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conquifes font-elles un avantage proportionné, à moins que par leur force & leur fituation, elles ne ferment totalement l'entrée d'une frontiere, parce qu'alors on peut mettre en ligne de compte ce qu'on gagne à n'être plus expofé aux malheurs d'une invafion.

La prife d'une Ville coûtera quelquefois deux, quatre millions, quelquefois davantage, & fouvent il la faudra rendre. Elle coûtera la vie de braves gens, dont la perte ne fe répare que par les malheurs de nouvelles guerres qui puiffent former des hommes, mais qui fouvent n'en forment point comme nous aurons bientôt occafion de le dire.

Quoique la valeur de ces objets foit en elle-même toujours égale, elle eft mife hors du compte par le calcul politique, quand il s'agit de guerres néceffaires, parce que le Souverain fe mettant un moment en la place de fes fujets, fent qu'ils doivent leurs vies & leurs bourfes à la confervation & aux intérêts néceffaires de leur patrie; enforte qu'il n'exige, d'eux que la preftation d'un devoir auquel ils fe porteroient d'eux-mêmes avec d'autant plus de zele, qu'ils le feroient par principe.

Il ne faudroit plus, pour achever de profcrire ce funefte droit de convenance, que jetter les yeux fur ce qui refte de la mémoire de ces conquérans avides. Les annales publiques n'ont confervé que le récit des faits militaires qui, dans le vrai, fait quelquefois moins leur éloge que celui des coopérateurs de leurs exploits. Que de voix fe réuniroient contre leur prétendue gloire, fi l'hiftoire avoit pu conferver les gémiffemens des peuples & les images des miferes occafionnées par ce genre de guerre! Il ne refteroit, à ces conquérans, que le démérite du projet. Chacun fait d'après Cicéron, parlant à Céfar, que les fuccès appartiennent à la fortune.

Enfin le droit de Convenance n'eft ordinairement que le prétexte d'un fol amour de la gloire, d'une ambition effrénée, paffions dangereufes qui ne raisonnent point, ivreffes fougueufes que les fuccès heureux ne font qu'augmenter, que les mauvais ne corrigent pas toujours, parce que l'homme efpere toujours plus aifément qu'il ne défefpere, & que, par conféquent, les moindres occafions réveillent & raniment. C'eft principalement à cette efpece d'égarement qu'eft appliquable ce vers ancien fi connu :

Quidquid delirant Reges plectuntur Achivi.

Mais le mal ne porte pas fur les feuls fujets. Toute la fociété publique en eft ébranlée, toutes les nations en font en commotion; chacun s'arme & fe précautionne contre un pareil fléau, fans pouvoir même jouir de la tranquillité que, dans d'autres fituations, procurent ordinairement des précautions bien prifes, parce qu'on ne les peut jamais prendre avec une entiere précifion contre des mouvemens défordonnés & arbitraires, & dont le moment de l'éclat & le degré d'impulfion font également inconnus. L'efprit des maximes politiques, par PECQUET.

CONVENTION, f. f. Confentement ou accord mutuel de deux ou plufieurs perfonnes pour former entre elles un engagement quelconque. ON diftinguoit chez les Romains deux fortes de Conventions; savoir,

les pactes & les contrats proprement dits.

Les pactes étoient de fimples Conventions qui n'avoient point de nom propre ni de caufe, de forte qu'elles ne produifoient qu'une obligation naturelle qui n'engendroit point d'action, mais feulement une exception, aulieu que les contrats, proprement dits, étoient ceux qui avoient un nom propre, ou du moins une caufe; car il y avoit des contrats innommés, ainsi que nous l'avons dit ci-devant au mot CONTRAT; & ces Conventions produifoient une obligation civile, & celle-ci une action.

Les ftipulations étoient des contrats nommés, qui fe formoient verbalement & fans écrit par l'interrogation que faifoit l'un des contractans à l'autre, s'il vouloit s'obliger de faire ou donner quelque chofe, & par la réponse de l'autre contractant, qui promettoit de faire ou donner ce que l'autre lui demandoit.

L'ufage des Conventions eft une fuite de l'ordre de la fociété ; c'eft le moyen le plus propre pour fe communiquer réciproquement les différens fecours qui nous font néceffaires. Il eft vrai que la loi de la bénéficence engage les hommes à fe rendre dans le befoin des fervices mutuels; mais, outre que tout le monde n'a pas le cœur affez bien fait pour faire du bien par principe de générofité, il arrive fouvent qu'on n'eft pas en état de donner fans intérêt, & les Conventions pourvoient à ces inconvéniens.

D'ailleurs, ce en quoi les autres peuvent nous accommoder, eft souvent de telle nature, qu'on n'oferoit l'exiger d'eux en pur don. Quelquefois auffi le caractere ou la condition d'une perfonne, ne lui permettent pas d'avoir obligation à d'autres pour les chofes dont elle a befoin de leur part; outre que fouvent ils ne favent pas même en quoi ils peuvent nous être utiles. Pour rendre donc plus fréquent, & en même-temps plus régulier, ce commerce de fervices qui fait le lien & l'agrément de la fociété, il étoit néceffaire que les hommes traitaffent ensemble, au sujet des chofes qu'ils ne pouvoient pas toujours fe promettre certainement les uns des autres, par un fimple effet des impreffions que les loix de l'humanité, font ou peuvent faire fur les cœurs. Ainfi pour l'ufage de leur induftrie & de leur travail, les hommes s'affocient, fe louent, & agiffent différemment les uns pour les autres. Ainfi, pour l'ufage des chofes, lorfqu'ils ont besoin de les acquérir ou de s'en défaire, ils en font commerce par des ventes & par des échanges; & lorfqu'ils n'ont befoin de les avoir que pour un temps, ils les louent ou les empruntent; & felon leurs divers befoins, ils font différentes fortes de Conventions.

L'ufage donc des Conventions étoit néceffaire à plusieurs égards. 1o. Pour produire de nouvelles obligations entre les hommes; 2°. pour rendre parfaites des obligations qui n'étoient qu'imparfaites; 3°. pour éteindre des obligations où l'on étoit entré, comme quand un créancier déclare qu'il tient quitte fon débiteur; 4°. enfin pour remettre en force & en vigueur des obligations interrompues, ou même entiérement éteintes. Cela fe voit dans les traités de paix par lefquels une guerre eft terminée. Voyez TRAITÉ. Mais afin que les Conventions produifent les avantages dont nous avons parlé, il eft abfolument néceffaire que les hommes foient fideles à leurs engagemens. C'eft donc une loi du droit naturel, que chacun tienne inviolablement fa parole, ou qu'il effectue ce à quoi il s'eft engagé. La néceffité & la juftice de cette loi eft manifefte. Anéantiffez la fidélité dans les Conventions, & il n'y aura plus ce commerce de fervices, fur lequel roule la vie humaine; toute confiance s'évanouira, & l'on fera forcé d'avoir recours à la violence pour se faire rendre juftice. L'égalité naturelle & l'obligation de ne faire du mal à perfonne, prouvent encore la néceffité de ce devoir. Enfin la pratique en eft d'une néceffité fi preffante pour le bonheur des hommes, que l'obligation qui en réfulte eft une obligation parfaite & rigoureufe; enforte que l'on peut employer la contrainte ou l'autorité d'un fupérieur commun, pour en obtenir l'exécution.

On peut faire plufieurs divifions des Conventions.

1o. Elles font ou obligatoires d'un feul côté, ou obligatoires des deux côtés. Les premieres, Pada unilateralia, font celles par lefquelles une perfonne s'engage à quelque chofe envers une autre, fans que celle-ci s'engage elle-même. Telles font les promeffes gratuites, voyez PROMESSE. Les fecondes, Pada bilateralia, font, au contraire, celles par lesquelles deux ou plufieurs perfonnes s'engagent réciproquement à faire quelque chofe les unes pour les autres; c'eft ce qu'on appelle proprement Conventions. 2o. Il y a des Conventions réelles & des Conventions perfonnelles. Les Conventions réelles font celles qui paffent aux héritiers des contractans; les Conventions perfonnelles font, au contraire, celles qui n'obligent que les perfonnes même qui les ont faites: 39. enfin, il y a des Conventions expreffes, & des Conventions tacites, comme nous l'expliquerons dans la fuite.

La nature de toute Convention, en général, confifte dans le confentement réciproque des parties; voyons donc quelle doit être la nature du confentement, & quelles conditions il doit avoir, afin qu'il foit véritablement obligatoire.

Le confentement néceffaire dans les Conventions fuppose, 1o. l'usage de la raison; 2°. qu'il foit déclaré convenablement; 3. qu'il foit exempt d'erreur; 4°. exempt de dol; 5°. accompagné d'une entiere liberté; 6°. qu'il n'y ait rien de contraire à la difpofition des loix; 7°. & enfin qu'il soit réciproque.

1o. Les Conventions supposent l'usage de la raison; car les Conventions

étant établies pour fatisfaire à nos befoins, cela fuppofe néceffairement que les contractans connoiffent ce qu'ils font, & qu'ils ont examiné la chofe à laquelle ils s'engagent, ce qui demande l'ufage de la raifon. C'est pourquoi les promeffes & les Conventions des enfans, des jeunes gens, des imbécilles, des infenfés, ou de ceux à qui le vin a entiérement ôté l'usage de la raison, font nulles par elles-mêmes. Cependant, comme ces perfonnes ne fauroient absolument fe paffer de toute Convention, le droit naturel exige qu'on leur donne des gouverneurs qui, non-feulement prennent foin de leurs perfonnes, mais encore fous l'autorité defquels ils puiffent s'engager valablement. C'est auffi à quoi les loix civiles ont pourvu par l'établissement des tuteurs & des curateurs; & il eft aifé de fentir la fageffe & la néceffité de cet établissement.

2o. Il faut enfuite que le confentement & l'intention des contractans leur foit réciproquement connue, & pour cet effet qu'elle leur foit convenablement déclarée. Le confentement peut fe déclarer, ou d'une maniere expreffe & formelle, ou d'une maniere tacite & conjecturale. Le confentement exprès & formel eft celui qui fe déclare par les fignes dont les hommes fe fervent communément pour cela, comme font les paroles les écrits, &c. Le confentement tacite réfulte proprement de certaines chofes qui paroiffent faites ou omifes, de propos délibéré, quoique par ellesmêmes elles ne tendent pas directement à marquer une approbation précise de la chose dont il s'agit. Les circonftances donnent alors lieu de préfumer raisonnablement la volonté de celui qui les connoiffoit & qui savoit auffi les conféquences que les intéreffés en pouvoient tirer.

Mais il y a une autre forte de confentement, que les Jurifconfultes Romains ou leurs interpretes, appellent quelquefois tacite ou préfumé, quoiqu'il foit purement feint, comme ils le reconnoiffent & le qualifient fou vent. Celui-ci confifte en ce que, quoiqu'une perfonne ne pense point du tout, & ne puiffe même penfer à l'engagement, parce qu'elle ignore ce fur quoi il eft fondé, on ne laiffe pas de fuppofer qu'elle y acquiefce; parce qu'on préfume que fi elle avoit connoiffance de la chofe, elle y confentiroit volontiers, ou du moins elle le devroit, felon les maximes de l'équité naturelle; ou parce que les loix ont jugé à propos, pour l'utilité publique, de fuppofer que chacun s'eft engagé à faire ou fouffrir telle ou telle chofe, & d'autorifer à l'y contraindre comme s'il l'avoit promis véritablement. On auroit pu quelquefois, à la vérité, fans un tel détour fonder l'obligation fur des principes plus propres & plus fimples; mais pourvu qu'au fond elle n'ait rien que de jufte, il ne faut pas trop blâmer les Jurifconfultes Romains de ce qu'ils ont eu recours à la fiction ici, & fur d'autres fujets : foit qu'ils ne viffent pas toujours le fondement le plus naturel de la décifion des cas à examiner, foit qu'ils fuffent réduits à la néceffité d'ufer de circuit, pour éluder certaines regles établies dont ils n'ofoient le départir ouvertement.

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3°. Une troifieme condition néceffaire au confentement, c'eft que l'on ait les connoiffances néceffaires dans l'affaire dont il s'agit, ou qu'il foit exempt d'erreur. Il y a de l'erreur dans les Conventions, lorfque l'un des contractans, ou même tous les deux, ne connoiffent pas l'état des chofes, ou que cet état eft tout autre qu'ils ne le fuppofent. Dans ces circonftances, le confentement n'eft pas donné d'une maniere abfolue, mais conditionnelle; & cette condition ne fe vérifiant point, on peut dire qu'on n'a point confenti, & par conféquent, qu'on n'eft point obligé. Voyez ERREUR.

4°. Non-feulement le confentement doit être exempt d'erreur, mais encore de dol. Par le dol, on entend toute forte de furprise, de fraude de finesse, ou de diffimulation; en un mot, toute mauvaise voie directe ou indirecte, pofitive ou négative, par laquelle on trompe quelqu'un malicieusement. Voyez DOL.

5°. Le confentement fuppofe encore une entiere liberté; par conféquent, la contrainte ou la violence rend nul un engagement. Il y en a deux raifons la premiere, c'eft que les Conventions font, en elles-mêmes, des chofes tout-à-fait indifférentes, & auxquelles on n'eft obligé de fe déterminer qu'autant qu'on le trouve à propos. D'où il s'enfuit qu'une Convention extorquée eft nulle par elle-même. Dans ces circonftances, celui qui donne fon confentement n'a point une intention férieufe de s'obliger, s'il ne confent que pour fe tirer d'affaires.

La feconde raifon, & qui fortifie beaucoup la premiere, fe tire de l'incapacité où eft l'auteur de la violence d'acquérir quelque droit en vertu de fon injustice.

En effet, on ne fauroit concevoir une obligation, fans un droit qui y réponde. On ne doit rien, tant que perfonne ne peut légitimement nous rien demander; ainfi ce n'est pas affez que l'on faffe de fon côté ce qui eft néceffaire pour s'impofer, à foi-même, une obligation, il faut encore que l'autre contractant ait les qualités requifes, pour acquérir, par-là, un vrai droit. Lors donc que la crainte qui nous porte à promettre ou à traiter, fuppofe dans celui de qui elle vient, un défaut qui le rend incapable d'acquérir aucun droit par rapport à nous, elle empêche l'effet de l'obligation qui auroit réfulté d'ailleurs des fignes extérieurs de confentement que l'on a été contraint de donner. Or ce défaut, c'eft l'injure ou l'injuftice, qui certainement ne fauroit produire ni directement, ni indirectela chose du monde qui lui eft la plus oppofée. Car la loi naturelle défendant formellement toute violence dans les Conventions, comment feroit-il poffible qu'elle donnât droit d'exiger l'accompliffement d'une Convention qui auroit pour principe une injure ou une injustice? ce feroit tout manifeftement autorifer le brigandage.

Quid fi me tonfor, cùm firica novacula fupra eft,
Tunc libertatem divitiafque roget,

Tome XIV.

V

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