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Elles sont empruntées à un travail historique que nous nous proposons de publier prochainement, hommage que nous rendrons à la mémoire d'un homme qui a droit au respect de tous, parce que, foulant aux pieds tout intérêt humain, préoccupé de la seule idée du bien et du juste, il mit sans réserve son grand cœur et son vaillant esprit au service de la Vérité.

Cayeux-sur-Mer, 18 janvier 1866.

A. BLAIZE.

INTRODUCTION

Au septième siècle, un cénobite, Saint Aaron, bâtit sa cellule et un oratoire sur un îlot à l'ouest de la cité d'Aleth. Des pêcheurs vinrent se grouper autour de son ermitage. Telle fut l'origine de Saint-Malo, qui prit son nom de son premier évêque.

La ville est reliée au continent par une étroite chaussée. De hautes murailles la mettent à l'abri des invasions de la mer. Une forteresse flanquée de quatre tours en défend l'approche du côté de la terre. Dans leurs embrasures, sabords de granit, des couleuvrines allongent leur tête de bronze. Une de ces tours fut construite par la duchesse Anne de Bretagne, pour tenir en respect les habitants. Elle y grava cette devise: Quic en groingne, ainsy sera, c'est mon playsir. La Chalotais y fut enfermé; c'est là qu'il écrivit avec un curedent son célèbre mémoire.

Une enceinte de forts entoure Saint-Malo : le fort Lalatte, près le cap Fréhel; la batterie Duguesclin, à la côte orien

tale; la redoute du grand Bez (1), où Chateaubriand repose dans son cercueil de pierre; la batterie du petit Bez; le fort Royal; Césembre où s'élevait jadis un monastère; l'île Harbourg; la Conchée, bâtie par Vauban. Ces forts ont leurs canons tournés contre l'Angleterre et leurs feux, qui se croisent, protégent la ville que défendent par ailleurs les bas-fonds et les rescifs de la rade. Chacun de ces écueils a son histoire lamentable de naufrages et de morts. Il y a un siècle à peine, les pâtres allumaient, dans certaines nuits d'hiver, sur les côtes voisines, de grands feux de bruyère. D'après l'antique légende, les noyés, privés de sépulture, quittaient leur couche humide, secouaient leur linceul d'algues vertes et venaient tout grelottants se chauffer autour du brasier solitaire.

L'intérieur de Saint-Malo est triste et sombre. Les maisons, très-élevées, surplombent des rues étroites et tortureuses; mais, du haut des remparts, la vue est splendide. C'est SaintServan, le vieil Aleth, qui s'étend en amphithéâtre de l'autre. côté du port; la Cité, dont le sommet arrondi ressemble à un vaste tumulus; la tour de Solidor; l'embouchure de la Rance, charmante rivière encaissée entre des collines pittoresques. Dans le lointain, des falaises escarpées, des promontoires taillés à pic découpent sur le ciel gris leurs crêtes dentelées. Deux fois par jour, la mer accourt du large et baigne le sable doré des grèves.

En 1831, Lamennais, suivant la route d'Antibes à Gênes, raconte ses émotions à la vue des rivages italiens. « Cependant, dit-il, telle est la puissance des premières impressions que dans ces riantes et magnifiques scènes, rien pour moi n'égalait celles qui frappèrent mes jeunes regards: les côtes âpres et nues de ma vieille Armorique, ses tempêtes, ses rocs de granit battus par des flots verdâtres, ses écueils blanchis (1) Bez, en celtique, signific tombeau.

de leur écume, ses longues grèves désertes, où l'oreille n'entend que le mugissement sourd de la vague, le cri aigu de la mouette tournoyant sous la nuée, et la voix triste et douce de l'hirondelle de mer (1). »

Saint-Malo a donné le jour à plusieurs hommes célèbres

dans la guerre, les lettres et les sciences: Jacques Cartier, Duguay-Trouin, Mahé de la Bourdonnais, Maupertuis, Chateaubriand, Lamennais; Toullier et Broussais sont nés dans ses environs.

La famille Robert de La Mennais (2) appartenait à l'ancienne bourgeoisie de cette ville. Elle avait acquis une fortune considérable dans le commerce et la course si aimée de nos pères. Louis-François Robert, aïeul du grand écrivain, eut deux fils, Pierre-Louis né le 10 juin 1743, et Denys-François né le 14 mai 1744. Suivant l'usage alors généralement établi, DenysFrançois, laissant à l'aîné le nom de La Mennais, ajouta à celui de Robert le nom de des Saudrais. En 1775, ils épousèrent les deux sœurs, Gratienne-Jeanne et Félicité Lorin, filles de Pierre Lorin, sieur de la Brousse, conseiller du roi, sénéchal, premier juge, magistrat civil, criminel et de police de la juridiction de Saint-Malo.

Madame Lorin, née Bertranne Roce, était d'origine irlandaise.

De son mariage avec Gratienne Lorin, Pierre-Louis Robert eut six enfants: Louis-Marie, né le 12 septembre 1776; PierreJean, né le 24 juin 1778; Jean-Marie, né le 8 septembre 1780; Félicité, né le 19 juin 1782; Marie, née le 24 février 1784 et Gratien-Claude, né le 2 mai 1785 (3). Félicité, ondoyé le 19

(1) Affaires de Rome.

(2) Le nom de La Mennais, du celtique Menez, montagne, est tiré d'un petit domaine situé dans la commune de Trigavoux, Côtes-du-Nord.

(3) Le 7 octobre 1818, Henri Moorman écrivait à F. Lamennais :

« J'avais pour vous une lettre toute prête, lorsque me parvint la vôtre, en date

juin 1782, fut baptisé le 23 octobre suivant par Antoine des Laurents (1), évêque de Saint-Malo. Il eut pour parrain son oncle des Saudrais et pour marraine madame Marie-Jeanne Henry de l'Aumosne. Il avait cinq ans quand il perdit sa mère. Il n'en avait gardé, nous a-t-il dit, que deux souvenirs; il se rappelait l'avoir vue réciter son chapelet et jouer du violon.

Madame de La Mennais était une femme d'une haute raison, d'une instruction solide et d'une piété éclairée. Elle avait beaucoup lu, et recueillant de ses lectures ce qui pouvait être utile à ses enfants, elle avait écrit de sa main un plan pour leur éducation.

Robert des Saudrais n'eut pas d'enfants. Madame des Saudrais fut une mère pour ceux de sa sœur; elle et son mari les aimèrent avec tendresse.

Le 28 décembre 1786, les États de Bretagne, réunis à Rennes, voulant reconnaître les services rendus par Pierre de La Mennais, chargèrent leurs députés de solliciter pour lui du roi des lettres de noblesse. Elles furent délivrées à Versailles le 12 mai 1788. « Cette grâce, écrivait le baron de Breteuil aux députés, est d'autant plus flatteuse qu'elle est infiniment rare. » Les lettres-patentes nous ont paru mériter d'être citées, car elles ne furent point accordées à la vanité, mais à la vertu douce et bienfaisante.

du 10 août, dans laquelle vous me donnez la triste nouvelle de la mort de votre jeune frère Gratien. »

Dans ses Notes et Souvenirs qui précèdent la correspondance de Lamennais, M. Forgues fait, à l'occasion de la lettre ci-dessus, cette remarque impertinente :

« Nous ignorons de quel frère il peut être ici question, M. Pierre-Louis Robert de La Mennais n'ayant eu que trois enfants, dont une fille, Marie, devenue madame Blaize, l'abbé Jean et Félicité La Mennais. »

Pourquoi parler avec tant d'assurance de ce que l'on ne sait pas?

(1) Nommé évêque de Saint-Malo le 18 avril 1767; mort le 15 octobre 1785.

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