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sachant lire. Pourquoi y en a-t-il si peu qui lisent passablement ? C'est que, dans les établissements chargés de former des professeurs, on ne s'occupe nullement de la lecture à haute voix. On y enseigne tout uniment à lire par les yeux et pour soi-même. Ce n'est donc pas aux professeurs qu'il faut s'en prendre du triste état dans lequel se trouve l'art de la lecture à haute voix, mais bien à l'abandon dans lequel l'ont laissé jusqu'à ce jour l'Université et les autres corps enseignants.

C'est dans l'espoir de faciliter ces études que j'ai livré à l'impression ces discours, composés pour un cours théorique sur l'art de manier la parole (1). Je les ai réunis sous le titre de Manuel de l'orateur et du lecteur (2).

Ce manuel traite de tout ce qui a rapport à la mise en action de la parole:

1° Du son; de sa formation et de sa division;

2o Des lettres consonnes; comment il faut placer les organes pour les former;

3o Des vices d'articulation et des moyens de les faire disparaître;

4o Des accents de province et particulièrement de celui du midi;

5o De l'oreille; comment il faut phraser pour plaire à cet organe. Méthode nouvelle qui conserve à la pensée toute sa netteté et toute sa puissance;

6o Des poumons; comment il faut respirer pour répa

(1) Ce cours a été fait à l'Athénée royal.

(2) Cet ouvrage n'aurait peut-être pas encore vu le jour, si M. le supérieur du petit séminaire de Versailles ne m'eût engagé à le faire imprimer, et n'eût surtout souscrit pour tous ses élèves. Commencé le 5 juillet 1841, il a été terminé le 30, afin de pouvoir le livrer aux élèves qui allaient en vacances le 1er août.

rer et multiplier en quelque sorte les ressources de cet organe;

7o Du corps et de la physionomie; ce qu'il faut faire pour donner de l'à-plomb à son corps, de la grâce à ses gestes, et de la noblesse à sa physionomie ;

8° De l'intelligence; comment il faut étudier les pensées pour leur donner l'expression qui leur convient. 9o Du geste appliqué aux pensées.

Comme la prononciation est la base de la lecture à haute voix, cet ouvrage convient à toutes les professions. Les jeunes enfants même peuvent en retirer de grands avantages. Car, d'un côté, si leur intelligence ne conçoit qu'imparfaitement les nuances d'une pensée, de l'autre, leur voix, étant plus flexible, se plie facilement à toutes les modifications des sons. En peu de temps leur prononciation devient exacte, nette et régulière; leur oreille, cet organe si difficile à satisfaire, s'accoutume à saisir sans peine, sans étude, les grâces de la diction. « Les en«<fants bien dirigés n'anéantiront plus sans pitié, dit en<< core M. Taillefer, la mélodie et les accents délicieux de <«< ces maîtres de la poésie et de l'éloquence, de ces mo<< dèles de la chaire et de la tribune, dont les beautés << doivent leur être familières. »

Il est peut-être encore plus urgent d'introduire dans les établissements de demoiselles les fondements d'une bonne prononciation et d'une bonne lecture. En effet, les demoiselles ne sont-elles pás appelées à devenir mères, et comme telles à diriger l'enfance? «C'est du soin que les mères prennent à former nos premiers sons que dépend pour nous une bonne ou une mauvaise prononciation, >> dit Quintilien. On ne saurait donc trop développer tout ce qui peut contribuer à donner aux demoiselles une prononciation exacte, et surtout trop recommander aux dames religieuses et aux maîtresses de

pension de s'occuper sérieusement de cette partie si importante de l'instruction. Quand elles le voudront, on verra disparaître tous les accents vicieux, qui existent encore dans la province et qui nuisent tant à la lecture à haute voix.!

Les gravures indiquant les différentes positions de la bouche dans la formation des sons et dans l'articulation des consonnes, les aideront à rectifier les vices d'articulation et à rendre la prononciation juste.

Les petites figures que nous avons jointes et qui représentent les pensées les plus saillantes des morceaux analysés dans ce Manuel, seront d'un grand secours aux élèves. 1o Elles leur faciliteront l'étude de ces pensées; 2o elles les habitueront à voir autre chose que des mots dans nos beaux morceaux de littérature, et lorsqu'ils voudront ensuite s'exercer sur d'autres pièces de poésie, ils ne se contenteront plus de faire du bruit en les disant; ils voudront voir les pensées qu'elles renferment et les mettre en action. Cette innovation, je l'espère, contribuera à rendre la récitation plus intelligente et mieux accentuée.

DE

L'ORATEUR ET DU LECTEUR.

PREMIER DISCOURS.

Pourquoi la lecture à haute voix est-elle négligée ?

Messieurs,

En venant vous exposer et vous développer les différentes manières de modifier la voix pour donner à une lecture ou au débit d'un morceau de la variété et de l'expression, je n'ai point la prétention de m'ériger en maître. Je vous prie donc de ne voir en moi qu'un artiste excité par le seul désir de propager un art trop négligé, et cependant si digne de fixer l'attention.

Et en effet, messieurs, qu'y a-t-il que nous devions cultiver avec plus de soin que la parole, puisque c'est elle qui nous facilite les moyens de développer toutes les ressources de notre intelligence? Qui pourrait mettre en doute que l'homme, dépourvu de cet organe, cût pu jamais former de sociétés? C'est en vain qu'il eût cu recours à ses mains et à ses yeux, interprètes trop imparfaits et trop insuffisants pour rendre toutes les variétés des sensations de son âme. Si la parole est le lien qui réunit les hommes, si elle devient plus importante lorsque leurs connaissances s'étendent, d'où vient que, chez un peuple aussi avancé dans les sciences et dans les arts que le peuple français, elle est entièrement négligée ?

Un préjugé, oui, messieurs, un simple préjugé, malheureusement trop répandu, est la seule cause qui s'oppose à son développement. N'entendez-vous pas répéter tous les jours qu'il faut lire comme l'on parle, c'est-àdire naturellement? Cette proposition, qui, au premier abord, semble de la plus grande vérité, est cependant on ne peut plus fausse. Qu'est-ce qu'on entend par lire ou dire naturellement ? est-ce lire comme tout le monde parle? car enfin tout le monde parle naturellement. Si c'est là le sens qu'on attache à ces expressions, d'où vient qu'il y a si peu de personnes qui excitent l'intérêt lorsqu'elles lisent ou qu'elles parlent ? C'est qu'il est aussi difficile de bien parler devant un auditoire que de bien peindre, de bien sculpter ou de bien écrire. Voulez-vous des preuves certaines de ce que j'avance? Parcourez nos assemblées législatives, nos académies savantes; partout vous verrez combien le nombre des personnes qui lisent passablement est petit, tandis que tous les membres de ces assemblées et de ces sociétés écrivent parfaitement le français. D'où vient qu'ils savent si bien écrire et qu'ils réussissent si mal à parler en public ? C'est qu'ils ont appris l'un et qu'ils ignorent entièrement l'autre.

L'art existe partout où l'un secoue le joug des règles, et l'autre s'y soumet; partout où celui qui a appris fait mieux que celui qui ne sait rien. Or, dans la lecture à haute voix, non-seulement l'homme instruit l'emportera sur l'ignorant, mais encore celui qui s'en sera le plus occupé surpassera celui qui n'en aura fait qu'une étude imparfaite. Sans doute l'art ne peut rien sans le secours de la nature, tandis que la nature sans l'art est encore quelque chose; mais je soutiens et je prouverai que ceux chez qui la nature est développée par l'art, devront plus à l'art qu'à la nature. La nature, c'est la matière; l'art,

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