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Suffira-t-il d'avoir une prononciation exacte pour dire ou lire tous les genres de poésie. Non. Il faudra encore connaître les différentes qualités de sons qui composent la voix. Dans la voix il y a trois sons bien distincts: le commun, le soutenu et le poétique. Le commun s'emploie dans les choses ordinaires, le soutenu dans les grandes passions, et le poétique dans les sentiments doux et les rêveries de l'imagination. Le premier a beaucoup de laisser aller; le second est sonore et fortement articulé; et le troisième est toujours suave. Il est impossible de les confondre et de les employer indistinctement. Ainsi une fable perdrait tout son naturel si, pour la dire, on se servait du son tragique ou poétique; une scène de tragédie serait triviale dite avec le son commun, et elle deviendrait monotone récitée avec le son poétique; et un morceau de pure poésie serait dépourvu de tout charme si l'on voulait le rendre seulement avec le son soutenu, et il serait insupportable dit avec le son commun. Il suffira de citer trois exemples pour prouver ce que j'avance. Je les prendrai dans le Singe qui montre la Lanterne magique, la première scène d'Athalie et la Prière de La Martine.

Un homme, qui montrait la lanterne magique,
Avait un singe dont les tours

Attiraient chez lui grand concours.

Jacquot (c'était son nom), sur la corde élastique
Dansait et voltigeait au mieux;

Puis faisait le saut périlleux;

Et puis sur un cordon, sans que rien le soutienne,
Le corps droit, fixe, d'à plomb,

Notre Jacquot fait tout du long
L'exercice à la prussienne.

L'impie Achab détruit, et de son sang trempé
Le champ que par le meurtre il avait usurpé;
Près de ce champ fatal Jézabel immolée;
Sous les pieds des chevaux cette reine foulée;
Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,
Et de son corps hideux les membres déchirés;
Des prophètes menteurs la troupe confondue,
Et la flamme du ciel sur l'autel descendue.

J

Et quand la nuit guidant son cortège d'étoiles
Sur le monde endormi jette ses sombres voiles,
Seul au sein du désert et de l'obscurité,
Méditant de la nuit la douce majesté,
Enveloppé de calme et d'ombre et de silence,
Mon âme de plus près adore ta présence,
D'un jour intérieur je me sens éclairer,
Et j'entends une voix qui me dit d'espérer.

Nous le demandons, pourra-t-on employer la même qualité de sons pour dire ces trois passages. Non, certainement. Puisqu'il est impossible de les dire avec le même son, sans les dénaturer entièrement, on conviendra avec nous qu'il y a vraiment trois sons dans la voix. Se rencontrent-ils quelquefois dans la même pièce? Certainement, et même il est rare qu'ils ne s'y trouvent pas tous; seulement il y en a toujours deux qui ne sont qu'accessoires. Ainsi, si le genre qui domine dans un morceau est le commun, le soutenu et le poétique ne viendront que pour mettre plus de variété dans le débit. Il en sera de même pour les deux autres genres. La valeur des syllabes est-elle la même dans tous les morceaux? Oui. Une syllabe longue reste toujours longue et une brève toujours brève. Rien n'est changé quant à la quantité.

CINQUIEME DISCOURS.

Des vices d'articulation et des accents de province.

C'est à tort que l'on dit que telle personne qui grasseye en parlant ou qui fait des zeze (nous nous servons de cette expression triviale faute d'une autre plus grammaticale)'a un vice de prononciation; l'on confond les termes. Il suffira de faire connaître la différence qui existe entre prononcer et articuler pour que l'équivoque cesse. Prononcer veut dire non-seulement articuler une consonne, mais encore émettre le son qui se trouve dans une syllabe en lui donnant sa sonorité et sa longueur. Ainsi le mot homme sera mal prononcé si l'on entend au lieu de o le son ou et que l'on dise un houme. Tout ici est changé, et valeur du son et longueur de syllabe: dans le mot homme le son de l'o est sonore et très-bref, tandis qu'il est sourd et très-long dans le mot houme.

Articuler veut dire émettre un son au moyen d'une position prise par la langue ou les lèvres pour faire une

consonne.

Une personne peut avoir un vice d'articulation et ne pas mal prononcer. Par exemple, elle peut grasseyer et avoir malgré cela un son juste. Nous croyons ces quelques mots suffisants pour convaincre que c'est à tort que l'on dit vices de prononciation, surtout quand il ne s'agit que de quelques articulations mal faites.

Vices d'articulation.

Nous ne nous occuperons ici que des principaux qui sont le sifflement, le zeze, le bredouillement et le gras

seyement. Ces vices d'articulation sont-ils naturels aux sujets qui en sont affectés? Non. Ils ne sont pas autre chose que des habitudes contractées dans l'enfance : la preuve, c'est qu'il n'en est pas un qui ne se corrige et promptement encore, par un exercice soutenu. La méthode à suivre pour arriver à un résultat certain est simple et facile; elle consiste à bien étudier la position que les organes de la bouche doivent prendre pour articuler la consonne que l'on veut rectifier.

Du sifflement.

Dans le sifflement l'extrémité du bout de la langue est placée entre les dents.

Cette position change les articulations s.et z en un sifflement sourd et pâteux, désagréable à entendre. Pour qu'il cesse, on place la langue pour l's près les dents supérieures,

laissant un espace entre le palais et les dents, afin que

l'air qui est poussé fortement y passant avec peine, fasse entendre un léger sifflement.

Exemple:

Pour s'habituer à bien tenir sa langue près du palais, il ne faut faire que des articulations, c'est-à-dire qu'après l'avoir placée dans la position indiquée, on poussera fortement l'air dessus. Celui-ci se trouvant ainsi arrêté par elle, ne fera entendre qu'un son sourd. Inutile de dire que cet exercice doit se répéter souvent. Ce premier travail terminé, on réunira un son à l'articulation, celui de eu, par exemple, ayant soin dans le commencement de mettre un intervalle entre l'articulation et le son. Ainsi au lieu de dire d'un seul jet, se, on comprimera l'air pour articuler fortement l's, puis on fera un grand temps et on émettra le son eu. On continuera ce travail en ayant soin de diminuer toujours un peu l'intervalle de manière à réunir insensiblement l'articulation s et le son eu.

Du biaisement.

Dans le zeze ou biaisement, le bout de la langue se montre entièrement entre les dents.

Cette position change le j et ch en ze et se; mais en ze et se pâteux.

Comment doit être placée la langue pour faire le j et le ch?

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