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faire un effort presque inouï pour me lever. La pensée me fatigue. Je ne sais sur quoi porter un reste de sensibilité qui s'éteint; des désirs, je n'en ai plus. J'ai usé la vie; c'est de tous les états le plus pénible, et de toutes les maladies la plus douloureuse comme la plus irrémédiable.

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Mon état est toujours le même au fond; seulement différentes petites affaires qu'il a fallu régler ces deux jours-ci, m'ont un peu distrait, avec peu de profit peut-être, du sentiment habituel d'amertume, qui s'est, je crois, emparé de mon âme pour longtemps. Pax mea in multa patientia. Je ne compte guère sur la lettre de M. Vielle. C'est comme à confesse, chacun à son rang; le mien viendra quand il plaira à Dieu.

Les classes de mathématiques me paraissent très-bien disposées. Je ne sais pourtant si je ne regrette point que la méthode de faire précéder l'algèbre par la géométrie se perpétue; ce n'est pas là, ce me semble, la ligne droite, mais il y en a tant de courbes que celle-là pourra bien passer dans le nombre.

Ne feras-tu point, avant mon retour, un voyage à la Chênaie ? Je voudrais bien que le plan de la chapelle eût ton approbation, avant qu'on commençât de l'exécuter. J'avais dessiné une assez jolie façade, mais elle eût augmenté la dépense de 500 fr; j'y ai renoncé. Il vaut mieux embellir le dedans. Ajouté encore que la pierre de taille et les piqueurs sont si rares ici, surtout les derniers, que nous aurions vu peut-être notre besogne retardée d'un an. Rien n'empêchera que tu n'y dises ici la messe l'an prochain, si le sculpteur et

le menuisier n'y mettent obstacle par leur lenteur ordinaire.

Aie bien soin du pauvre Bois, et embrasse-le pour moi. Gratien te verra dimanche; il commence à marcher passablement.

Adieu, et à Dieu seul pour jamais; le reste n'est pas grand'chose, si c'est quelque chose. Dieu! Dieu seul ! prie-le bien pour ton pauvre misérable frère. F.

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Je te remercie de ce que tu veux bien dire pour moi, jeudi, la Sainte Messe. Ma lettre ne sera pas longue, parce que j'ai depuis deux jours la migraine, et, par-dessus le marché, mal aux dents. J'avais oublié de te renvoyer la lettre de M. Millaux, la voilà avec celle du nouveau curé. Je ne le connaissais pas même de nom. Dieu veuille qu'il soit tel qu'il faudrait qu'il fût. Il a fait un grand sacrifice à l'obéissance.

Envoie du lard à piquer; dans les intervalles de la chasse, Gratien s'occupe à piquer des perdrix, c'est une façon de se désennuyer très-innocente, et dont le résultat n'est ni sans agrément ni sans utilité. Je te plains de tous ces examens, mieux vaudrait encore piquer des perdrix. Enfin cela finira, Dieu merci, bientôt. Je t'embrasse de tout mon cœur.

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Je crois que le Seigneur m'éclaire, malgré ma profonde indignité; je crois reconnaître au fond de mon âme quelques faibles rayons de cette lumière qui annonce sa présence et

prépare à la goûter. Mon Dieu! serait-il donc vrai que vous ne m'eussiez pas abandonné ? Je pourrais encore retourner à vous, et vous consentiriez à me recevoir encore ! Le prodigue de votre évangile ne quitta qu'une fois la maison de son père, n'offensa ce bon père qu'une fois; après s'être assis au festin de réconciliation, il ne retourna point partager avec les pourceaux leur nourriture immonde: à moi seul était réservé ce comble de l'avilissement et de l'ingratitude. Que ferai-je cependant? Ah! il n'y a que vous, ô mon Dieu! qui puissiez m'inspirer ce que je dois faire. Aidez-moi à me connaître, pour m'aider ensuite à me changer. Tout est entre vos mains, le conseil et la force, la volonté et l'exécution. Je suis devant vous comme un effroyable néant de tout bien : il ne me reste qu'une timide et mourante espérance, et c'est encore, Seigneur, un de vos dons. Soyez à jamais béni, Père céleste, Père tendre, qui n'avez pas voulu ravir à mon inénarrable misère, ce dernier gage de miséricorde et d'amour!

La cause première de tous mes maux n'est pas, à beaucoup près récente; j'en portais depuis plusieurs mois le germe dans cette mélancolie aride et sombre, dans ce noir dégoût de la vie, qui s'emparant de mon âme peu à peu, finit par la remplir tout entière. Abandonné alors à une accablante apathie, totalement dépourvu d'idées, de sentiments et de ressorts, tout me devint à charge, la prière, l'oraison, tous les exercices de piété, et la lecture, et l'étude, et la retraite, et la société ; je ne tenais plus à la vie que par le désir de la quitter, et mon cœur éteint ne trouvait une sorte de repos léthargique que dans la pensée du tombeau.

J'écrivais ceci hier au soir; je n'ai pas ce matin le courage de continuer. A quoi bon, d'ailleurs? Tu sais le reste. Je te remercie de tes conseils; demande à Dieu pour moi la force de les pratiquer. Ce que tu dis de la croix est vrai, sans

doute; mais comment appeler ceci une croix? Ma croix, je le sens, quel que soit pour moi l'avenir, sera cette insurmontable tristesse, ces défaillances intérieures, ces angoisses, cette agonie de l'âme, contre laquelle il me faudra lutter jusqu'à la dernière heure ; et plût à Dieu que ce fût là ma plus grande torture ! Je m'y soumettrais avec joie. -Point d'avenir, dis-tu, point de passé : Ah! oui, et s'il était possible, point de présent!

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J'ai été deux jours noyé dans le rhume, je suis mieux à présent, ma tête se dégage, et avant la fin de la semaine il ne sera plus question de rien. Mon autre maladie ne se guérit pas si vite, et il ne faut pas même espérer qu'elle se guérisse jamais entièrement. On corrige l'esprit, mais on ne refait point le cœur. La Providence a mis dans le mien une source de douleur qui s'est répandue sur ma vie dès sa naissance et ne s'épuisera qu'avec elle. Le bon Dieu en soit béni! Je ne pense pas qu'il y ait de croix plus pesante que celle-là, ni plus méritoire pour une âme vraiment résignée. C'est cette résignation paisible et amoureuse dans son amertume même, que je m'efforce d'acquérir. Mais ce n'est pas le travail d'un jour. Quelquefois je croirais presque la posséder, parce que je la désire, et le moment d'après une attaque soudaine me détrompe et me rejette dans un abattement plein d'angoisse. Ce flux et reflux violents de souffrances et de combats usent l'âme et le corps tout ensemble. On avance promptement vers l'éternité, quand on est sans cesse poussé par des orages. Ma plus grande peine est d'être privé de tous secours

spirituels. Mais ce que Dieu m'ôte d'un côté, il saura bien me le rendre d'un autre.

D'après ton petit billet, j'attends Gratien aujourd'hui; probablement vers deux ou trois heures.

Je te renvoie les deux premiers volumes de l'Histoire des Suisses; je finirai les autres demain ou après-demain. Ainsi tu me feras plaisir de m'envoyer quelques autres livres par la diligence de jeudi. Je serais bien aise de lire les Cérémonies de la messe du Père Lebrun, si j'ai le temps de les finir ici. Dans le cas contraire, envoie-moi quelque autre ouvrage, soit de théologie, soit d'histoire, enfin n'importe de quelle nature et sur quel sujet.

J'ai peur que notre chapelle ne soit un peu étroite; désormais c'est une chose finie. Si on lui eût donné plus de largeur, cela aurait beaucoup augmenté la dépense. Je ne compte plus du tout sur la lettre de M. Vielle. Mille amitiés à M. Hay et à Querret.

Gratien vient d'arriver en bonne santé. Si la Villemain a vendu les fayols pour un boisseau et un godet, sous prétexte de déchet, elle a été volée d'un boisseau; mais qu'y faire?

N'ayant point de panier ici, je ne renvoie pas les deux volumes de Mallet; mais ne manque pas de me faire passer quelque autre ouvrage, car je n'ai plus rien du tout à lire, passé demain. - Il fait un temps affreux.

Gratien m'a dit que tu viendrais peut-être nous voir. Je n'ose m'en flatter, et je ne veux pas même le désirer trop vivement. La volonté du bon Dieu. Après tout, n'aurons-nous pas le temps de nous voir dans l'éternité, si nous avons le bonheur d'y être ensemble ? C'est une chose que j'ai besoin de me répéter souvent lorsque je pense à toi et à notre cher petit Bois, à qui tu remettras la lettre incluse. Priez tous deux le bon Dieu pour moi de tout votre cœur. O quam bonum est

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