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CHAPITRE IV.

Histoire de la Manufacture de grès anglais de la rue des Carmes, depuis les lettres patentes de 1784 jusqu'au traité de commerce de 1787 entre l'Angleterre et la France.

Le premier acte d'administration de la Commission exécutive, fùt d'écrire en Angleterre et d'y envoyer des fonds, pour recruter des chefs d'atelier. Lorsque ceux-ci arrivèrent en France, on leur attacha des jeunes gens de la commune, comme apprentis. Ces derniers, instruits par leurs chefs, en prirent plus tard la place, mais ce ne fût qu'à l'aide de nouveaux sacrifices de fonds que les anglais consentirent à se retirer (1). De telle sorte qu'après quelques années, tous les ouvriers de la manufacture étaient français.

Les dépenses des constructions avaient considérablement dépassé les prévisions; indépendamment des apports, la Société avait emprunté du 2 août 1782 au 12 octobre 1784 la somme de 73,625 francs, savoir 26,625 fr. par la constitution de rentes viagères, et 47,000 fr. par mandats. Ces emprunts eux-mêmes devinrent bientôt insuffisants, car il résulte des comptes dressés par les associés, que les frais de premier établissement s'élevaient, dix ans plus tard (1795) à la somme énorme de 217,124 livres.

(1) Archives du Nord. Mémoire à l'appui d'une demande de subside

Après l'obtention du monopole, la Société délégua à MM. Houzé de l'Aulnoit et Picquet, la direction des travaux et des opérations commerciales. A leur entrée en fonctions, ils arrêtèrent la dépense de fabrication, sous la date du 1er octobre 1784, à la somme de 74,636 livres, et la recette provenant des ventes à 60,398 livres, sans compter les marchandises demeurées en magasin.

Ce bilan troubla l'harmonie qui régnait entre les associés anglais et les français. Les premiers soulevèrent de nombreuses réclamations contre le compte de fabrication ; ils prétendirent notamment que les journées des ouvriers travaillant aux gazettes et aux briques battues, et celles du modeleur devaient être soustraites des états d'ouvriers, et supportées par les seuls associés français.

Il leur fût répondu que ce souténement portait avec lui le caractère de l'injustice la plus criante, les frères Leigh partageant à raison d'un tiers, le produit des ventes et des bénéfices de la manufacture, et profitant dans la même proportion du travail de chacun des ouvriers; qu'ils devaient donc nécessairement entrer pour un chiffre identique dans les salaires. Il était en effet démontré péremptoirement par les dispositions du contrat de Société, que toute dépense faite pour la marchandise jusqu'à l'époque de sa vente et de sa sortie, était à la charge commune de tous les associés.

Ce procès qui portait sur plus de 120 articles contestés, eût du moins un bon côté pour l'histoire de l'usine, car il provoqua un excellent mémoire de plus de quarante pages rédigé par M. Houzé de l'Aulnoit et qui donne sur toutes les parties de la fabrication, les détails les plus intéressants.

Le second compte renfermant les opérations comprises entre le 12 octobre 1784 et le 2 mai 1785, présentait une dépense de 27,954 liv. et une recette de 20,757 liv. 12 s.

Les balances commerciales jusqu'à ce jour, accusaient un déficit de 22,000 livres, mais M. Houzé de l'Aulnoit ayant été initié au secret des mélanges et à l'art de fabriquer,

imprima à la marche des affaires une telle impulsion, qu'à partir de ce moment, et avec l'aide de M. Picquet, la face des choses changea complètement.

Le troisième compte arrêté au 8 mai 1786 et comprenant les opérations de l'année 1785-1786, signalait une dépense de 63,057 liv. 11 s. et une recette de 53,039; mais ce déficit était largement compensé par un actif en effets commerciaux, matières premières et marchandises fabriquées, s'élevant à la somme de 36,286 liv. 10 s.

C'est à cette époque que M. Houzé de l'Aulnoit négocia avec la Municipalité de Douai, représentée par MM. Maloteau de Beaumont et Louis Dequersonnière, échevins, un prèt sans intérêts à la Société de 10,000 florins (soit 12,500 francs). Le magistrat de Douai s'était dans cette circonstance inspiré de l'exemple de la Municipalité de Lille qui, en 1784, avait accordé à Leperre Durot, fabricant de porcelaine dure, une somme de 12000 livres tournois, à titre de prêt. Le contrat qui intervint le 13 février 1786, entre la ville de Douai et la Société, stipulait que ladite somme de dix mille florins serait remboursée sans intérêts au trésorier de la ville, en dedans dix années, à raison de mille florins par année.

Cet acte et la délibération des officiers municipaux de Douai du 11 février 1786 annexée, furent approuvés pour ètre exécutés selon leur forme et teneur, le 21 février 1786, par M. Esmangart, Intendant de Flandres et d'Artois (1).

Le quatrième compte arrêté au 30 avril 1787 présentait en dépenses la somme de 66,345 1. 5 s. et en recettes celle de 85,820 1. 6 sous. En outre l'actif commercial en magasin, était de 59,375 1. 12 s. de telle sorte qu'à l'époque du 1er mai 1787, l'état de la manufacture était tellement prospère, qu'il se traduisait par un bénéfice de 78,310 liv. 12 s.

Un fait qui permettra d'apprécier la confiance que notre fabrique inspirait à la fin de 1786, c'est le prix qu'avaient

(1) Archives de Douai (série F, sect. 11, No 2.

atteint les parts d'intérêts. On sait que le premier apport était de 3,250 livres à verser par chacun des associés. Or, il résulte d'une pièce en notre possession, que le 20 octobre 1786, l'un des associés français vendit la moitié de ses droits pour une somme de 12,000 livres. Le texte de l'acte énonce que la cession consiste dans la juste moitié d'une « action dans l'entreprise de la manufacture de grès d'Angleterre, rien réservé ni excepté, avec ses charges et ses profits, pour en jouir dès ce jour. »

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Dans les lettres patentes du 13 janvier 1784, il avait été dit que les associés seraient exempts de tous droits d'impôts sur les bois et charbons tirés de l'étranger, et destinés à la fabrication et à la cuite des faïences; or, malgré la précision de cette clause, on avait rencontré dans l'application de grandes difficultés. Les droits avaient été provisoirement perçus et payés, malgré les réclamations des administrateurs.

La contestation ne reçut une solution définitive que par une décision du Conseil du 15 juillet 1787. Elle est ainsi conçue: La quantité de charbon qui entrera en exemption

de droits, pour alimenter la manufacture de fayance » (sic) établie à Douay, demeurera fixée à sept mille cinq >> cents razières par année, et il sera restitué sur ce pied >> au sieur Houzé de l'Aulnoit, entrepreneur de ladite >> manufacture, les droits perçus sur les charbons qu'il a >> extraits du pays Autrichien, à compter de l'époque de » l'établissement jusqu'à ce jour » (1).

C'est au moment où la manufacture de grès anglais atteignait la plus haute prospérité à laquelle elle soit jamais parvenue, qu'un évènement inattendu vint l'écraser pour de longues années.

Par une clause du traité de 1783, les gouvernements de France et d'Angleterre s'étaient engagés à conclure

(1) Au bas Pour copie conforme,

A Douay, le 23 août 1778.

Signé : Martin.

un traité de commerce. Depuis trois ans, le comte de Vergenes (1) éludait l'exécution de cet article, lorsque tout à coup il en pressa la conclusion, afin d'attacher les intérêts anglais à la conservation de la paix. Le traité fut signé le 26 septembre 1786.

Le succès fût complet, quant au but que nous venons d'indiquer, les intérêts anglais furent conquis à la paix. « Reste à savoir, dit M. Henri Martin, dans son histoire de » France, si les intérêts français raçurent la mème satis» faction >> (2).

Ce traité eût une telle influence non seulement sur le sort de la fabrique de grès, mais encore sur celui des autres fabriques du Royaume, que nous croyons intéresser nos lecteurs, en présentant une courte analyse de ses dispositions principales. Voici le préambule :

TRAITÉ DE 1787 AVEC LA GRANDE BRETAGNE

conclu à Versailles, le 26 septembre 1786.

«S. M. très Chrétienne et S M. Britannique étant également animées du désir non seulement de consolider la bonne harmonie qui subsiste actuellement entre elles, mais aussi d'on étendre les heureux effets sur leurs sujets respectifs, ont pensé que les moyens les plus efficaces pour remplir ces objets, conformément à l'art XVIII du traité de paix signé le 6 septembre 1783, étaient d'adopter un système de commerce, qui eût pour fondement la réciprocité et la convenance mutuelle, et qui, en faisant cesser l'état de prohibition et les droits prohibitifs qui ont existé

(1) Comte de Vergenes, Ministre et secrétaire d'Etat au départem nt des Affaires étrangères, et chef du Conseil Royal des Finances.

(2) Heuri Martin (Histoire de France, tome 16, pag. 565).

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