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c'est la science celle-ci crée; l'autre est créée; la matière même sans art est précieuse; mais la matière fertilisée par l'art est, sans contredit, préférable à la plus riche matière. Eh bien! quelle est la matière principale de la lecture ou de la déclamation? La voix. Qu'est-ce qui donne de la vie à la voix ? La prononciation. Elle communique une force, une vertu merveilleuse au discours. Ce qui importe, ce n'est pas tant le mérite intrinsèque d'une composition, que la manière dont elle est prononcée, puisqu'on ne peut être affecté qu'en raison de ce qu'on entend. Je ne crains pas de l'affirmer, une œuvre mème médiocre, relevée par les prestiges du débit, produira plus d'effet que le meilleur ouvrage qui en sera dénué. Aussi, le prince des orateurs, Démosthènes, interrogé sur ce qu'on devait mettre en première ligne dans l'art de la parole, donne-t-il la palme à la prononciation; et, comme on le pressait de dire à quoi il assignait le second rang, puis le troisième, il nomme toujours la prononciation; d'où l'on peut conclure qu'il la jugeait non-seulement la qualité principale, mais encore la seule qui fasse l'orateur.

C'est une erreur de croire qu'il n'y ait point de règles pour la prononciation; elles sont les mêmes que celles du discours écrit. Ainsi que lui elle doit être correcte, claire, élégante et adaptée au sujet. Elle sera correcte, si l'accent est facile, net, doux et poli. Deux choses concourent à rendre la prononciation claire : la première, c'est d'articuler nettement toutes les syllabes; la seconde, c'est de donner à chacune la valeur qui lui convient.

S'il est vrai, comme je viens de le dire, que la prononciation soit tout, on conviendra qu'il est nécessaire d'être dirigé par une oreille exercée, qui nous familiarise avec une bonne articulation, et nous aplanisse ainsi

toutes les difficultés, en nous empèchant de perdre en recherches un temps que nous pourrions employer plus utilement.

DEUXIÈME DISCOURS.

De la voix instrumentale.

Messieurs,

C'est par la voix que nous communiquons et que nous développons le plus souvent aux autres, soit les impressions que nous éprouvons, soit les situations dans lesquelles nous nous sommes trouvés. Sans vouloir approfondir les causes de la formation de la voix, je dirai que pour moi elle est tantôt voix naturelle et tantôt voix instrumentale; naturelle, lorsqu'elle est l'interprète des différentes sensations que nous éprouvons; et instrumentale, lorsqu'elle nous sert à rendre les pensées des autres, ou les nôtres, lorsque nous ne sommes plus sous leur influence. Dans le premier cas, il nous est impossible de nous en rendre maître, puisqu'il faut qu'elle obéisse à l'impulsion qui lui est donnée par la nature. Qui pourrait en effet diriger les cris d'une mère qui voit son fils tomber sous les coups d'un assassin, ou ceux d'une fille qui dispute à des bourreaux la tête de son père? La nature est sublime dans ces grands mouvements, où elle est toute en action. Eh bien ! c'est à cette sublimité que l'on doit tâcher d'arriver par l'imitation. Si l'on ne parlait que quand on est sous l'influence d'une violente passion, on n'aurait pas besoin de s'occuper de la voix, qui serait toujours bien, parce qu'elle se;

rait le cri de la nature. Cette première partie de la voix étant au-dessus de l'intelligence humaine, je ne m'y arrêterai pas davantage.

Passons donc à la voix instrumentale, qui nous sert pour imiter les différentes situations de l'âme ou les fictions de l'imagination.

En effet, messieurs, si ce n'était point un instrument, rien ne serait plus ordinaire que de rencontrer des personnes sachant parfaitement lire ou dire; il suffirait de comprendre un passage pour le bien interpréter; les auteurs liraient leurs ouvrages dans la perfection : cependant il n'en est point ainsi; la plupart les lisent même fort mal.

Mais d'où vient qu'un auteur ne peut pas bien lire ce qu'il a conçu et écrit? En voici la raison qui est trèssimple c'est qu'il devient lecteur. Ah! si, dans le moment où il était sous l'influence de ses nobles pensées, il vous les eût communiquées, nul doute qu'il n'eût été sublime! Alors il eût été lui sa voix eût été un organe parfaitement en rapport avec ses pensées; car elle eût été une des parties du grand tout. Mais, lorsqu'il lit son ouvrage, il n'est plus lui, il est lecteur, et par conséquent se trouve soumis à toutes les règles qu'impose le débit. Il est donc impossible de pouvoir bien lire, même ses ouvrages, si l'on ne connaît parfaitement l'instrument chargé de traduire nos pensées, lorsque nous ne sommes plus sous leurs influences, ou celles des autres, quand nous voulons les imiter.

En considérant la voix comme un instrument, mon intention est de détruire encore un autre préjugé, qui tend à faire croire qu'une personne ne peut dire ou lire que tel ou tel morceau, parce que sa voix n'est convenable qu'à un seul genre. Je ne crains pas de l'avancer, un diseur ou un lecteur n'est pas autre chose qu'un instrumentateur, qui doit jouer indistinctement tel ou tel morceau,

peu lui importe. Ainsi, messieurs, lorsque je dis même de la poésie, je ne me sers que de la voix instrumentale.

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Les savants qui ont cherché à faire connaître les causes de la formation de la voix ne sont point encore d'accord. Parmi différentes opinions qu'ils ont émises, j'ai adopté la suivante, qui justifie la proposition que j'ai avancée. Ce sont les poumons qui reçoivent et poussent l'air nécessaire pour former le son. Cet air, après avoir passé par la trachée-artère, vient frapper le larynx, où il se trouve retenu par la glotte, qui n'en laisse sortir que la quantité suffisante à la formation du son, arrive enfin dans la bouche où il reçoit toutes sortes de modifications. On peut donc comparer ces différents organes qui produisent la voix à un instrument à vent, tel que la clarinette, qui, lorsque son embouchure est serrée par les dents et les lèvres, rend des sons plus ou moins forts, que les doigts modifient en changeant de position. Ainsi la glotte, en laissant sortir peu ou beaucoup de son, selon qu'il est nécessaire, remplit le même office que les lèvres et les dents placées sur l'anche de l'embouchure de la clarinette, et la langue et les lèvres, en changeant de position, varient les sons à l'infini, ainsi que le font les doigts sur le corps de l'instrument.

Dans les deux instruments, le son n'est rien par luimême. En effet, messieurs, que l'on souffle fortement dans une clarinette, en laissant tous les trous ou

verts, le son qui en sortira sera sans aucune expression: eh bien ! il en est de même pour la voix. Si l'on comprime l'air dans les poumons, et qu'on le chasse fortement en ouvrant la bouche, le son qui ébranlera l'air ne produira également aucun effet. Il est donc de la plus grande évidence que, dans l'un et l'autre instrument, les sons n'ont de valeur que celle qu'ils reçoivent des organes chargés de les former et de les moduler.

Si la voix est un instrument, on conviendra sans peine que l'on peut apprendre à s'en servir. Mais comment procéder pour arriver à un résultat certain? C'est ici, messieurs, que ma tâche commence à devenir vraiment difficile; car je n'ai pu être dirigé dans mes recherches que par de légères indications; aussi, n'est-ce qu'en hésitant que je viens vous soumettre mes observations.

Jusqu'à ce moment, un seul homme, que je sache, eût été vraiment capable d'écrire un traité qui eût établi sur des bases solides la langue parlée : c'est Molière. Lorsque j'ai voulu procéder avec méthode et connaître les bases du beau langage, je n'ai pas hésité un seul instant à le prendre pour guide et à marcher avec assurance dans la route ouverte par ce puissant génie. Aussi, messieurs, mon point de départ a-t-il été la leçon de déclamation que donne le maître de philosophie dans le Bourgeois gentilhomme; tout en tournant en ridicule le pédantisme, Molière y donne une bonne leçon de prononciation. Plus j'ai réfléchi sur cette scène, plus j'ai acquis la certitude qu'il était impossible d'avoir une prononciation juste, si l'on ne connaissait pas les positions de la bouche dans la formation des sons de la langue française. Je me suis donc occupé de ces positions. J'ai vu que pour faire chaque son la bouche prenait une position tellement bien déterminée, qu'il était impossible de la modifier sans qu'il en soit altéré; que cette

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