, nous paraît de nature à jeter une vive lumière sur la situation, à cette époque, de la manufacture de grès anglais.

A Messieurs les Administrateurs du Département
du Nord.

« Je m'empresse de répondre à la très gracieuse lettre dont vous daignâtes m'honorer le 25 octobre dernier (1790).

Pour rendre ma réponse et plus simple et plus claire, je suivrai pied à pied vos questions, et j'y répondrai le plus succinctement qu'il me sera possible.

Vous demandez, Messieurs,

« 1o La dénomination des ouvrages qui se fabriquent dans notre manufacture.

Grès façon d'Angleterre est leur dénomination générale. Ces grès sont des assiettes de diverses formes et grandeurs. et pour tous les services. Des plats, des soupières, des

(1) Archives du Nord. District. Liasse 218 (bleu) No 3.

tasses, des bols, des pots pour tous les usages, et généralement tous les articles que les anglais fabriquent en ce genre, mais loin d'affecter les formes anglaises, nous prenons plutôt pour modèles celles de la manufacture de Sèvres qui sont beaucoup plus élégantes.

2o La quantité des ouvrages existant en ce moment dans nos magasins.

Nous avons actuellement tant en première qu'en seconde qualité pour environ quarante mille livres tournois mais, outre ces ouvrages finis et prêts à être vendus, il en existe qui exigent encore quelques manipulations ou cuissons, dont nous estimons la valeur à environ quinze mille livres.

« 3o Le nombre d'ouvriers employés dans notre établis

sement.

Nous en employons actuellement cinquante-deux, lesquels sont presque tous habitants et natifs de cette ville, trois seulement sont anglais. Parmi ces ouvriers, quelques uns gagnent régulièrement six livres par jour, quelques autres qui travaillent à la pièce ou à des conditions particulières, gagnent ou peuvent gagner jusqu'à 36 ou 40 livres par semaine.

« 4° Une évaluation exacte du produit annuel des marchandises fabriquées dans notre manufacture.

11 résulte d'après un relevé de nos registres que, depuis le 1er août 1782, époque de l'établissement de la manufacture jusqu'au 31 juillet présente année (1790), ce produit a été année commune, de 53,840 livres, en y comprenant les marchandises finies, actuellement en vente dans nos magasins.

«5° Les noms des lieux et des provinces d'où nous tirons les matières que nous employons.

Nous tirons notre terre principale des carrières de

Belen (terre de l'Empire); notre charbon de Mons; notre terre glaise ou poterie du district de Douai; notre Pierre Cornu (sic) ou Flite, du district d'Arras; notre plâtre, de Montmartre; notre Ceruse et autres différentes matières de Lille ;

« 6o La quantité de nos ouvrages qui se consomment annuellement dans l'étendue du district de Douai.

Je crois qu'année commune, il s'en consomme pour environ douze mille livres.

« La quantité de ceux qui s'exportent année commune hors du district.

L'importance de cette exportation est année commune d'un peu plus de trente-six mille livres.

« 8° Les noms des endroits et des provinces où les marchandises exportées sont envoyées.

Les principaux endroits sont : Paris, Lille, Valenciennes, Cambray, Maubeuge, Avesnes, etc. Nous faisons en outre quelques envois dans les ci-devant provinces de Picardie, de Normandie, de Champagne, et de Franche Comté.

« 9° Nos observations sur l'état actuel de notre fabrique, et sur les causes de la langueur dans laquelle elle peut se trouver.

L'état actuel de notre fabrique est vraiment un état de langueur, et qui approche même de la consomption; mais pour vous donner, Messieurs, une idée exacte des causes qui l'ont amenée à cet état fâcheux, il est nécessaire de remonter à l'époque de notre établissement, et de faire en quelque sorte l'histoire des évènements qui ont contribué à l'affaiblir, et à le rendre enfin presque nul pour la Société, quoiqu'il soit toujours avantageux pour le public. (Suit un exposé que nos lecteurs connaissent déjà, et notamment les conséquences désastreuses du traité de 1787.)

Dans cet état de choses, la Société absolument épuisée de ses premières avances, et ne voulant cependant pas laisser tomber un établissement que le hasard d'un traité tendait à écraser, et qu'un autre hasard ou des circonstances plus heureuses pouvaient relever et faire refleurir, la Société, dis-je, crut devoir profiter du crédit que ses premiers succès lui avaient procuré, pour prendre des capitaux soit en rentes constituées, soit par des obligations à ordre. Elle espérait que le traité de commerce n'aurait pas tenu longtemps, et que, d'ailleurs, elle pourrait toujours y faire face à tout évènement, par la solidité des membres qui la composent par un redoublement d'activité et des ventes plus multipliées.

En effet, elle fit toujours honneur à ses divers engagements, et elle en remplit journalièrement quelques-uns; mais il faut avouer, avec la franchise dont nous faisons profession, que ce n'est pas sans de grands embarras et des moyens très pénibles. En effet, rien n'est plus douloureux que de voir absorber la totalité d'un médiocre bénéfice dans les sommes annuelles que des engagemens contractés dans des temps malheureux, forcent de sortir de notre caisse.

10° Et enfin les moyens que nous croyons devoir proposer pour la rétablir et pour lui donner plus de consistance et plus d'activité.

Ces moyens en eux-mêmes sont simples; le principal consiste dans une fabrication de marchandises assez considérable pour réassortir amplement nos magasins, et nous mettre à même de remplir sur le champ les demandes qui, depuis la fin de 1789, commencent à revenir de toutes parts. Il est constant que depuis que j'ai l'honneur d'avoir la direction des affaires de cette fabrique, les demandes furent assez fortes et multipliées pour que, malgré tous mes soins, je n'aie pas pu parvenir à les remplir toutes, et cela, faute d'assortiment fait d'avance dans nos magasins,

ou plutôt, faute d'une quantité suffisante de bras pour fabriquer à temps les marchandises demandées.

Il est donc évident que pour remonter nos affaires, et les faire refleurir, il faut commencer par remonter nos ateliers, mais pour cela, il est de toute nécessité que nous nous procurions et plus de matières et plus d'ouvriers; or, nous n'obtiendrons jamais ces deux choses sans une somme conséquente, et pour payer les matières et les ouvriers d'augmentation et pour rembourser les capitaux dont les intérêts nous pèsent le plus, et nous mettent dans la gène, et pour nous remettre enfin dans cet état d'aisance. qui seul peut vivifier le commerce, lui procurer de la splendeur et l'y maintenir.

Vous croiriez peut-être, Messieurs que, vu les dépenses précédentes de la Société, ses malheurs et la modicité de son bénéfice actuel, vous croiriez, dis-je, que la somme dont je viens de parler, doit être très forte et surtout audessus des facultés de la Société. Non, Messieurs, et pour fixer vos idées à cet égard, nous vous avouerons qu'il ne s'agirait que d'une somme de soixante mille livres pour remettre absolument nos affaires, et nous tirer de cet état auquel vous daignez vous intéresser.

Vous indiquer des maux que vous aviez soupçonnés et pressentis, c'en est assez, sans doute, Messieurs, pour vous les faire prendre en considération; vous en indiquer en même temps le remède, c'est vous dire que nous osons tout espérer de votre civisme si bien connu, c'est vous dire que nous nous attendons que vous daignerez nous prèter votre organe et votre appui, auprès du département du Nord et de notre auguste Assemblée nationale, pour nous faire obtenir un encouragement proportionné aux besoins que je viens d'avoir l'honneur de vous exposer. »

LEMAIRE,

Directeur de la Manufacture de grés anglais.

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